L'enfer à Alger
rideau
attentats pendant la guerre d'algerie

Février-mars 1962... Les commandos O.A.S. se déchaînent à travers Alger, multipliant les attentats. Le plus doux des printemps voit s'accomplir la plus sanglante des boucheries. Cela se passe là, dans la rue, sous les yeux des passants et aux heures d'affluence de préférence. Ainsi les tueurs peuvent-ils disparaître plus aisément en s'évanouissant dans la foule.
Les flaques de sang maculent les trottoirs. On enjambe les cadavres... Les tueurs vont par trois en général. Le premier glisse le pistolet dans la main du second et s'en sépare. Celui-ci dépasse la victime désignée, se retourne, tire une fois, deux fois, visant la tête, à bout portant. Puis il passe l'arme à un troisième et s'éclipse. Et c'est ainsi du matin au soir. Dans le centre de la Ville blanche, les voitures de police sillonnent Alger dans un miaulement de sirènes. Autour de chaque victime un rassemblement de curieux se fait et se défait. Aux attentats de l'O.A.S. répondent ceux du F.L.N. Et certains soirs, pour la seule ville d'Alger, le tragique bilan se solde par plusieurs dizaines de victimes.
Le 27 février, les tueurs frappent ainsi quinze fois en moins d'une heure dans le centre, laissant derrière eux 13 morts et 6 blessés. Et cela dans un rayon de cinq cents mètres environ autour du principal carrefour d'Alger. Le même jour, un commando attaque, au bazooka cette fois, la caserne des gendarmes à Maison-Carrée. Le feu qui se déclare aussitôt gagne un dépôt d'essence et de munitions. Pendant une partie de la nuit un formidable feu d'artifice embrase le ciel de la banlieue.  Les commandos Delta qui s'en prennent aux musulmans procèdent parfois par série. Ce n'est plus alors du terrorisme aveugle, mais du terrorisme dirigé. Il y a, par exemple, la journée des facteurs : le 22 février quatre employés des P.T.T. sont tués, un cinquième est grièvement blessé, alors qu'ils effectuent leur tournée. On ramasse les corps gisant au milieu des lettres et des télégrammes échappés des sacoches et tapissant le sol.
Pourquoi les facteurs? On assure dans les milieux activistes que les postiers algérois colportent les tracts et les mots d'ordre du F.L.N... Mais on observe que la sanglante journée des facteurs a fait suite aux attentats dirigés contre les traminots, les médecins, les cheminots, les employés d'Électricité et Gaz d'Algérie. Le but poursuivi semble bien être en fait de provoquer des grèves pour désorganiser la vie d'Alger et aggraver le malaise des populations.
Après les facteurs, c'est au tour des fleuristes, qui sont abattus, autour des marchés, sur leurs étals de roses et d'oeillets. Puis celui des coiffeurs et des préparateurs en pharmacie : en moins d'une demi-heure cinq d'entre eux sont assassinés dans leur officine. Enfin, celui des femmes de ménage musulmanes qui s'aventurent encore en ville européenne : les tueurs n'hésitent pas à étrangler des fatmas dans les couloirs des immeubles...

Frapper les imaginations, se rappeler à l'attention des Algérois par des actions spectaculaires est une des constantes préoccupations de l'O.A.S. Soit qu'elle attaque au bazooka la Délégation générale, soit qu'elle se livre à des mises en scène grand-guignolesques comme c'est le cas le 10 mars à Bab-el-Oued.
Ce jour-là, en plein midi, le corps d'un homme nu apparaît subitement, pendu à 15 mètres du sol, rue du Roussillon, au coeur du fief activiste, très animé à cette heure de la journée.
Le cadavre est suspendu à un système de roulettes glissant le long d'un filin tendu entre deux immeubles. Il se balance là-haut pendant plus d'une demi-heure en plein soleil avant que les pompiers n'interviennent. Dans la rue, la foule, têtes levées, crie : C'est une barbouze, c'est une barbouze !
La victime de cette macabre exécution, qui rappelle les atrocités du Ku-Klux-Klan, porte, peinte au goudron sur le corps, l'inscription « L'O.A.S. veille ». C'est le quatrième cadavre découvert nu, badigeonné de goudron ou de mercurochrome, en moins d'une semaine à Alger.
Les commandos de l'O.A.S. frappent encore cruellement le 15 mars à l'aube, à Hussein-Dey. Il est 6 h 30. C'est encore la nuit. La foule des travailleurs matinaux stationne devant l'arrêt d'autobus de la Glacière, rue de Constantine.
Soudain une voiture blanche freine et s'arrête le long du trottoir à deux mètres de la guérite. Du véhicule un homme descend. Il tient à la main un pistolet mitrailleur. Avant même que les usagers de l'autobus aient pu réaliser ce qui se passe, le tueur, d'un geste large, ouvre le feu de droite à gauche, à moins de trois mètres de ses victimes. Il vide un chargeur, puis un autre. En face de lui, les hommes, les femmes tombent comme des quilles. des hurlements s'élèvent. Des hommes courent à toutes jambes dans toutes les directions pour essayer d'échapper aux balles. Mais le tireur les poursuit de ses rafales, vidant de nouveaux chargeurs. Tout cela a duré une minute. L'homme du pistolet mitrailleur a tout fauché autour de lui. Il remonte paisiblement dans sa voiture laissant derrière lui une dizaine de cadavres, des moribonds qui râlent, des blessés qui se traînent dans des flaques sanglantes

