Organisation
de l'évacuation des Anglais

Dunkerque
Opération Dynamo

Acculés à la mer par les troupes du Reich, près de 380 000 soldats sont évacués du 20 mai au 4 juin 1940 pâr une armada de navires hétéroclites. La Wehrmacht avait pourtant partie gagnée.
Un miracle ? En partie seulement ...
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Le Killarney du capitaine Hughes fit une traversée fort mouvementée. Ses ponts étaient bondés. Pendant près d'une heure, il fut pris sous le feu des batteries côtières. Le capitaine s'efforçait d'évoluer en zigzag dans les chenaux étroits des hauts-fonds. Un obus percuta à l'arrière, faisant huit morts et trente blessés. A peine le navire était-il hors de portée de l'artillerie ennemie qu'il fut pris à partie par un bombardier en piqué. Surgit un Spitfire qui donna la chasse à l'Allemand.
Enfin tiré d'affaire, le Killarney rentrait au bercail lorsqu'il dut encore changer sa route pour recueillir quatre hommes trois Belges et un Français qui allaient à la dérive sur un radeau fait de diverses pièces de bois (d'une porte, entre autres); ceux-ci s'étaient munis de deux boîtes de biscuits, de six bonbonnes de vin... et d'une bicyclette.
Témoignage
La traversée movementée du Killarney

Des problèmes presque insolubles

la ville de Dunkerque bombardée par les Allemands en 1940
L'amiral Ramsay avait à résoudre des problèmes presque insolubles. Douvres n'était absolument pas adaptée à l'incroyable concentration de navires qu'exigeait l'opération Dynamo. Bientôt, vingt bâtiments à la fois durent être mouillés à quai, à raison de trois par poste, tandis que les autres navires se succédaient le long des bouées-coffres pour mazouter ou embarquer des provisions. A Dunkerque, la situation était pire encore. La ville et les quais subissaient depuis plusieurs jours de violents bombardements. Les conduites d'eau et les canalisations électriques étaient coupées, les docks hors d'usage. Il ne restait qu'une jetée et deux môles — celui de l'ouest, qui se trouvait à l'extrémité des installations pétrolières, et celui, plus important, de l'est, étroite jetée de planches qui s'étendait sur plus d'un kilomètre à l'intérieur de la rade. Le mouillage des navires le long de ce dernier môle était difficile même lorsqu'une intervention ennemie ne compliquait pas les choses.

