Retour d'exode

L'armistice
le 22 juin 1940

Pour des raisons diverses, peur des bombardements, décomposition des administrations et des pouvoirs publics, près de huit millions de personnes, issus des départements au nord de la Loire, ont fui vers le sud, à pied, en train, en voiture, dans le cadre d'un immense exode. A l'annonce de l'armistice, le mouvement s'arrête, le reflux commence.
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Chacun à sa boutique, à son usine, à son bureau, à son champ.

En 1940, Chacun à sa boutique, à son usine, à son bureau, à son champ.
Le problème le plus grave était celui des transports. Les moyens manquaient. Quelque 2 500 ponts et 1 300 gares avaient été détruits. Le combustible et le courant électrique faisaient défaut. Des milliers de locomotives et de wagons avaient été détériorés ou réquisitionnés par l'envahisseur. Enfin, les autorités de Vichy hésitaient, avec juste raison, à envoyer des trains dans le Nord, par crainte de ne plus les revoir.
D'autres difficultés surgissaient. Cette accumulation inattendue de population créait des problèmes quasi insurmontables d'approvisionnement et d'hygiène. Des denrées essentielles (viande, pain) manquaient et devaient être rationnées. On craignait pour la santé des masses de réfugiés contraints, des semaines durant, de coucher dans leurs autos, en plein air ou dans des maisons surpeuplées. Heureusement pour eux, l'été 1940 fut magnifique et écarta les épidémies dangereuses, variole ou typhoïde.
Cependant, avant même que les Allemands eussent pu commencer à s'occuper de rapatrier les millions de réfugiés, ceux-ci avaient déjà pris certaines initiatives. Une migration vers la zone libre s'amorça, sur une petite échelle, il est vrai. Le gouvernement avait quitté Bordeaux le 29 juin, pour Vichy, choisi pour les facilités de logement qu'offraient ses nombreux hôtels. Les fonctionnaires devaient le rejoindre. Beaucoup d'israélites partirent aussi (pas tous). Egalement des antifascistes, français ou étrangers, qui craignaient les représailles nazies. Et tous les Français qui refusaient de vivre sous la botte allemande.
A l'exception des fonctionnaires, tous ceux-là ne pouvaient compter que sur eux-mêmes pour gagner un havre de salut et de liberté. Ils ne pouvaient rien attendre des Allemands qui auraient, au contraire, bloqué cette émigration, s'ils avaient eu le temps de mettre en place un dispositif de contrôle sévère de la ligne de démarcation. Pendant une brève période, ceux qui le voulaient purent ainsi gagner la zone libre.
La grande masse des fugitifs n'avait qu'une idée : rentrer chez elle, et quelques-uns avaient déjà pris le chemin du retour, dès avant le discours de Pétain, le 17 juin. C'étaient ceux que les troupes allemandes avaient dépassés lorsqu'ils se trouvaient encore près de leur domicile, ou ceux dont les véhicules ou les forces avaient cédé trop vite. Parmi ces derniers, le plus grand nombre dut avoir recours à l'aide de la Wehrmacht.
Par chance, la politique allemande pouvait se résumer par ce slogan : « Chacun à sa boutique, à son usine, à son bureau, à son champ. »

10 litres seulement !

