La bataille d'Abbeville

Histoire d'une défaite

La bataille d'Abbeville bien qu'ayant constitué, selon les Allemands eux-mêmes, la plus importante offensive alliée avant la Russie, restera inconnue. Seul demeure le souvenir du courage des hommes. Même mal préparés ils s'élancèrent et des milliers moururent, C'est le prix des erreurs de la guerre.
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Les panzers sont plus rapides

La bataille d'Abbeville en mai 1940
Les Britanniques, que l'on oublie souvent, disposent de tanks rapides (de loin les plus rapides d'Europe), mais peu blindés et équipés d'armes légères. Ils sont destinés à « nettoyer » les tranchées adverses ou à éclairer le terrain. Il n'existe qu'une seule division blindée britannique. Elle est réduite, pour des raisons tactiques, à 165 chars qui débarquent à Cherbourg le 18 mai.
Au total les chars alliés, s'ils sont aussi nombreux que ceux de l'adversaire, n'ont rien de commun avec eux : les panzers sont généralement plus légers, souvent peu armés, mais ils sont plus rapides, bien ravitaillés, bien éclairés, bien appuyés par une aviation tactique et leurs transmissions radios sont parfaites. Leur infanterie, leur artillerie, tous leurs services les suivent, étant motorisés. Tout est prévu pour de longues étapes. Si les Français savent grouper des chars pour une attaque, ils n'ont pas la moindre idée de ce qu'est une unité blindée entièrement mécanisée. C'est dans ce contexte que, dès le début des combats, cinq grandes unités blindées sont perdues en Belgique : deux des quatre divisions cuirassées et les trois divisions légères mécaniques. Le 20 mai, les Alliés n'ont plus que trois grandes unités : la division blindée britannique, les restes de la 4e DCR à demi détruite à Montcornet et la 2e DCR, elle-même éparpillée après avoir subi, le 14 mai, l'attaque de Sedan. Ces deux grandes unités seront reconstituées avec des renforts réunis à grand-peine.
Ayant percé le 13 mai dans les Ardennes, trois panzerdivisions, avec Guderian en tête, atteignent le 20 mai la Manche à Abbeville, enveloppant par le sud les armées alliées du Nord. En apprenant la nouvelle, affirme un officier de son état-major, Hitler se montré « ivre de joie » : il vient, en coupant la retraite aux Alliés, d'encercler Dunkerque. Du même coup les ponts qui commandent le littoral de la Manche, face à l'Angleterre, sont à lui. Abbeville, promu au rang d'objectif stratégique, devient alors un enjeu essentiel de la guerre : conserver la ville est indispensable à la réalisation du plan d'invasion de l'Angleterre. Dans leur raid fulgurant, les Allemands établissent une série de têtes de pont au sud de la Somme. La plus importante, avec 25 km de tour, est celle d'Abbeville. Occupée le 23 par l'infanterie de Guderian, elle est reconnue le 26 par la cavalerie française accourue de Sedan où elle a beaucoup souffert.
A Arras, le 24 mai, le général lord Gort, commandant le corps expéditionnaire britannique encerclé, envisage avec les Français une percée vers le sud. Il ordonne à la division blindée britannique du général Evans, qui se regroupe en Normandie, de venir le rejoindre en passant par Abbeville.

Les chars anglais à Abbeville: des boîtes à sardine !

