Arrestation de Ben Bella
rideau

Alger : « Venez vous poser à Alger. »
Le D.C.3 : « Au nom de qui parlez-vous ? »
Alger : « Au nom du gouvernement français. »
Le D.C.3 : « Demandons précisions. »
Alger : « Au nom du gouvernement français, ordre de M. Lacoste, ministre de l'Algérie. »
Le D.C.3 : « Nous appartenons à une compagnie étrangère. Ces ordres ne nous concernent pas. »
Alger : « Il nous faut les fellouzes. »        
l’équipage est piégé : Dans le même temps, à Alger, on prend conscience que l'affaire est loin d'être gagnée. Car, à toutes les objurgations, le D.C.3, pour le moment, répond par le silence. Ce silence, il le rompt à 19 h. Il demande à Alger l'autorisation de retourner au Maroc. Réponse de Maison Blanche : « Venez Alger... Ordre gouvernement atterrir Alger... Répétons : ordre donné, ordre donné... »
19 heures 30 : pour la seconde fois, le D.C.3 sollicite l'autorisation de retourner au Maroc.
Alger : « Négatif pour le Maroc. Venez vous poser à Alger. Vous êtes couvert par le ministre. »
Le D.C.3: « Et nos familles qui sont au Maroc ? »
Alger: « Nous nous en occupons immédiatement. Nous les mettrons en lieu sûr. »
Le D. C.3 : « Et si les rebelles sont armés ? »
Alger : « Assurez-vous-en ! »
           

ben bella au Maroc
Le D.C.3 : « Que ferons-nous s'ils se rendent compte que nous arrivons au-dessus d'Alger et s'ils mettent leurs armes dans le dos du pilote ? »
Alger: « La chasse décollera et vous pourrez ainsi arguer de la nécessité d'atterrir. »       
Dans le D.C.3, cette tempête sous un crâne n'a eu pour asile que la cabine de l'équipage. La porte hermétiquement fermée n'a laissé passer aucun son. Dans la carlingue, on somnole. Soudain, l'hôtesse sort de la cabine. Un peu trop rouges, les joues de Mlle Lambert. Et peut-être un peu en désordre, ses cheveux. Ben Bella, toujours en éveil, l'interroge sur le trajet de l'appareil. Evasive, elle répond :
Il se peut que nous prenions une route plus directe.
Comment plus directe ? Nous n'allons quand même pas survoler le territoire algérien ?
Non. Mais nous pouvons prendre plus court. Dans la cabine, on vient de capter le message en clair de l'état-major de l'Armée de l'air aux Mistral et au Dassault 315 qui ont décollé : « Ordre de tirer sur moteur droit si avion cherche à fuir. » Décidément, l'équipage est piégé. Il le sait.
arrestation de ben bella
Un autre appareil vient de se poser à Alger : celui de Robert Lacoste à qui, en quelques phrases brèves, on conte toute l'affaire. Formidable ! s'exclame Robert Lacoste. Quelle histoire ! C'est une affaire du tonnerre de Dieu ! On signale au ministre qu'il est encore temps de donner un contrordre. D'un geste, le bouillant socialiste balaye la suggestion:
Cette affaire va me valoir beaucoup d'emmerdements, mais les chefs de la rébellion se trouvent au-dessus du territoire français. Ils passent à portée de ma main, nous sommes en guerre. Au point où en est l'affaire, mon devoir me commande de les arrêter. Je les arrête.
L'équipage du D.C.3 a pris sa décision. Cap sur Alger. Le radio annonce :  Nous survolons Cherchell. Tout va bien à bord. Ils ne s'aperçoivent de rien. Des mesures de sécurité sont-elles prises au sol ?
Alger : Tout est paré.
Depuis 15 heures 30, des forces imposantes quadrillent l'aérodrome de Maison Blanche. Des hommes armés jusqu'aux yeux. Cinq généraux, dont le général Lorillot. Les Algériens regardent par les hublots, aperçoivent une incroyable densité de lumières. L'un d'eux interroge Mlle Lambert :
Est-ce que c'est Tunis !
Oui. Nous nous y poserons dans un quart d'heure.
La double inscription clignote : « Attachez vos ceintures. Fasten Seatbelt. » Le train d'atterrissage prend contact avec la piste. Mais la voix de l'hôtesse se veut toujours rassurante : Vous êtes priés de ne pas quitter vos sièges avant l'arrêt complet de l'appareil.
En tout cas, en ce qui la concerne, elle a disparu dans la cabine. L'équipage a bloqué la porte de communication. Du commandant à l'hôtesse, tous sautent par l'ouverture de secours. La pauvre Mlle Lambert se foule la cheville.
Dans l'appareil, voici que les lumières s'éteignent, d'un seul coup. Dehors, s'allument les projecteurs aveuglants. On aperçoit des soldats casqués qui foncent sur le D.C.3. Mus par un même réflexe, dans l'instant, tous les Algériens sont debout. La porte bousculée, le colonel Andrès, chef de la sécurité de l'Air qui surgit, mitraillette au poing, avec ses hommes :  Haut les mains !
Ben Bella plonge la main dans la poche du siège où il a placé son revolver. Ses camarades lui crient de laisser son arme où elle est, de ne pas leur donner ce beau prétexte.
 Je ne croyais pas que les Français capables de cela, dira plus tard Ben Bella.
Les membres de l'équipage vont être conduits à la villa Les Oliviers. A leur grande surprise, ils y retrouveront leurs femmes et leurs enfants, littéralement enlevés de chez eux au Maroc, en fin d'après-midi et sans ménagement, jetés dans un avion.

