« Le shah est un brillant mais dangereux mégalomane dont le psychisme a été profondément affecté par
un père cruel, par le rôle de pion que lui attribuèrent les Alliés, par la honte de son ascendance roturière », soutenait un rapport secret de la CIA, dont la teneur
a été révélée par la presse américaine en juillet 1975. Les enquêteurs achevaient le portrait de l'ancien souverain iranien en indiquant, entre autres, qu'il souffrait d'une peur obsessionnelle de l'impuissance et d'un énorme complexe d'infériorité.
L'équipe de psychanalystes et de psychologues de la CIA n'a sans doute pas eu trop de mal à établir ce diag
nostic. Le comportement de l'homme qui régna sur l'Iran pendant trente-sept ans, les multiples récits qu'il fit de sa vie, de son enfance, de ses rapports difficiles avec son père, lui fournissaient de précieux éléments d'analyse.
Un seul regard de mon père suffisait pour que je rentre sous terre, écrivait Mohamed Reza dans ses
Mémoires. Des photos jaunies des années 30 montrent un garçon malingre aux yeux tristes, les épaules rentrées, face à un homme de près de deux mètres, massif, la moustache agressive et le regard foudroyant.
Reza shah était, en effet, une force de la nature. L'ancien ânier, miséreux et illettré, devenu officier d'une
brigade de cosaques avant de s'emparer à la tête de ses
troupes du pouvoir des Kadjars, avait su fonder, à la force du poignet, une nouvelle dynastie, la sienne, celle
des Pahlavi. Pour forger le nouvel Iran, il n'hésitait pas à faire tomber de nombreuses têtes ; coléreux et brutal, il alla jusqu'à défenestrer un ministre qui tentait de se justifier. Malgré sa tendresse sous-jacente, il terrifiait littéralement le jeune Mohamed.
Reza shah voulait façonner un fils à son image : fort et viril . Il lui fit mener une vie spartiate. En dépit d'une santé fragile, Mohamed Reza reçut une formation militaire il est colonel dans l'armée impériale à l'âge de douze ans et pratiqua tous les sports violents.
Le jeune homme est condamné à un sentiment de solitude, qu'il cultivera le reste de sa vie. Je n'ai pas d'amis , confia-t-il un jour à un journaliste français. Quand ses camarades s'ébattent joyeusement en Suisse sur les pentes enneigées, quand ils font bombance, Mohamed Reza rapporte dans ses Mémoires avoir été réduit à une radio et un phono pour toute compagnie. Il devait se marier à trois reprises, la première avec la princesse égyptienne Fawzia, à laquelle il avait été fiancé sans avoir été consulté et sans l'avoir jamais vue auparavant.
Sous la férule de ce père despotique et vivant auprès d'une soeur jumelle à la personnalité envahissante dont il évitera toujours de parler ainsi que d'une mère autoritaire et dévote, Mohamed Reza se réfugia dans le mysticisme, trait essentiel de son caractère, qui compensera son manque de confiance en soi. Trois apparitions dans son enfance, deux attentats auxquels il échappe miraculeusement lui font croire qu'il est investi d'une mission divine. Dieu, qui est son seul ami, l'aurait rendu, à l'en croire, invulnérable.
L'évolution dramatique de la maladie de Waldenström en dix mois.
Il semble que ce soit en 1974 que des médecins français, alertés par une vitesse de sédimentation, une anémie et des phases de fatigue, aient posé le diagnostic de maladie de Waldenström au moment même où le président Pompidou succombait des suites de cette même maladie et quatre ans avant que le président Boumediene en soit également atteint.
Le shah reçut d'emblée un traitement classique par chlorambucil, chimiothérapie la plus efficace et la mieux tolérée dans la maladie de Waldenström, avec parfois de courtes cures de prednisone, et il semble avoir bien toléré l'affection et le traitement jusqu'à son exil forcé le 16 janvier 1979. Aux Bahamas, la biopsie ganglionnaire ayant mis en évidence la cancérisation de la maladie par la présence concomitante d'un réticulo-sarcome, tumeur cancéreuse se développant au niveau des ganglions lymphatiques et de la moelle osseuse, le traitement a été renforcé sous forme d'infusions veineuses de plusieurs médicaments anticancéreux classiques.
Quelques jours après son arrivée au Mexique, l'ex-shah s'est plaint de lassitude extrême, de fièvre, et une jaunisse est apparue ; les médecins mexicains et américains ont erré dans le diagnostic. Ils ont pensé au paludisme, puis à une amibiase, enfin à l'hépatite virale, sans tenir compte des douleurs abdominales, attribuées à une tumeur hépatique provoquant une jaunisse par obstruction. L'erreur de diagnostic combinée à la notion de cancer a provoqué une certaine panique jusqu'à la présidence des Etats-Unis, comme nous l'avons vu précédemment, et le shah fut hospitalisé le 22 octobre au célèbre centre médical de la Cornell University. Un examen de la vésicule biliaire devait mettre en évidence simplement la présence de calculs vésiculaires et intracholédociens responsables de la jaunisse. A ce moment, on commence d'accuser l'ex-souverain d'avoir abusé le gouvernement américain en réussissant à entrer sur le territoire des Etats-Unis sous le prétexte fallacieux de la nécessité d'un traitement spécial de son cancer. Le 24 octobre, les experts et les journalistes pensent que la présence du shah risque de poser des problèmes délicats au gouvernement américain. L'agence Reuter annonçait que le gouvernement de Téhéran allait envoyer des émissaires aux Etats-Unis pour s'assurer que l'ex-souverain ne se livrait à aucune activité politique. Le gouvernement américain a refusé de laisser le shah se faire examiner par un médecin envoyé par Téhéran, mais il a accepté de tenir le gouvernement iranien au courant de l'évolution de la santé du shah.