retour des réfugiés en juin 1940
Des centaines de milliers de Français avaient fui en voiture. Lorsque le véhicule, transportant la famille, les animaux et les biens les plus précieux, n'avait pas été mitraillé ou bousculé dans le fossé par la grande vague de l'exode, on songeait à lui faire prendre la route du retour.
Mais, dès le début, l'essence allait faire défaut. La ville de Rennes, par exemple, n'avait le droit de distribuer à la masse des réfugiés que 1 000 litres par jour ! Plus tard, 10 litres seulement furent accordés à chaque propriétaire de véhicule.
Aussi d'énormes embouteillages se formèrent-ils bientôt. Le 5 juillet, M. Arieu, maire de Saint-Germain-du-Puch, signale que sur la route, en direction de Bellac-Limoges, des centaines de réfugiés sont immobilisés et réclament aussi bien du ravitaillement que de l'essence. Le 3 juillet, déjà, le préfet de Dordogne avait demandé qu'on lui expédie d'urgence 300 000 litres de carburant.
Avant qu'elles soient immobilisées pour quatre ans et plus, les vaillantes voitures de l'exode reprennent donc la route. On se traîne de département en département, quêtant ici et là des bons d'essence, faisant le siège des administrations et des mairies, des bureaux allemands également. Parfois des malins ont attaché à une voiture en panne d'essence des chevaux perdus. Mais souvent c'est à pied que bien des réfugiés « remontent » vers le Nord. Pour eux, on a un peu partout installé des centres d'accueil.

Que Paris est triste et désert

Un ouvrier de la Radiomécanique, M. Georges Adrey, a raconté, en termes simples mais émouvants, son exode et son retour. Bloqué, en compagnie de sa femme et de milliers d'autres réfugiés, à l'entrée d'Orléans où les Allemands sont arrivés trois heures avant lui. Georges Adrey doit rebrousser chemin non sans avoir erré, dans la région de Jargeau, entre les troupes allemandes et les troupes françaises, nourri par les unes, aidé par les autres, mais, par les unes comme par les autres chassé dans des directions différentes puisque la bataille continue. Pendant plusieurs nuits de suite, les malheureux doivent évacuer les fermes où ils ont trouvé refuge. C'est toujours le même scénario : des soldats arrivent en courant, annoncent que les Allemands approchent, qu'il faut partir.
Pendant quelques jours, M. et Mme Adrey se terrent dans de petits hameaux de la région d'Orléans, puis, le 24, à l'annonce de l'armistice proche, ils se mettent en route, poussant à tour de rôle la brouette qui contient leur fortune.
Sur la route, ils sont dépassés par des autobus de la T.C.R.P. réquisitionnés par les Allemands et mis à la disposition des femmes, des enfants, des vieillards et des malades. La nuit, après avoir subi un violent orage, ils réussissent à s'abriter dans une cabane.
Au réveil, le lendemain, ils repartent en direction d'Etampes où, dans l'après-midi, ils peuvent prendre un train composé de wagons à bestiaux. Non sans mal, d'ailleurs. Le service d'ordre est bousculé. « On crie, on hurle. C'est à qui passera le premier. Tous les instincts sauvages de la foule sont déchaînés ; c'est, en un mot, l'égoïsme et la brutalité dans toute leur laideur. Les Allemands perdent alors patience et se fâchent ; ils brandissent leur baïonnette et l'un deux tire même en l'air afin d'intimider la foule ». Le train démarre enfin et, à petite vitesse, finit par arriver à Paris. Mais, comme l'heure du couvre-feu, fixé à 22 heures, est passée depuis vingt minutes, tout le monde doit coucher dans la gare.
Enfin, le mercredi 26 juin à l'aube, les voyageurs peuvent quitter la gare d'Austerlitz. « De nombreux commissionnaires attendent les réfugiés dans la rue avec des voitures à bras, des poussettes, voire même des diables... Saint-Marcel ! Le métro ! Nous poussons un soupir de soulagement à la pensée que, dans une demi-heure, nous aurons intégré notre petit logement et repris notre train de vie habituel. Mais, à côté de l'animation qui régnait tout à l'heure à la gare, que Paris est triste et désert ! »
aide aux réfugiés en juin 1940