Les chars anglais à Abbeville
Le 26 mai la division anglaise se prépare près de Blangy et se concerte avec les Français. Le 27 à l'aube elle attaque en trois faisceaux une position qu'elle pense balayer facilement. Hélas ! C'est la consternation : des 165 tanks qui s'élancent, 40 % sont détruits en deux heures. Les blindages anglais ne résistent pas aux tubes antichars de 37 mm qui équipent l'infanterie allemande et, malgré l'indiscutable courage des tankistes, la tête de pont demeure intacte. Un tireur allemand, à lui seul, détruit 11 Mark VI-B en vingt minutes. La division anglaise ne se remet pas de ce désastre : ses débris feront retraite plus tard vers Brest et Cherbourg et rentreront, pour l'essentiel, en Angleterre. Mais la leçon d'Abbeville a porté : les chars britanniques, désormais, sont construits à la mesure de la bataille. Pour les Français, l'échec anglais est sans surprise : « Leurs tanks n'étaient que des boîtes à sardines », disent-ils en souriant.
Une seconde attaque est alors ordonnée par le grand quartier général qui insiste : il faut « attaquer, attaquer, attaquer », répète-t-il. « Abbeville, surtout ! » précise Weygand.
Reconstituée après l'attaque de LaonMontcomet où elle a perdu la moitié de ses blindés, la 4e division cuirassée du colonel de Gaulle est renforcée par de nouvelles unités venues de l'intérieur et par des chars de cavalerie neufs, mais montés par des équipages inexpérimentés. Certains pilotes n'ont qu'une heure de conduite hors des routes. Avec 190 engins, la 4e DCR constitue la plus puissante de toutes les unités blindées alliées. Elle est soutenue par une bonne artillerie et par deux régiments d'infanterie.
Si le colonel de Gaulle ne parle pas l'anglais, son prédécesseur britannique devant Abbeville ne dit pas un mot de français et les officiers de liaison sont priés de se taire : lors de la reconnaissance du terrain, à l'aube du 28, de Gaulle conçoit sa manoeuvre sans consulter personne. Son chef d'état-major, le commandant Chomel, a préparé une attaque violente, brutale, groupée, conforme aux théories à plusieurs reprises exposées par son chef. Mais en découvrant ce projet, de Gaulle, sans s'expliquer, décide, comme les Anglais la veille, d'attaquer la tête de pont en trois faisceaux concentriques. Il est donc décidé que l'on s'élancera le soir même, à 17 heures : maître de l'attaque, maître de l'heure, de Gaulle conduit la manoeuvre avec succès. L'infanterie de Guderian a été relevée la nuit précédente par la 57e division d'infanterie bavaroise. Partout, elle craque. La nuit tombe. A l'aube du 29, l'effort recommence. Il faut maintenant affronter les canons de Flak antiaériens qui ont été réorientés pour pouvoir tirer, à l'horizontale, douze tubes redoutables installés la veille au coeur de la tête de pont. Ces 88 mm sont capables de percer vingt centimètres de blindage à 1 800 mètres.
Lorsqu'ils se démasquent, l'attaque française ralentit. Bientôt elle s'arrête. Pourtant elle a réussi. L'infanterie allemande, prise de panique, s'est enfuie, abandonnant une position dans laquelle seule demeure l'artillerie dont les tirs ininterrompus masquent une situation devenue dramatique. Va-t-on gagner ? On le pourrait : 1 200 dragons français attendent, l'arme au pied, d'avancer. Mais ce succès, l'eût-on connu, reste inexploité. Les Français n'ont ni radio ni téléphone. Ceux qui voient restent muets et ceux qui décident ne voient pas.
Les Allemands, repris énergiquement en main par leurs chefs, réoccupent bientôt leurs positions face aux forces françaises immobiles. Le 30, malgré une réunion d'état-major au cours de laquelle de Gaulle demeure muet, sourd à tout conseil de manoeuvre, la 4e DCR s'élance pour un dernier assaut, mais l'occasion est passée, nos forces diminuent, les chars s'épuisent dans des efforts répétitifs et meurtriers.

