Les zones interdites
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L'une des principales mesures de la pacification avait été le développement de zones interdites. Qu'une région soit particulièrement pourrie, que le rebelle s'y déplace en maître, bénéficie de l'appui volontaire ou non de la population, puisse, grâce à la configuration du sol, monter des embuscades payantes sur les quelques pistes qui la sillonnent, puis se réfugier dans le djebel, voilà qui était intolérable. Puisqu'on ne pouvait mener une guerre classique dans une région où camions et blindés s'enlisaient, puisque le contingent n'était pas entraîné à la guérilla, qu'on ne pouvait le faire circuler à pied en tous sens comme faisait le rebelle, il n'y avait qu'à interdire la zone à toute circulation. C'était simple, il fallait y penser. Et certains colonels, chez Salan, avaient résumé leur politique dans cette définition qu'ils trouvaient fort à leur goût :
Ah ! dans telle région les fellaghas se déplacent parmi la population comme des poissons dans l'eau ? Eh bien, vidons l'eau ! Ils crèveront dans leur bocal.

Le Gouvernement général et l'état-major estimèrent que la méthode pouvait être efficace. Alors commença la grande migration. Dans l'Aurès, dans le Constantinois, dans l'Ouarsenis, dans le djebel de Blida on délimita des zones interdites. Et l'on évacua les populations, qui abandonnèrent leurs champs et leurs troupeaux. Plus question de culture ni d'élevage. Le fell devait crever de faim. Plus question non plus qu'il trouve un abri. Alors on arracha les toits des gourbis parce que raser les villages demanderait du temps et ferait mauvais effet sur l'opinion publique. Et l'on regroupa ces malheureux paysans qui venaient de perdre tous leurs biens. Quelle importance puisqu'on les relogeait, puisqu'on leur donnait à manger. Au contraire, ils gagnaient au change, expliquaient les promoteurs du plan, ils quittaient de misérables et ignobles gourbis et trouvaient dans des camps propres et aérés des maisons en dur avec un robinet d'eau dans la rue et non plus la source au bas du village. Que pouvaient-ils réclamer de plus ? En outre, ils étaient enfin protégés des méfaits quotidiens du F.L.N. qui les pressurait, les terrorisait. Ils ne risqueraient plus d'être pris dans ce combat sans merci que l'armée livrait à la rébellion.

camp de regroupement

Les zones ainsi vidées de leur population, on pouvait enfin employer les moyens que l'on connaissait bien et auxquels on était habitué. Pilonnage d'artillerie, bombardements au napalm. On tire à vue sur tout ce qui bouge sans risquer de bavures avec la population. Puisque désormais, dans ces zones, tout ce qui bouge est rebelle ! Voilà un plan qui risquait de donner des résultats sensationnels. D'autant qu'à Alger le Service d'action psychologique, qui jouait dans le plan de la pacification un rôle prépondérant, voyait dans ces populations enfin regroupées une masse à conquérir facilement. On les avait sous la main, on les soignait, les logeait, les nourrissait... Enfin ils nous écoutaient, ces braves musulmans complètement égarés dans un conflit qui les dépassait, ces braves gens qu'on avait tant négligés et qui, enfin, bénéficiaient de tous les avantages du monde moderne ! Les camps de regroupement furent donc installés autour des S.A.S., protégés par un poste militaire où flottait le drapeau tricolore et où l'on diffusait la bonne parole.

camp de déplacés en algerie
Les familles s'installèrent. Les femmes découvrirent le progrès : les maisons en dur avec une courette et deux ou trois pièces, le robinet qu'il suffit de tourner pour que l'eau jaillisse. Elles disposèrent les paillasses, les quelques trésors de l'ancien gourbi. Dans les meilleurs des camps les gosses furent immédiatement scolarisés par de braves militaires. Dans la journée ils quittèrent la maison. Et les femmes attendirent, assises dans leur coin. On apportait à manger, on distribuait de la semoule, des vivres. Elles reçurent parfois la visite d'assistantes sociales. La vie s'organisa, réglée par les différents services d'assistance : nourriture, soins, école et propagande. Les hommes, eux, quand ils n'avaient pas fui le ratissage pour se réfugier au maquis, se réunirent sûr la place. Assis sur les talons. Fellahs sans champs, bergers sans troupeaux, soignés, nourris, éduqués... Et fatalistes ! Pour des centaines de milliers de personnes en Algérie la longue attente commença. On avait simplement oublié qu'il ne suffisait pas de nourrir les hommes mais qu'il fallait les occuper. Il y eut bien sûr des exceptions, des régions où l'officier S.A.S. parvint à trouver des terres, à reconstituer des troupeaux. Où il permit à ceux dont les champs n'étaient pas trop éloignés d'y travailler dans la journée si aucune opération n'était prévue dans le secteur. Mais tous n'eurent pas cette chance, ou cette volonté. A la fin de l'année 1957, l'Algérie était parsemée de camps de clochards qui attendaient la soupe. Trois cent mille personnes pour le seul Constantinois !
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