Trois hommes armés font irruption dans un bâtiment installé sur la route de Ben-A knoun, à El-Biar, où se tient une réunion des centres sociaux. Dix-huit personnes sont rassemblées là, dont l'écrivain kabyle Mouloud Feraoun.
L'un des O.A.S. sort un papier de sa poche et appelle les noms de sept personnes dont la première, Petitbon, commissaire à la Jeunesse, est absente. Les six autres sont emmenées.

Les choses vont très vite. Les armes automatiques crachent une centaine de balles. La poitrine broyée par une rafale de fusil mitrailleur, Mouloud Feraoun (haut) tombe le dernier. Pourquoi ces exécutions ? Pour l'O.A.S., il ne fait pas de doute que l'activité des dirigeants des centres sociaux recouvre une action politique favorable au.F.L.N.
L'oeuvre de Feraoun est significative de la culture originale qui s'est développée sur la terre d'Algérie. Sa mort fait songer au geste des Barbares qui brûlaient les temples, les bibliothèques, les témoignages de l'intelligence qu'ils rencontraient sur leur passage.
Emmanuel Roblès, son voisin et son ami en Algérie, a dit de Mouloud Feraoun :  C'était un merveilleux conteur et nous pouvions passer la nuit à l'écouter. Il était patient, généreux, obstiné, tout imprégné des vertus de ces montagnards de Kabylie épris d'honneur et de justice.
Il avait une telle prescience de sa fin que, le 14 mars, veille de sa mort, il entraîna sa femme au fond du jardin pour lui faire ses plus pressantes recommandations en cas de malheur. Le même jour, Mouloud Feraoun écrivait à la dernière page de son journal : « Je ne veux pas mourir... »
Les victimes d'El-Biar ne pouvaient être considérées comme des extrémistes. La plupart s'étaient seulement consacrées, suivant le principe même des centres sociaux, à établir un pont entre l'Algérie  d'hier et sa misère et un pays adapté à la vie moderne.

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Oran aussi vit ses heures chaudes, Oran, véritable poudrière prête à exploser à chaque instant. Oran, ville malade qui cherche son remède dans la violence. Le centre européen est pratiquement sous l'autorité de l'O.A.S., présente dans les administrations, dans la rue, dans les bureaux des entreprises. C'est là que se préparent les attentats comme celui qui, le 21 mars, fait 23 morts et 32 blessés.
Il est 16 heures, ce mercredi, et de nombreux promeneurs déambulent, boulevard Joseph-Andrieu, large artère qui traverse le quartier musulman de la Ville-Nouvelle. 75 000 habitants grouillent dans ce village nègre, cette casbah d'Oran. 28 000 au kilomètre carré!...
C'est le ramadan. Les portes des cafés maures sont closes. Tout le monde est dans la rue. Soudain, à quelques minutes d'intervalle, deux énormes explosions secouent le quartier. Deux obus de 105, déposés dans deux véhicules, viennent de sauter. A l'entour, des corps mutilés, des membres arrachés jonchent le sol. Sous la violence de la déflagration, des maisons s'écroulent dans un nuage de poussière. Les gens fuient dans toutes les directions. Les blessés hurlent de douleur, se traînent dans le sang... Vision de cauchemar...
Conséquence de ce massacre, l'émeute gronde en Ville-Nouvelle, où la troupe dépêchée sur les lieux est prise à partie par les musulmans déchaînés. Aux 23 morts, aux 32 blessés ramassés après les explosions, il faudra ajouter, en fin de journée, une quinzaine de victimes supplémentaires atteintes par les balles tirées de part et d'autre.

Le 21 mars, toujours à Oran, la guerre civile fait rage pendant deux heures à la suite de la saisie d'un poste émetteur O.A.S. L'appareil, qui diffusait comme chaque jour une émission pirate, a été repéré un peu plus tôt par un hélicoptère de la gendarmerie, en plein centre de la ville, rue du Fondouk ou rue Cavaignac.
Aussitôt une opération est montée. Gendarmes mobiles et C.R.S., accompagnés de véhicules blindés, entreprennent une vaste perquisition dans ce périmètre. Mais il s'agit du fief de l'O.A.S. C'est le Bab-el-Oued d'Oran, véritable guêpier où les armes sortent de partout lorsque les hommes du service d'ordre s'approchent. Les premiers coups de feu claquent. Tirés par qui ? Nul ne peut le dire. Mais en un instant les balles sifflent de toutes parts et l'affolement est général. Bientôt, les mitrailleuses lourdes entrent en action, les grenades explosent. La bataille de rue dure ainsi de longues heures, faisant encore des morts, encore des blessés.

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Terrorisme du désespoir