Une flotte d'une diversité inouie

Opération Dynamo en mai-juin 1940
Dès le 20 mai, la Navy avait entrepris de mettre sur pied l'opération Dynamo. Combien d'hommes réussiraient à atteindre un port par où s'échapper, on ne pouvait le prédire, mais il était clair qu'il fallait rassembler le plus de bateaux possible. L'opération s'effectuerait nécessairement dans un temps dramatiquement bref, et sous le feu de l'ennemi. Le destroyer paraissait le bâtiment le mieux indiqué pour ce genre d'entreprise. Rapide, il pouvait battre des records de navette quotidienne. Il était aussi efficacement armé contre les bombardiers en piqué. Malheureusement, sur les 200 destroyers et escorteurs que comptait la marine britannique, 41 seulement étaient disponibles. Plusieurs avaient été coulés; d'autres, en réparation, se trouvaient affectés à la défense du «Channel» (la Manche) ou éparpillés dans le monde. Il fallut donc réquisitionner des navires de toutes sortes: bateaux de plaisance, chalutiers, bateaux-pompes, antiques navires à aubes, jusqu'aux vieilles gabares à mât trapu et voilure de grosse toile qui naviguaient sur la Tamise.
Un appel fut également lancé à tous les clubs nautiques de la côte. De partout l'on vit arriver des plaisanciers avec leur yacht, certains pour le remettre à la Navy, la plupart pour demander à participer eux-mêmes à la fameuse opération.
L'armada qui appareilla le 26 mai offrait un spectacle inimaginable. Massés sur trois rangs, vedettes, cotres, bateaux de pêche et goélettes se pressaient le long des quais de Douvres comme des buveurs autour d'un comptoir.
De Folkestone, de Margate, de Portsmouth, de Ramsgate arrivait toute une flotte d'une diversité inouie. Cela ne s'était jamais vu et ne se verrait sans doute jamais plus. Il y avait là, entre autres, la canonnière du Yang-tseu-kiang Mosquito; une gabare de la Tamise, le Galleon's Reach; deux ferry-boats, le Canterbury et le Gracie Fields, qui faisaient l'un le service du «Channel », l'autre celui de l'île de Wight; une vedette, le Count Dracula, ayant appartenu à un amiral allemand avait été sabordée à Scapa Flow en 1919 et renflouée par les Anglais; l'Endeavour de Tom Sopwith, le challenger de la coupe d'Amérique; un voilier non ponté vieux d'un siècle, le Dumpling.
Les patrons eux aussi étaient différents au possible. Le yacht Sundowner appartenait à un rescapé du Titanic, le commandant C.H. Lightol ler, le plus ancien des officiers sortis vivants du naufrage. L'honorable Lionel Lambert avait gréé son yacht et emmené son cuisinier personnel. Le comte de Craven était troisième mécanicien sur le remorqueur St. Olaf. Le capitaine Jones, dit «Patate» avait, en dépit de son sobriquet bon enfant, forcé plusieurs fois le blocus de Franco avec sa Marie Llewellyn pendant la guerre civile espagnole. Il avait soixante-sept ans et portait un anneau à l'oreille. La traversée de la Manche se révéla aussi périlleuse que pouvait l'être la retraite de l'armée dans le corridor menant à Dunkerque. En haute mer, les bouées lumineuses et les bateaux-phares étaient éteints. Des mines infestaient les eaux de la Manche, et la marine britannique n'avait ratissé que trois couloirs étroits entre les côtes anglaises et le Continent. Au surplus, comme le constatèrent les premiers arrivants, l'artillerie allemande avait déjà pris appui sur la cité de Calais et des canons de fort gros calibre balayaient une très vaste étendue de la Manche.
Il existait bien pire encore: les bombardiers en piqué. Entre les hauts-fonds, juste devant Dunkerque, les bateaux avançaient difficilement. A l'approche du port, les chenaux étaient trop étroits pour leur permettre de manoeuvrer. Ceux qui forçaient la vitesse pour tenter d'échapper aux bombardiers et aux canons s'échouaient sur les bancs de sable. Leurs coques constituaient un danger supplémentaire pour tous les bateaux qui suivaient.
Pourtant, c'est par centaines qu'ils arrivèrent au but. Ils n'atteignirent pas seulement Dunkerque et sa plage, mais aussi des plages à l'écart, au nord et au sud de la ville. Avant même d'apercevoir Dunkerque, les capitaines pouvaient se repérer à l'épais nuage de fumée qui s'élevait, tel un signal, des réservoirs d'essence incendiés par les obus et les bombes des Stuka à la bordure du camp retranché!

Ils ne devaient jamais oublier ce spectacle

La plupart des installations portuaires n'étaient plus que décombres. L'une des deux jetées fermant le port proprement dit constituait l'unique ouvrage où les grands bâtiments pouvaient encore accoster. Ce môle, long d'un kilomètre, était bâti de blocs de pierre et protégé d'une épaisse garniture de brisants artificiels. La houle du large s'y précipitait et l'eau circulait en tourbillons entre ces rochers. Une plate-forme de madriers et une rambarde le recouvraient sur une bonne partie de sa longueur. Bien que cette sorte d'appontement fût suffisamment robuste, trois hommes seulement pouvaient y marcher de front. A cette époque, les marées atteignaient une ampleur d'environ 4,5 mètres. A marée haute, les hommes montaient à bord par des passerelles de fortune. Un ingénieux matelot charpentier en avait fabriqué plusieurs avec des poteaux de but de water-polo. A marée basse, ils sautaient de la jetée sur les ponts.
Du navire qui les emportait vers l'Angleterre, les rescapés voyaient leurs camarades alignés sur le môle dans l'attente de l'embarquement et ils ne devaient jamais oublier ce spectacle. La file s'étirait sur la jetée et serpentait interminablement sur toute l'étendue de la plage. Au physique comme au moral, ces hommes étaient à bout. Les visages hâves, mal rasés, sans expression, reflétaient leur fatigue. Les moins las soutenaient des camarades trop épuisés pour se tenir debout.
Lorsque les avions attaquaient, les hommes alignés sur la jetée ne pouvaient courir se mettre à couvert. Ils n'avaient d'autre ressource que de s'aplatir sur le sol en observant la direction des rafales qui leur étaient destinées. Selon l'expression d'un rescapé, les balles frappaient l'eau du port «dans un crépitement de friture.»
Après avoir piqué, les Stuka reprenaient de la hauteur, tandis que leurs bombes ravageaient le port et éventraient les bateaux. Au cours d'un raid particulièrement meurtrier, une bombe frappa de plein fouet le steamer à aubes Fenella. Il venait d'embarquer 600 hommes, dont un grand nombre fut tué sur le coup. Une autre bombe atteignit la jetée. Elle en fit jaillir des éclats de béton et de roc qui crevèrent la coque du vapeur au-dessous de la ligne de flottaison. La salle des machines fut détruite. L'eau commença à envahir la cale. L'équipage évacua les survivants par l'arrière. Certains sautèrent et coururent; d'autres furent transportés sur des brancards. L'aviation ennemie les mitrailla, mais ils réussirent pour la plupart à rejoindre l'autre bâtiment à aubes amarré à la jetée, le Crested Eagle.
Le destroyer Grenade, qui se trouvait également le long du môle, devint la proie des flammes. Ses amarres brûlèrent. Désemparé, il partit à la dérive et s'engagea dans la passe, bloquant l'entrée du port. Un chalutier fila droit sur lui. Au milieu des flammes et des explosions, il réussit à agripper le brûlot avec un filin et le prit en remorque pour dégager totalement la passe.
Le Crested Eagle passait, haletant, devant l'épave calcinée du destroyer avec à son bord les rescapés du Fenella et son propre contingent de survivants, lorsqu'un bombardier piqua droit sur lui. Il flamba d'un coup et alla s'échouer sur la plage. La plupart des hommes qu'il transportait connurent une mort atroce: ils périrent dans les flammes.
la Navy à Dunkerque pendnat la Deuxième Guerre Mondiale