Les bons enfants de l'Est

Allemands à Paris en juin 1940
La vie normale devait reprendre dans l'intérêt à la fois de la France et des forces d'occupation, dont la tâche serait facilitée d'autant par une vie économique normale et par l'ordre. Il était préférable et plus sûr de voir toutes ces hordes encombrantes regagner leurs foyers. Les Allemands prirent donc leur rapatriement en main, avec leur énergie habituelle. Ils réquisitionnèrent camions et autos, et distribuèrent l'essence nécessaire. Occasion bénie pour la propagande allemande !
A leur retour, les fugitifs trouvèrent une France bien différente : villes et paysages avaient changé de visage. Beaucoup de localités, grandes ou petites, avaient été détruites, en partie ou en totalité. Trop souvent, les pompiers s'étaient repliés, ainsi que la police, et bien des maisons furent retrouvées pillées par les Allemands, par des soldats ou des civils français en retraite... ou par ceux qui étaient restés sur place. Certaines villes paraissaient mortes. Les facteurs élémentaires de la vie quotidienne avaient disparu : l'eau, le gaz, l'électricité coupés, les magasins clos, les vivres inexistants. Même les hôpitaux étaient vides, privés de médecins et de personnel ; les banques fermées également, l'argent liquide manquait.
Pendant les premières semaines qui suivirent l'armistice, avant que la Wehrmacht eût commencé à démobiliser partiellement ou à envoyer des troupes à l'est, l'occupation apparaissait « massive » un mot souvent prononcé à l'époque. Les soldats allemands avaient pris quartier partout, jusque dans les plus modestes hameaux. Ils étaient d'autant plus visibles que la population était, elle, encore clairsemée.
Ce qui frappait le plus, c'était qu'ils se conduisaient comme s'ils menaient une vie de garnison banale dans leur pays. Très vite, ils devinrent, avec leurs auxiliaires féminines (les souris grises) un trait normal du spectacle de la rue. Bien qu'enclins parfois à oublier leurs propres règles concernant les réquisitions et à « se servir » quand quelque chose leur faisait envie, dans l'ensemble ils étaient « corrects » — un autre mot du vocabulaire de l'époque. Il se trouva des Français qui, déroutés par cette allure bon enfant des « barbares de l'Est », tentèrent, non point exactement de devenir leurs amis (ce fut le fait des collaborateurs), mais de se concilier ces vainqueurs débonnaires en faisant montre, à leur égard, d'une certaine prévenance. Cela ne dura pas.
Mais la présence allemande (et ce qu'elle signifiait) se manifesta d'une façon moins ambiguë et plus déplaisante par les innombrables affiches tapissant les murs. Il n'y avait pas que celles destinées aux réfugiés. Il y avait aussi les proclamations et ordonnances du haut commandement allemand en France, par lesquelles il assumait l'autorité suprême, en vertu des droits de la puissance occupante. Ces ordonnances signifiaient que la vie française serait réglée suivant les besoins, les intentions et les idées des Allemands.
La première proclamation avait été faite le 10 mai, par le commandant en chef de l'armée, le général von Brauchitsch. D'autres suivirent sans tarder, émanant des commandants de corps d'armée, à mesure qu'ils pénétraient en France, puis du gouverneur militaire en Belgique et dans le nord de la France, enfin du gouverneur militaire en France. Bientôt, ces affiches furent complétées et remplacées par les « bulletins officiels » publiés à Bruxelles et à Paris.
Lorsque, en octobre, Colette revient à Ardeuil, dans les Ardennes, après un voyage de dix-sept jours, effectué sous la pluie, au pas des chevaux, voici le tableau qui s'offre à ses regards :
« Chez nous, tout le linge resté et celui du parrain était plein de sang. La bataille avait été dure à Ardeuil : deux bombes, six obus sur la ferme, une bombe sur la chambre bleue, une bombe sur la chambre à betteraves, un grand soldat enterré dedans, torse nu. Un obus tiré de Bussy avait fracassé le mur de la chambre, les abeilles y avaient emmené un essaim, et les émigrés avaient brisé le parquet pour en extraire le miel. Ils avaient percé ma grande cafetière de quarante tasses pour récolter le miel... »
Témoignage
Retour dans les Ardennes