En attendant...
Sur la ligne Maginot

La drôle de guerre

Ayant failli perdre la guerre contre l'Allemagne en 1914-1918, les Français étaient décidés à rendre leur pays inexpugnable. Dès 1930, ils se mirent à construire face à l'Allemagne une ligne d'ouvrages souterrains, longue de 140 kilomètres; l'entreprise demanda sept années de travail. On donna à cette ligne le nom de Maginot, un ministre de la Défense.
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Des reportages complaisants sur la ligne Maginot

La ligne Maginot avant 1940
A la veille de la guerre, la ligne Maginot a fait l'objet de quantité de déclarations ou de reportages plus ou moins « orientés ». En septembre 1939, Roland Dorgelès, l'auteur de la formule « drôle de guerre », est admis à visiter l'ouvrage du Hochwald. Son témoignage est un classique du genre :
Le caractère dominant de ces forteresses, c'est l'impression de sécurité qu'elles donnent à chaque pas. Toute idée de danger trouve aussitôt sa réplique. Que pourraient les plus gros projectiles contre cette couche de roc et de béton?
Les gaz? La surpression les refoulerait d'un souffle et, sitôt leur présence signalée, l'air ne parviendrait plus que par les chambres spéciales, où ils se neutraliseraient. Les chars? Regardez par le créneau ces plantations de rails, ces champs de mines, ces fossés à pic.
L'infanterie? On ne pourrait alors que soupirer : Les pauvres gens !
Le respect vous étreint, un saisissement sacré, devant ces portes écrasantes, ces monstrueux blindages, ces tourelles de quarante tonnes qu'un gamin déplacerait à bras...
De l'extérieur, on n'aperçoit rien que le mur gris de l'entrée, tranchant un mamelon, et, çà et là, dans le réseau, les champignons noirs des cloches des guetteurs ou la carapace camouflée d'une coupole. Pourtant, ce sol trompeur est percé d'une menace. Soudain, une flamme jaillit dans un hurlement : une pièce qui tire, invisible... S'il fallait, chaque tourelle cracherait un obus par seconde. Dans toute direction. Et les mortiers, les canons antichars des coffres et des casemates tonneraient aussi, les mitrailleuses lourdes battraient les fossés; tout ce coteau deviendrait volcan...

Au fond, on n'entend rien. Comme le déjeuner se prolongeait, je m'informai curieusement : C'est pour quelle heure ce réglage? Un officier, amusé, me renseigne : « Nous tirons depuis un quart d'heure... »

L'envers du décor

La vie quotidienne sur la ligne Maginot en 1939
Certes, il y a l'envers du décor : « L'ombre perpétuelle, la surpression atmosphérique, l'humidité constante... Les visiteurs, qui ne séjournent que quelques heures, arrivent en hiver et disent : « Tiens ! il fait bon. » Ce qui est vrai. On est en été : « Oh ! quelle fraîcheur ! » Mais cette température toujours égale, 12 degrés en moyenne, de vient vite odieuse... Sous le tunnel flotte un brouillard épais qui donne au jour des tons d'opale, et des flaques d'eau s'élargissent par miracle dans ces rues où il ne pleut jamais... »
Dans cet univers beaucoup plus industriel que militaire, on essaie de rêver. Dans les chambrées, « ce sont les photos épinglées au mur : une collection complète de vedettes de cinéma des femmes, des paysages, voilà ce qui manque. Les emmurés en collent partout... A la sous-station électrique, ils ont peint une fenêtre magique par où on aperçoit les Vosges... Les officiers de l'ouvrage sont allés plus loin : ils ont installé leur bar sur la plage avant d'un yacht de plaisance... Un peu de rêve à bon marché. »
On tente de tromper le rythme monotone de la journée. Lé matin, c'est la corvée du café qui emporte par le train les marmites fumantes. Bientôt, les ventilateurs commenceront à ronfler, puis les ramasseurs de poubelles se mettront à jongler avec leurs boîtes de tôle. Le vacarme est de rigueur, godillots, appels, sifflets. Il n'y a que le canon qu'on n'entende jamais. Le tintement du petit train rappelle le timbre des tramways et la ville souterraine s'éveille « Tiens ! le premier métro ! » Le soir, ce soir indiscernable, qui passerait ignoré sans le tableau de service, les galeries s'emplissent de flâneurs. Certains se dirigent vers « la place du village » où la musique de l'ouvrage répète son concert du lendemain. Mais une place sans filles n'attire pas les soldats. Ni filles ni bistrots, du béton pour ombres.
Le pays éprouve dans la ligne Maginot une immense confiance et une impression de totale sécurité. On veut croire à une guerre de forteresse, peu coûteuse en hommes, où le blocus et la démoralisation viendront à bout de l'adversaire.
Cependant, dès sa création, la ligne Maginot fait l'objet de sévères critiques, et le drame de 1940 entraînera généralement une condamnation sans appel.