Les sauveteurs tenaient bon dans l'enfer de Dunkerque

Les sauveteurs tenaient bon dans l'enfer de Dunkerque en 1940
Avec ces navires incendiés ou coulés, la manoeuvre dans le port tournait à la course d'obstacles. Malgré tout, il arrivait sans cesse de nouveaux bateaux. Les soldats avançaient toujours lentement sur le môle. L'évacuation continuait. Stoïques, obstinés, les sauveteurs tenaient bon dans cet enfer. Le sort leur offrait parfois une brève revanche. Le capitaine Duggan, qui commandait le paquebot Mona's Queen, a décrit le raid d'anéantissement au cours duquel son bâtiment fut criblé d'obus par les batteries côtières et attaqué par un bombardier en piqué. Les bateaux qui l'entouraient pointèrent leurs pièces sur le bombardier et le touchèrent. «Il s'abîma dans les flots juste devant nous, dit Duggan. Ensuite nous fûmes attaqués par un autre Junkers. Avant d'avoir pu nous atteindre, il était descendu en flammes. Nous sentîmes alors que nos nerfs commençaient à se détendre. Je constatai que le bombardement avait fortement éprouvé le système nerveux de certains de mes hommes. Moi-même, je ne me sentais pas tout à fait d'aplomb.»
Les soldats encombraient le pont de certains bateaux au point qu'il devenait impossible de mettre les canons en batterie. Un bâtiment de faible tonnage (l'un des plus petits) prit tellement d'hommes à son bord qu'il coula au fond; ses occupants regrimpèrent sur le quai. A marée basse, l'équipage renfloua le bateau, nettoya et répara les moteurs. Il quitta Dunkerque avec 300 hommes.
Ce fut le survivant du Titanic, le commandant Lightoller, qui battit le record du nombre de rescapés évacués sur bateau de plaisance. Sur son yacht de 18 mètres, le Sundowner, ayant pour tout équipage son propre fils et un scout de la mer et s'aidant d'anciennes cartes marines, Lightoller traversa la Manche, évita les bombardiers en piqué, et entra dans le port de Dunkerque. Il s'amarra à couple d'un destroyer, le long du môle, et commença à embarquer des hommes. Il les fit descendre dans la cabine et les invita à s'allonger. Il en compta 50 puis cria à son fils, qui était en bas: «Où en est-on?» «Oh, répondit ce dernier, ce n'est pas la place qui manque!» Lorsqu'il en eut compté 75, il avoua qu'il allait falloir refuser du monde. Les soldats affluant toujours, Lightoller les fit aller à l'avant où ils s'allongèrent sur le pont. «Quand il y en eut 50, dit-il en évoquant ces moments, je sentis nettement qu'il commençait à faire le délicat», expression qu'emploient les marins pour dire qu'un navire se montre rétif. Avec son chargement de 130 hommes, dans le bourdonnement des avions de chasse qui l'escortaient, le Sundowner mit le cap sur l'Angleterre.