Le 25 octobre, les chirurgiens américains procèdent à l'ablation de la vésicule biliaire sans vérifier soigneusement, semble-t-il, le cholédoque et laisseront un calcul. Ils diagnostiquent un lymphosarcome, c'est-à-dire une forme de cancer.
Un traitement radiothérapique est alors institué en raison du sarcome, mais le patient continue de se plaindre de douleurs abdominales dans la région vésiculaire ; un examen met en évidence la présence d'un calcul oublié dans le cholédoque. Entre-temps, la situation s'est rapi-dement dégradée entre les Etats-Unis et le gouvernement
iranien qui détient cinquante-trois otages à l'ambassade : américaine à la suite de l'action spontanée des étudiants révolutionnaires, d'abord désavoués, puis approuvés par :', les autorités iraniennes !
Les chirurgiens américains pratiquent le 26 novembre '' une nouvelle intervention chirurgicale permettant d'ex- traire le calcul oublié dans le cholédoque lors de l'opération précédente.
Le shah, pour ne pas augmenter les difficultés invraisemblables du président Carter, demande à repartir pour ' le Mexique, mais, en cours de vol, il doit atterrir à San Antonio (Texas) car le gouvernement mexicain, craignant des représailles du gouvernement iranien vis-à-vis de Mexicains travaillant à l'ambassade à Téhéran, vient de refuser l'entrée de l'ex-shah. Celui-ci obtient enfin l'auto
risation de séjourner à Panama où il se reposera de
toutes ses vicissitudes morales, physiques, et vivra dans la crainte d'un attentat que peuvent toujours préparer les émissaires de l'ayatollah Khomeini qui désire publibliquement sa mort.
Une dangereuse augmentation du volume de la rate
En mars 1980, alors que le shah se trouve à Panama, le gouvernement iranien fait savoir que des accords vont être conclus avec le gouvernement panaméen pour assurer l'extradition de l'ex-souverain iranien. Au même moment, on annonce que l'ablation de la rate du malade est devenue nécessaire et que le docteur DeBakey est appelé en consultation. Le chirurgien texan critique les conditions de l'hôpital panaméen et vexe ses confrères. Mais quand le docteur DeBakey arriva, un garde le tint en respect avec son fusil en lui interdisant d'entrer. Finalement, on annonça au chirurgien qu'il serait autorisé à opérer. C'est alors qu'il refusa en disant : « Dans cette atmosphère, je ne suis pas du tout sûr qu'on ne tuera pas mon malade.»
« Franchement, mon frère avait peur d'être anesthésié sur la table d'opération et de se réveiler à Téhéran », déclara par la suite la soeur jumelle du shah. Le shah, ne pouvant évidemment pas retourner aux Etats-Unis, accepte l'offre du président Sadate et s'installe en Egypte où le docteur DeBakey pratique l'ablation de la rate le 28 mars. Quelques jours plus tard on apprenait que les biopsies hépatiques faites au moment de l'opération avaient montré une extension du cancer.
La convalescence fut difficile, avec des poussées de température, une malnutrition provoquant un amaigrissement important (le shah ne pesait plus que cinquante kilogrammes), des douleurs abdominales, une gêne respiratoire. A la fin les médecins diagnostiquaient une poussée de pancréatite aiguë et une pleurésie purulente. Une équipe de chirurgiens intervint le 30 juin pour drainer une poche pancréatique et drainer également le pus pleural. Quatre jours plus tard, le shah était en très mauvaise condition, avec une fièvre à 40 °C et sombrait de temps à autre dans un état semi-comateux.
Des hémorragies abdominales se déclarèrent soudain, nécessitant à nouveau une intervention chirurgicale au niveau pancréatique et au niveau pleural. Enfin, pour compléter le tableau, les médecins annonçaient le 5 juillet que le shah souffrait également d'une jaunisse, soit à la suite de nombreuses transfusions, soit à la suite de manipulations du pancréas, ou encore d'origine métastatique !
Les dix médecins, sept Egyptiens et trois Français, qui ont soigné l'ex-shah d'Iran jusqu'à sa mort ont publié le 28 juillet le bulletin médical suivant :
Le shah d'Iran a souffert ces dernières semaines des complications graves du cancer du système lymphatique
et a dû être hospitalisé le 26 juin dernier. Ces complications consistaient en un abcès abdominal sous le diaphragme et un épanchement purulent dans le poumon gauche.
Des médecins spécialistes, égyptiens et français, ont soigné le shah, poursuit le texte, et une opération a été
effectuée le 30 juin pour traiter l'abcès abdominal. Le shah a été placé ensuite sous surveillance médicale intensive et son état s'est relativement amélioré, mais il a recommencé à souffrir des complications de la maladie.
Le 26 juillet, conclut le bulletin, le shah a subi un choc cardio-vasculaire du fait de ces complications et son, état s'est dégradé en dépit des soins intensifs qui lui ont été prodigués. Il est décédé à 9 h 50 le dimanche 27 juillet 1980. »