Déchaînement à Philippeville
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Ce 20 août 1955, à Philippeville, la chaleur est telle qu'elle rend l'air bruissant de mille vibrations. Le ciel est d'un bleu insoutenable. Au soleil, où il fait près de 60"C, les façades semblent de déformer comme si une impalpable brume transparente montait du sol, brouillant la vision. Depuis 11 heures du matin dans les faubourgs et aux abords de la ville des dizaines de milliers d'Algériens se sont massés, encadrés par des soldats de l'A.L.N. en uniforme kaki et en armes. D'abord silencieux, les hommes montent le ton. La tension est grande. Les nerfs tendus à craquer. On parle de guerre sainte, d'Egypte. On dit que les Américains sont prêts à aider le F.L.N. On dit n'importe quoi. On s'agite. Des femmes et des enfants se sont mêlés aux hommes. Chacun excite son voisin. Le grand jour de la vengeance est arrivé.
Au centre de la ville, comme à l'accoutumée, les administrations et les entreprises déversent un flot d'employés et de fonctionnaires. C'est le week-end. Toutes les terrasses sont bondées. On se prépare à prendre la route de la corniche qui domine le magnifique golfe de Stora pour aller se baigner sur l'une des plages voisines. C'est le brouhaha coloré et bon enfant de toutes les petites villes méditerranéennes. On parle haut. On s'interpelle. On plaisante les filles. Et demain, c'est dimanche. On est heureux. On ne prend pas garde au premier coup de feu. Puis soudain, en une fraction de seconde, c'est la panique. Cris. Hurlements. Bousculades. Les rafales de mitraillette font refluer les passants. On ne sait ce qui se passe. Le pied d'un géant vient d'écraser la paisible fourmilière. Plus rien n'a de sens. Affolés, les hommes, les femmes cherchent un abri, s'écrasent dans les cafés, dérisoires protections. « Les Arabes... Ce sont les Arabes... » Ils sont là. Déchaînés. Hurlants

Faubourg de l'Espérance, ils avancent par rangs de six en chantant l'hymne du vieux P.P.A. Sur leur passage, ou venant de leurs rangs, les you-you obsédants et terrifiants des femmes exaltées. C'est une marée humaine, un flot dévastateur ; armés de fusils de chasse de faux, de serpes, de pelles dont les bords ont été affûtés, de couteaux, ils avancent inexorablement. Hurlant une haine trop longtemps ravalée ; là il n'est plus question de demander justice. C'est la foule en marche, folle furieuse, qui écrase tout. La foule injuste, brutale, odieuse, hagarde.. Elle veut tuer. Elle tue. C'est la marée musulmane face à l'Européen. Une marée soigneusement endiguée par les hommes de l'A.L.N. portant un ruban rouge ou jaune à leur béret pour se reconnaître qui poussent, qui canalisent, qui orientent. Selon le plan de Zighout et de Ben Tobbal, ils doivent indiquer les objectifs et amener au combat la foule fanatisée. Il faut faire peur, a dit Zighout. Le but est atteint. Mais la contre-attaque ne tarde pas. Au haut de la rue Clemenceau, vers l'église Saint-Coeur-de-Marie, la police et les paras tirent sur les rebelles. Des hommes tombent, certains se relèvent couverts de sang. Insensibles. La fureur exacerbée. Une quinzaine d'hommes se sont enfermés dans une maison de la rue de Paris d'où ils tirent sur tous les Européens. Les parachutistes donnent l'assaut. Il dure cinq heures. A la grenade, aux gaz lacrymogènes, à la mitraillette, au mortier. L'explosion sourde des bombes, des grenades ponctue le déchaînement aigrelet des rafales de mitraillettes. Des grenades éclatent dans les cafés. Les Européens tombent sous les balles, sous les. coups de couteau, de rasoir. C'est le déchaînement bestial.
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