Le Tsarévitch Alexis
L'Hémophilie et l'Histoire

La troisième fille de la reine Victoria eut sept enfants ; une de ses filles, Alix, née en 1872, eut un destin dramatique : en épousant en 1894 le futur tsar Nicolas II, elle transmit le gène apportant l'hémophilie dans la lignée des Romanov. Elle mit au monde, en 1904, le tsarévitch Alexis, dont l'hémophilie devait perturber toute la vie de la cour impériale.

alexis et nicolas 2
famille nicolas II

L'hémophilie du Tsarevitch
Le tsarévitch n'a pas six semaines qu'une hémorragie ombilicale se déclare et va durer trois jours. Dès que l'enfant commence à se traîner à quatre pattes, ses parents voient apparaître sur ses genoux de grosses boules bleues. A trois ans et demi, il tombe sur le front et l'hématome l'empêche d'ouvrir les yeux pendant plusieurs jours. Dès lors deux matelots, Derevenko et Nagorny, sont chargés de prévenir ses chutes. Les saignements continueront pourtant, imprévisibles. Leur cause est si minime qu'elle échappe le plus souvent. Et le drame recommence. L'enfant se calfeutre, n'ose même plus remuer dans son lit. Pourtant la douleur progresse, la pâleur augmente pendant plusieurs jours. Les médecins ont interdit la morphine et les massages. On continuera seulement à utiliser les bains de boue et toute la panoplie des appareils orthopédiques.
Tout à coup, Alexis va mieux. Mystérieusement, les genoux, les chevilles, les coudes sont souples pendant des mois. La famille impériale reprend espoir. L'enfant espiègle reparaît. C'est qu'il est plein de vie et qu'il s'insurge devant les interdits des adultes. Défendus le tennis, la bicyclette ! Alors, il se grise de jouets fantastiques, des trains qui font rêver le tsar, des usines pleines de poupées, des navires de guerre qui courent sur un petit lac, des armées de soldats de plomb mécaniques, des maquettes de villes avec des palais lumineux, et des églises carillonnantes. Sa mère a écarté les cousins trop turbulents. L'enfant se rabat sur le fils de Derevenko. Ou bien, il va jouer avec ses soeurs aînées, la douce Olga qui le console, Tatiana qui le raisonne, Machka si maternelle, Anastasia l'enfant terrible qui sait si bien le faire rire en singeant tout le monde.
Brusquement, dans cette atmosphère de tendresse généreuse, la pulsion éclate. C'est la réaction casse-cou si classique chez l'hémophile. Un jour, le tsarévitch traverse la place pendant le défilé de l'armée impériale, sur une bicyclette empruntée en secret, sous les yeux de son père médusé. Il a sept ans. Une autre fois, après une séance de cinéma, on le voit bondir de table en table, à la tête de ses camarades, à l'assaut du matériel. Le précepteur des enfants impériaux, Pierre Gilliard, essaie de lui donner plus d'initiative, lorsqu'il approche de ses neuf ans. Alexis est heureux, remonte sur les bancs. Un jour, il glisse. L'épanchement de sang dans l'articulation ramène les gémissements de l'enfant et le calvaire familial. Ainsi toute éducation s'avère impossible. Elevé dans du coton et risque-tout, le tsarévitch grandira gâté et sans discipline, mais sans volonté et sans virilité.
Scénario immuable, dix fois recommencé ! A la fin de l'année 1912, la famille impériale est en vacances en Pologne à Bialowieza. Pendant que le tsar chasse le bison, que la tsarine et ses quatre filles font des promenades à cheval, Alexis est confiné au canotage sur un étang voisin.
Un matin, en sautant dans la barque, il glisse et tombe. Vacances manquées. On les prolongera donc à Spala, où la tsarine promènera son fils en carriole. Soudain, il se plaint de l'aine. Chaque cahot lui arrache un cri. L'hématome va devenir énorme malgré le pédiatre et le chirurgien venus de Moscou. C'est la fièvre, l'insomnie, le délire et le « aide-moi, maman » cent fois répété qui torture et affole l'entourage. Le tsar et la tsarine tentent de sourire aux visiteurs. C'est que la Russie ne sait pas que l'héritier du trône est à la merci d'une hémorragie. Cette fois, son état devient désespéré. A la cour, on rédige un bulletin de santé. Onze jours et onze nuits, Alexandra lutte et veille. Les premiers fils d'argent apparaissent dans ses cheveux. Alors, à bout de forces et d'espérance, elle fait appeler Raspoutine.

raspoutine
Et Raspoutine entre en scène
Arrivé au cours de la nuit à l'appel impérial, il s'agenouille près du tsarévitch et lui affirme que son mal est terminé. Le lendemain, le prince est assis dans son lit, souriant. Voyant, guérisseur, thaumaturge, hypnotiseur, charlatan ? Qui était Raspoutine ? De nouveaux documents ont paru récemment qui permettent de faire un portrait approximatif du personnage.
Les relations de Raspoutine avec le couple impérial dataient de 1905, mais c'est en 1907 que le moine eut l'occasion d'exercer son influence sur la santé du tsarévitch en mettant fin à une hémorragie que les médecins ne parvenaient pas à arrêter. C'est à partir de ce moment que date le début de son ascendant sur la tsarine, ascendant qui prit avec le temps des proportions invraisemblables.
La forte personnalité de Raspoutine n'aura pas de peine à s'imposer devant le couple impérial formé d'un homme faible et velléitaire se croyant investi par Dieu et d'une femme hystérique et mystique, traumatisée déjà par une grossesse nerveuse et l'hémophilie du tsarévitch. Il régente, décide, destitue, cajole, courtise, et entre deux séances de « guérison spirituelle », il accompagne la famille impériale dans des voyages officiels. La tête lui tourne, il s'intéresse aux milieux financiers et s'adonne à la vodka d'une manière intempestive.
imperatrice alexandra

Revenons à l'impératrice. L'auréole dont son imagination entourait le charlatan dépassait les bornes du compréhensible. Elle excusait ses débordements bacchiques et sexuels et montrait une tendance à vénérer les objets qu'il avait donnés ou qui lui avaient appartenu. Quant au tsar, il était plus réservé, tout en restant reconnaissant de l'action de l'homme qui, pensait-il, pouvait seul atténuer les souffrances de son fils. Il avait besoin aussi de ses consolations spirituelles.
La rumeur publique, amplifiant les bruits sur ses relations avec le couple impérial, attribuait à Raspoutine l'omnipotence politique. Jusqu'en 1915, cette puissance est très relative ; mais le départ de Nicolas II pour le front où il assure le commandement suprême fournit à l'impératrice Alexandra l'occasion de se mêler plus activement à la vie politique. Quelle fut l'influence de Raspoutine sur l'impératrice ? Moins importante qu'on ne le pense généralement : l'opinion du charlatan ne jouait généralement qu'un rôle subsidiaire en faisant pencher la balance du côté déjà souhaité par les souverains. Par une ironie du sort, c'est après sa mort que Raspoutine exerça une influence prédominante sur deux désignations de ministres.
raspoutine qui se signalait par les contradictions de son caractèrte, cet être égoïste, cynique et brutal, cruel envers ceux qui se mettaient en travers de son chemin, était capable de pitié inattendue et même d'attendrissement et de générosité ; il semble avoir eu un seul trait constant : son attachement — apparemment sincère — aux intérêts du peuple.

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