Critiques contre la ligne Maginot

On lui reproche d'immobiliser des effectifs trop importants. En dehors des « unités d'équipage » chargées des ouvrages, les casemates d'intervalles absorbent un grand nombre de « bataillons de forteresse », l'équivalent d'une dizaine de divisions. En outre, la ligne Maginot manque de profondeur, elle n'est constituée que par une seule ligne d'ouvrages, et sa défense exige encore des réserves d'infanterie et de chars nécessaires pour colmater une éventuelle percée. Il est exact que le projet initial prévoyait sur les axes les plus menacés la création de régions fortifiées de 80 km de front. sur une vingtaine de kilomètres de profondeur. Pour des raisons financières, les flancs de l'arrière ne furent jamais construits et l'organisation réalisée prit une allure strictement linéaire, fort différente du projet initial.
Cette faiblesse semble encore aggravée par l'insuffisance de l'artillerie, qui ne peut tirer généralement que dans une seule direction, en flanquement. En effet, contrairement à certains documents de l'époque, ces immenses forts souterrains, dotés de centrales électriques, de voies ferrées, de casernes, de magasins, ne sont nullement surmontés par de puissantes coupoles d'artillerie lourde crachant le feu, à grande distance, comme des navires de ligne ancrés à l'intérieur des terres. Par rapport à l'importance des installations internes, au volume du béton employé, le nombre des postes de tir semble étonnamment réduit. L'amiral Lepotier devait écrire : Au cours d'un exposé fait aux officiers généraux, au printemps de 1938, nous entendîmes l'un d'eux s'étonner du faible calibre et des limitations du champ de tir des pièces, et le futur généralissime dut expliquer que, pour des raisons politiques, on avait dû se limiter à des tirs de flanquement, parce que toute pièce capable de tirer éventuellement en territoire ennemi aurait été qualifiée d'offensive... La montagne de béton accouchait donc d'une sarbacane bloquée à 90° de la direction de l'ennemi.
Sans prendre au pied de la lettre l'explication avancée, la ligne Maginot ne possède, en effet, que des pièces de moyen et petit calibre. Le seul véritable canon sous béton est le 75. Les 135 et 81 ne sont que des obusiers ou des mortiers destinés auxtirs à courte portée. L'artillerie d'action lointaine se trouve généralement placée à ciel ouvert. Cette tendance à diminuer l'armement lourd n'a fait que s'accentuer avec le temps. C'est ainsi que les seize ouvrages de la tête de pont de Montmédy ne disposent que de deux tourelles de 75 sur 24 kilomètres !

La terrible leçon de 1914 n'aura donc servi à rien.

La ligne Maginot ne tuait donc que de près. Mais il ne faut pas oublier que l'armement en place a été spécialement et uniquement conçu pour la forteresse ; sa fiabilité et sa puissance sont nettement supérieures à celles de l'armement des troupes de campagne. Toutes ces armes sont munies d'équipements mécaniques d'approvisionnement et de chargement, ainsi que de systèmes de refroidissement et d'aération qui permettent un fonctionnement pratiquement ininterrompu, de dix à vingt fois supérieur à celui des armes habituelles. L'efficacité est encore accrue par la qualité des observatoires. Avec leurs réseaux de barbelés, leurs barrages de rails fichés dans le sol, leurs champs de mines, leurs mitrailleuses lourdes et leurs canons de 47, les ouvrages et les blockhaus n'ont pas grand-chose à redouter d'une attaque de chars et d'infanterie. De plus, l'expérience devait montrer la remarquable résistance du béton à l'artillerie lourde et aux « bombes spéciales » des Stuka.
Enfin, les compagnies de défense extérieure des ouvrages devaient permettre des contre-attaques et des répliques, en liaison avec des troupes de campagne, contre une attaque aéroportée du genre de celle d'EbenEmael.
Cependant, la critique la plus fréquente portée contre la ligne Maginot, paradoxalement par des adversaires convaincus du système fortifié, est que l'ensemble défensif ne couvre que la frontière du nord-est, encore que partiellement, et néglige tout le secteur qui s'étend de Longuyon à la mer du Nord. Dès 1930, Clemenceau a lancé un cri d'alarme : « On a perdu dix ans en querelles stériles. Le système des régions fortifiées va être appliqué uniquement à la partie de la frontière entre la Suisse et le Luxembourg. Pour le reste, on compte que la Belgique et la Suisse organiseront leur frontière allemande ! La terrible leçon de 1914 n'aura donc servi à rien. »