Bombes au stade
Depuis l'arrivée des paras, l'aspect européen, le charme des filles de son réseau ne suffisaient plus pour permettre de sortir bombes et armes. Au contraire. Sous l'effet de la torture, ceux qui étaient au courant des activités de Djamila Bouhired, Zohra Drif et Djamila Bouazza avaient dû donner leurs noms et leur signalement. Yacef leur interdit désormais de sortir de la Casbah. Des nouveaux exécuteraient les attentats qu'il avait projetés pour ce 10 février : deux filles, Baya Hocine et Djouher Akhrour, et deux garçons des groupes armés. Chaque couple poserait sa bombe. Mais où ? Le centre d'Alger devenait maintenant dangereux. Il fallait ouvrir sacs et paquets à l'entrée des lieux publics. Comment frapper les Européens sans trop de risques ? Yacef se souvint de son ancienne passion, le football.
Ce dimanche 10 février, on jouait à El-Biar et au stade municipal de Belcourt. Les deux stades seraient bondés car il faisait beau. C'est là que Yacef décida de frapper une nouvelle fois. Plus le coup serait dur, plus la population musulmane comprendrait que le F.L.N. était loin d'être démantelé comme disaient les parachutistes.
Yacef fit sortir les engins par la boulangerie de Hamid Chibane, boulevard de Verdun. La boulangerie de Hamid avait une entrée à l'intérieur de la Casbah et une autre sur le boulevard de Verdun. Cette particularité avait échappé aux soldats qui avaient bouclé le quartier maure et Yacef avait réservé ce passage pour Ben M'Hidi et pour la sortie d'armes et de bombes. Les terroristes, eux, passaient par les contrôles habituels munis de fausses identités s'ils étaient recherchés. Les trois bombes quittèrent sans encombre la Casbah sous le bras d'un livreur venu chercher son pain.
Les cris de joie des supporters montaient du stade d'El-Biar. Tout au haut de la tribune au dernier rang, adossée à la balustrade de ciment, Baya  se serra contre Belamine Mohamed. Elle portait une jupe à carreaux et une veste beige. Ses lunettes vieillissaient à peine son visage enfantin. Elle avait seize ans. Son compagnon, une vingtaine d'années. Comme il faisait beau, Belamine avait enlevé sa veste de tweed noir et blanc moucheté de vert et l'avait posée sur ses genoux. Il avait passé le bras sur les épaules de Baya et l'avait attirée contre lui. Discrètement, sous son pullover, Baya dégagea une des deux bombes qu'elle tenait fixées sous les seins par un foulard et la glissa dans la poche de Belamine. Puis elle quitta son compagnon. Elle devait remettre la deuxième bombe à un autre complice qui l'attendait en bas. Celui-ci, Boudjema, refusa de la prendre et s'en alla. Baya, désemparée, glissa la bombe dans un tas de détritus qui garnissait les W.-C. du stade. Puis elle sortit.
Au haut des tribunes, Belamine avait à son tour quitté la banquette de ciment, abandonnant sa veste comme pour marquer sa place. Un gamin de treize ans, Robert Giraud, profita de l'aubaine et, par mégarde, s'assit sur la veste. Il sentit quelque chose de dur et de peur d'être grondé vint se rasseoir aux pieds de Robert Bachelier, un voisin de ses parents, qui l'avait emmené au stade. Et il se passionna à nouveau pour le match.
A la même heure, à la buvette du stade municipal, Djouher Akhrour, dix-huit ans, glissait une bombe dans la veste de son compagnon Ahal Boualem. Celui-ci regagna sa place à la tribune d'honneur et enleva sa veste avant de s'asseoir. Dix minutes plus tard, Ahal quittait à nouveau sa place, provoquant l'impatience de ses voisins. Lui aussi avait oublié sa veste.
A 16 h 15 les bombes d'El-Biar éclatèrent, créant une panique effroyable sur les gradins du stade. A 16 h 30, la scène se renouvelait au stade de Belcourt. 10 morts, 36 blessés dont beaucoup furent amputés. Immédiatement paras, territoriaux, C.R.S. bouclèrent les stades, mais on ne trouva rien. Si ce n'est les corps lynchés de deux musulmans. Un suspect et le vendeur d'esquimaux glacés... A l'hôpital de Mustapha, le sous-brigadier Casanova, blessé, effondré, apprenait la mort de son fils, son petit Roger, neuf ans. Ses neveux Louis, neuf ans également, et Jean-Claude, huit ans, étaient blessés.Les paras n'étaient pas venus à bout des bombes de Yacef mais les bombes de Yacef n'allaient pas faire lâcher les paras.
Baya Hocine
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