Assassinat de maître Popie
rideau

Sous les projecteurs, le front de M' Popie se perle de sueur. Est-ce la chaleur ou la conviction qu'iL veut à toute force faire passer dans sa brève déclaration ? Sur le sol de son bureau des dizaines de mètres de câbles traînent, emmêlés. Ils courent de la caméra au magnétophone et à la batterie. Derrière l'Arriflex, assis sur une caisse, l'oeil vissé au viseur, le cameraman cadre en gros plan l'avocat libéral. Le casque aux oreilles l'ingénieur du son surveille l'aiguille du modulomètre de son magnétophone. Le reporter de Cinq Colonnes à la Une,  l'émission d'information la plus célèbre de la télévision française, celle qui tous les mois fait le plein devant les petits écrans, poursuit son interview.
Maître Popie, dit-il, pensez-vous que l'on puisse trouver dans la population européenne d'Algérie des promoteurs pour une politique libérale ?
Sans difficulté. En ce qui nous concerne, les cadres d'un futur parti libéral existent. Ce que nous demandons simplement pour embrayer sur l'opinion, c'est la possibilité d'expression à la fois par la presse et par des réunions publiques.

OAS

Déjà plusieurs réunions avaient eu lieu. Le thème de la discussion avait été : défendre par tous les moyens les Européens dans une Algérie indépendante et, pour leur y trouver une place, les séparer des plus activistes d'entre eux.
Pensez-vous, poursuit le reporter, qu'avec des réunions publiques et de l'information politique comme vous dites vous-même, on arrivera à rassurer la population de Bab-el-Oued ?
C'est pour l'avocat le moment d'exposer devant des millions de Français ce que peut être l'avenir de l'Algérie. C'est l'occasion de tenter d'amener les plus influents de ses compatriotes à aider son mouvement.
Certes, répond M' Popie, nous savons qu'actuellement nous sommes totalement dépourvus de moyens d'expression. Nous n'embrayons que très peu sur cette opinion populaire. Mais nous sommes persuadés que si nous parvenons à leur faire comprendre qu'une République algérienne est un Etat neuf dans lequel ils auront tous les droits de citoyens à part entière, eh bien, je suis persuadé que nous arriverons à les raisonner car, pour eux, il n'y a pas d'issue.
Popie prend un temps, se concentre. Puis, martelant ses mots : l'Algérie française ne peut pas être pour eux une issue. L'Algérie française est morte. II faut qu'ils se tournent vers l'avenir et que dans cet avenir ils arrivent à s'intégrer en citoyens pleins et entiers de la Répu­blique algérienne.
Coupez.
Bon pour le son ?
C'est bon pour moi. »
M' Popie se lève, s'éponge et dit en riant à l'équipe de Cinq Colonnes :
« J'espère aussi que ce sera bon pour moi ! »

Il vient de signer son arrêt de mort. Quelques jours plus tard, le 25 janvier, il est poignardé dans son cabinet, rue de l'Abreuvoir. Deux jeunes gens, spécialistes du close-combat lui ont porté huit coups de poignard dont un au coeur. L'avocat libéral, haï des mouvements ultras, est la première victime de l'action que les divers groupes « patriotiques » d'Alger ont décidé de mener. Sa mort est accueillie avec satisfaction par ceux qui depuis la « bataille d'Alger » connaissent son action au sein du mouvement libéral. Les autres, la troupe, la masse qui apprend le nom de l'avocat en même temps que les circonstances de sa mort, n'ont qu'une réaction : s' ils l'ont buté, c'est qu' ils savaient à qui ils avaient affaire. Désormais ils ont raison. On ne les connaît pas encore, le sigle O.A.S. n'a pas fait son apparition, mais « ils » défendent l'Algérie française. Peu importent les moyens qu'ils emploient.

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