La percée du colonel Perré

Le soir du 30, la tête de pont n'ayant été reconquise qu'aux deux tiers, de Gaulle, qui voudrait poursuivre, reçoit du commandement de la 10e armée dont il dépend, l'ordre de s'arrêter. Il se retire, remplacé par une unité britannique d'infanterie motorisée « fraîche et pimpante », selon ses propres termes, la division écossaise du général Fortune, qui vient de l'est. L'on a, contre Abbeville, déjà « cassé » deux divisions blindées.
Or l'offensive générale allemande vers le sud est imminente, tout le monde le sait : au nord, Dunkerque va tomber et le flot énorme des forces allemandes va attaquer de Sedan à la mer, tout au long de la ligne Weygand. Ce jour-là, demain peut-être, on aura besoin de toutes les unités mobiles cuirassées pour se battre, et elles sont terriblement diminuées par les pertes de Belgique et les combats de la Somme. Dans ces conditions, faut-il poursuivre ces attaques contre Abbeville qui, au grand quartier, tournent à l'obsession ? Faut-il engager la dernière unité blindée qui reste, la DCR du colonel Perré ? On estime, à La Ferté-sous-Jouarre, que l'enjeu en vaut la peine : le 4, avant l'aube, l'attaque reprend donc.
Les troupes écossaises exploitent la percée des chars du colonel Perré, un ardent défenseur du char d'infanterie. Il attaque avec des engins fatigués, mais des équipages pleins d'allant. Parvenu devant Abbeville le jour même où de Gaulle s'en va (il va être nommé, le 5, secrétaire d'Etat à la Guerre), c'est la conception du général Fortune qui est appliquée. Elle reprend le plan de De Gaulle, qui n'est pas consulté. Les mêmes causes provoquant les mêmes effets, cette troisième offensive connaît le même échec : si certains chars ont occupé la position allemande et chassé leurs occupants, leur succès remarquable est demeuré inexploité, inaperçu des chefs, faute, encore, de transmissions radios. Une seconde fois, nous laissont échapper la victoire.
chars français à la bataille d'Abbeville en mai 1940

Pourquoi ce dramatique échec ?

Le lendemain, 5 juin, l'attaque générale allemande balaye, de Sedan à la mer, la ligne de défense française provoquant la débâcle. A Abbeville, avec 500 chars, les Alliés avaient la suprématie matérielle : les Allemands n'ont disposé à aucun moment d'aucun blindé et, pratiquement, d'aucun avion. Ils n'ont tenu une position immobile qu'avec des fantassins et des canons. Pourquoi ce dramatique échec ? Manque de chars ? Bien sûr que non. Manque de courage ? Sûrement pas : l'état des pertes (260 engins détruits, plus de 2 000 hommes tués) montre nos vertus militaires. Manque de transmissions ? C'est criant : il fut déterminant dans les échecs. Manque d'initiative et de sens de la manoeuvre de la part des chefs ? A l'évidence. Manque de puissance ? C'est possible : nous avons attaqué en trois vagues et n'avons pas su estimer la capacité de résistance adverse.
En tous cas, ni la théorie anglaise d'emploi des unités blindées, ni la conception française du char endivisionné, ni celle du char d'infanterie n'ont fonctionné. La leçon est claire ; en 1940 nous ne savions plus manoeuvrer, transmettre des ordres, inventer, faire la guerre. C'est de savoir-faire dont il s'agit.
"Les chars anglais utilisaient mal leurs qualités d'agilité et de rapidité. Ils négligeaient les défilements pour atteindre leurs objectifs et pris sous le feu, ils avaient tendance à ralentir, à observer, s'arrêter même, pour mieux ajuster leur tir, s'exposant aux obus perforants.
lis agissaient avec une désespérante discipline. Ils auraient du papillonner, voltiger, tirant de leurs mitrailleuses. Les PaK avaient le temps de les viser et de tirer. Les obus pénétraient d'un côté et ressortaient de l'autre. Les chars flambaient
et l'équipage était tué ... il y a eu une casse absolument effroyable .
"
A la décharge des équipages, ceux-ci ont été victimes d'un matériel défaillant. Les 300 kilomètres pour monter au front ont usé les garnitures de frein. Il devient difficile de manoeuvrer. La tâche des pointeurs allemands en est facilitée. Nombreux sont ceux qui doivent être abandonnés à cause de pannes. Onze Cruisers et sept Mk VI sont perdus, 50% des engagés.
Témoignage
Témoignage d'un lieutenant français