Cependant que les cinq roulent vers Alger menottes aux mains, dans une voiture cellulaire escortés de tanks et de motards, la nouvelle court sur les ondes et les fils du téléphone. A Tunis, Mohammed V est l'un des premiers avertis. Furieux à la fois et désespéré, il appelle aussitôt, à l'Elysée, René Coty. Sa voix tremble de colère :
Les Algériens étaient placés sous ma protection... Mon hospitalité a été violée... Vous connaissez l'âme musulmane... C'est une question d'honneur... Je suis prêt à donner mes fils en otages...
A la même heure, le président Guy Mollet préside au Cercle interallié le dîner d'adieu offert au général américain Gruenther. Alain Savary et Louis Joxe, secrétaire général du ministère des Affaires étrangères, qui venaient d'apprendre que l'avion avait atterri, se rendent aussitôt auprès du président du Conseil. Guy Mollet, prévenu, quitte alors sa table.
Selon Alain Savary : l'entretien que nous avons eu, Louis Joxe et moi-même, avec Guy Mollet s'est déroulé sans témoin dans un salon retiré du Cercle interallié.
Il est vrai que Guy Mollet est apparu stupéfait, accablé, furieux même, retenant avec peine le juron qui lui vient sur les lèvres. Mais il se domine, c'est seulement dans le hall du Cercle qu'il éclate en s'adressant à Max Lejeune : Tu t'expliqueras avec le président de la République !
Le secrétaire d'Etat opine : oui, il s'expliquera avec Coty.
Les deux hommes filent à l'Elysée où Alain Savary, puis Christian Pineau, ministre des Affaires étrangères les ont précédés. Ils trouvent René Coty en robe de chambre... et d'une humeur massacrante. A l'adresse de Max Lejeune, une phrase glaciale :
Bonsoir, M. le secrétaire d'État !
Accablé, le président ajoute : Nous sommes déshonorés !
Les autres ministres surgissent. Pour la plupart, ils ne partagent pas le pessimisme de Coty. Même, certains ont l'air ravi. Le président de la République douche leur enthousiasme en s'écriant qu'il faut libérer les prisonniers. Christian Pineau approuve. Bourgès-Maunoury et Max Lejeune, furieux, répondent qu'il n'en est pas question. Rappelé à son impuissance, Coty soupire : La décision finale appartient à M. le président du Conseil.
Tous se tournent vers Guy Mollet, toujours tendu et pâle. Un long silence. Après quoi, Guy Mollet, se prononce : Je regrette le détournement de l'avion de Ben Bella. C'est un acte inconsidéré commis sans l'assentiment du gouvernement... Mais je ne crois pas que, dans l'état actuel de l'opinion publique et parlementaire, nous puissions nous permettre de relâcher les prisonniers. Si nous agissions ainsi, le gouvernement serait renversé dès demain. Le mal est fait. Nous ne pouvons revenir en arrière.Le silence encore. Alors, le ministre Alain Savary annonce qu'il présente sa démission.

ben bella - arrestation
ben bella - arrestation
anecdote
accueil
Accueil
Les coups tordus