Bab el Oued encerclé
rideau
bab el oued et oas

Ailleret avait le feu vert. Les 13 tués et les 75 blessés de la journée, résultat de l'application de la première partie de la directive n° 29 de Salan, lui donnaient tous les droits. Le moment était venu d'utiliser les fameuses réserves qu'il n'avait jamais voulu employer dans la ville. Morin, qui les avait tant réclamées, ne les verrait pas en action. Il avait quitté Alger le jour même, remplacé par Christian Fouchet, nommé haut-commissaire.
Bab-el-Oued, encerclé, puis investi, fut soumis au couvre-feu permanent. Les ménagères eurent une heure par jour pour faire leurs courses. A la demande de la Croix-Rouge, des ambulances sillonnèrent le quartier populaire pour emmener les blessés. Elles revinrent bredouilles. Les pieds-noirs conservaient leurs blessés et leurs morts. On ne sut jamais le chiffre exact des pertes civiles du 23 mars 1962. Au bas mot, vingt morts et quatre-vingts blessés.
Cinq bataillons des réserves du corps d'armée d'Alger interdirent à quiconque d'entrer ou de sortir de Bab-el­Oued. Alors commença la grande fouille. Six escadrons de gardes mobiles, deux compagnies de C.R.S., deux bataillons d'infanterie, deux sections de grotte et deux équipes de détection des transmissions, appuyés par deux régiments blindés passèrent le quartier au peigne fin. Pendant le blocus 7148 appartements furent « visités » et 3 309 hommes et adolescents arrêtés et envoyés en centre de transit pour « vérification d'identité ».

Pendant quatre jours les gendarmes firent payer en bloc leurs morts du 24 janvier 1960 et ceux des dernières semaines. Derrière leur passage ce ne furent qu'appartements dévastés, postes de télévision enfoncés, armoires brisées, linge répandu. Après le combat, le cataclysme.
Les malheureux pieds-noirs, cloîtrés dans les ruines de leur appartement, n'avaient plus le droit de sortir, pas même celui de paraître à leurs fenêtres ou à leurs balcons. Leur quartier jadis si joyeux présentait un aspect lamentable. Trottoirs jonchés d'ordures, voitures écrasées par les chars, fils des trolleys et du téléphone pendant lamentablement sur les façades écaillées par les obus de 37 et les balles de mitrailleuses lourdes.
En fait de camp retranché, d'Etat dans l'Etat promis par Achard et l'O.A.S., Bab-el-Oued n'était plus qu'un quartier dévasté par la guerre civile où hommes et femmes, abattus, désespérés, pleuraient leurs morts et le fol espoir perdu. Pour la première fois ils se sentirent réellement abandonnés. Brutalement, le voile s'était déchiré. Tous les mots d'ordre, toutes les images factices, tous les slogans qu'on leur avait jetés en pâture pour masquer la réalité tombaient en poussière.
« Nos - frères - musulmans - qui - suivraient - le - plus - fort » étaient là à deux pas, dans la casbah, masse hostile qui entendait elle aussi faire payer ses morts, venger ses fatmas étranglées, ses ouvriers lynchés, ses marchands des quatre-saisons poignardés.
« L'armé-qui-ne-nous-quitterait-jamais » n'existait plus. Envolés, la 10' D.P. et ses paras, la légion et ses bérets verts ! Ne restait qu'une armée inconnue à laquelle on avait voulu comme jadis imposer sa loi. Mais cette armée nouvelle avait changé. Elle ne tolérait pas que l'on tue les siens. Elle n'hésitait plus à intervenir.

Prompt à l'enthousiasme, Bab-el-Oued ne l'était pas moins au découragement. Ses habitants s'y plongèrent avec une sorte de frénésie. Personne ne trouva grâce à ses yeux. Pas même l'O.A.S. Les Jésus, les tueurs de Jacques Achard, on les avait aperçus au début. Et puis après, pfuitt'... envolés. Les Salan, les Susini, tous les colonels qu'on aimait tant, vous les avez vus, pendant la bataille ?
Bab-el-Oued, le centre de la résistance, la ville était brisé. Définitivement. Devant la réalité, les rodomontades d'hier paraissaient bien vaines. On ne le disait pas mais on le pensait. Les Français d'Algérie n'étaient pas faits pour la guerre civile. Sur les 674 revolvers et fusils de guerre saisis, peu..., bien peu, avaient servi. Presque pas ! On avait trouvé des grenades par centaines. Intactes.
Faute d'avoir su s'entendre avec les musulmans et de construire l'avenir avec eux, il fallait penser à partir. Le ressort était cassé. Jamais plus on ne pourrait le remonter. Du sommet de l'excitation activiste Bab-el-Oued passa à l'apathie. Le « coeur d'Alger » ne battait plus à l'unisson de l'O.A.S. Hernandez était démobilisé.

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