Bombarder la place du Cheval à Alger
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A 16 h 15 la place du cheval, comme l'appellent les musulmans, faisant allusion à la statue équestre du duc d'Orléans, symbole de la colonisation, qui se dresse en son centre, grouillait d'une foule compacte descendue de la Casbah. La place du Gouvernement borde la basse Casbah, c'est le lieu de promenade préféré des Algériens, un lieu de passage aussi pour les habitants du quartier indigène qui descendent en ville. Les hommes y bavardent ou y jouent au tchic­tchic, les conteurs y racontent de longues histoires sous les yeux étonnés des enfants. C'est le royaume des marchands de beignets et des yaouleds (les petits cireurs).
Quatre obus de 60 ont explosé au milieu de cette multitude colorée. La panique a saisi la foule. En un instant la place était nette. Il n'y restait que les éventaires renversés, les beignets qui flottaient dans l'huile et le miel, et 65 corps qui se vidaient de leur sang. Les sauveteurs ont relevé 5 morts et 60 blessés, la plupart très grièvement.
La résistance réelle commencera après la grève de vingt-quatre heures avait annoncé un tract de l'O.A.S. Elle tient promesse. C'est le début de la folie.
L'O.A.S. sait qu'elle joue sa dernière chance après les accords d’Evian. La plupart des Européens sont de coeur avec elle, mais elle les voudrait actifs, déchaînés, elle veut qu'ils se mouillent, tous sans exception. Le plan établi par les plus activistes de l'état-major de l'Organisation secrète est simple. Il faut amener les musulmans à descendre sur les quartiers européens. Il faut que le service d'ordre F.L.N., qui tente désespérément de contenir cette poudrière qu'est la Casbah, soit débordé. Il ne restera plus à l'armée qu'à choisir : tirer sur la foule musulman ou abandonner lesEuropéens.
Deux avantages immédiats pour l'O.A.S. : faire basculer cette armée où elle compte certains amis sûrs et beaucoup de sympathisants et contraindre tous les Européens à se défendre, à se faire du raton. Que vaudraient dans cette anarchie les 93 feuillets des accords d'Evian ? Chiffon de papier !

foule arabe pendant la guerre d'algerie

Le plan faillit réussir. Les blessés et les morts ne sont pas encore relevés place du Gouvernement que la nouvelle de l'attentat O.A.S. se transmet de bouche à oreille, de ruelle à terrasse dans toute la Casbah si proche. La rumeur grandit, on entend les you-you des femmes qui appellent à la vengeance. Les ruelles se remplissent d'une foule qui ne contient plus sa colère. Une marée humaine, où se mêlent les haïks blancs, les djellabas, les chemises à l'européenne, s'avance, menaçante, vers les barrages militaires, hâtivement constitués. Les zouaves et les bérets noirs du contingent ont les doigts crispés sur la crosse de leur fusil, sur la culasse de leur mitraillette. Un coup de feu suffirait.
Il y a un sous-officier musulman encerclé par la foule qui veut lui faire un mauvais sort. Il brandit son revolver, va tirer quand un commandant français, magnifique de sang-froid, bondit et l'étend d'un crochet du droit. Instantanément la foule se calme. Plus loin c'est un groupe du service d'ordre du F.L.N. qui vient au secours d'une patrouille de zouaves en difficulté. Les F.L.N. persuadent les gens de rentrer chez eux et emploient avec les récalcitrants la manière forte. Poings et gourdins entrent en action. Le prestige des hommes du F.L.N. et le brassard vert et blanc ont suffi. La foule se disperse. En dix minutes, par deux fois, on a été au bord de la catastrophe. C'est un miracle. On ne pourra le renouveler tous les jours.

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Terrorisme du désespoir