La mère. Personnage essentiel de la famille musulmane. Elle élève les fils et, plus tard, règne sur la bru. En Kabylie, et dans l'Aurès, c'est elle qui, devenue vieille quand on l'appelle la Tamaghart, détient la clef de l'armoire aux aliments. On sait ce que cela veut dire, dans les familles où la pitance est rare.
La rébellion de novembre 1954 ne prendra pas de court la femme de l'Aurès, et pour cause. Dans son pays, le hors-la-loi, le bandit d'honneur, représente depuis toujours la silhouette sociale idéale. On lui dédie des poèmes. Il est le héros de ces cours d'amour qui se tiennent en pays chaouïa. Chaouïa, c'est le terme que les Arabes appliquent aux Berbères de l'Aurès, « éleveurs de petit bétail ». Son relent péjoratif fait que les Aurésiens ne l'emploient jamais pour se désigner eux-mêmes.
La femme chaouïa préside aux cérémonies où les rites saisonniers et les pratiques mystérieuses alternent, appelant sur l'homme et ses biens la protection divine. Cette aura de sorcellerie lui confère un pouvoir tel que, si l'homme reste en titre le chef de famille, la femme de l'Aurès impose presque toujours sa décision. En elle, sommeille une Kahena, ancêtre légendaire dont le nom signifiait magicienne et qui, quelque huit siècles après Jésus-Christ, souleva les tribus chaouïas contre les Arabes, jusqu'à la conquête totale du Maghreb. L'Aurésienne n'est pas cloîtrée et, de même que la femme kabyle, elle n'est pas voilée. Cela tient au fait qu'elle assume hors de son foyer des travaux virils, cultivant les jardins étagés à flanc de montagne, portant l'eau, à l'antique, dans une cruche d'argile remplie à la source, ployant sous les charges de bois. Grande, le visage et le corps abondamment tatoués, elle s'habille de lourdes robes noires aux broderies éclatantes et se pare de bijoux de corail et d'argent qui ont un sens symbolique. Sa liberté prend des formes insolites. Ainsi, dans son ménage, elle peut user du droit de fuite, quitter son époux, aux beaux jours, pour rejoindre un homme de son choix. Certes, elle sera répudiée, mais le village ne lui. jettera pas la pierre pour autant. Elle deviendra une azryet, ces amoureuses des nuits d'été, poursuivant leurs romances dans les vergers qui cernent les maisons. L'hiver venu, elle rentrera chez ses parents et pourra se remarier. En général, avec un vieillard cossu, quitte à l'abandonner, le printemps revenu.