Bavures pendant la bataille d'Alger
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Parallèlement à l'action directe des paras, on arrête tant et plus. Les camps d'hébergement de la région d'Alger sont surchargés. Teitgen à la préfecture signe chaque assignation à résidence. Mais il n'est plus question de dossiers justifiant l'arrestation de tel ou tel. Des 800 assignations par mois au temps du préfet Collaveri, Teitgen est passé à 4 000 pour parvenir fin février à 24 000 ! Les paras et la police embarquent pour un oui, pour un non. Motifs ? Meneur ! Syndicaliste ! Quelquefois, on donne des détails: son frère est horloger donc il est susceptible de fournir le mécanisme d'une bombe !
La machine tourne trop bien, les résultats sont trop bons pour que l'on puisse interrompre le cours de cette opération que tout le monde appelle maintenant la bataille d'Alger. On devait mater la grève, puis on est tombé sur toute l'organisation F.L.N. de la capitale. Alors on suit.
Massu et sa 10" D.P. peuvent faire ce qu'ils veulent. Ils obtiennent les meilleurs résultats que l'on ait jamais eus.
Chaque para, chaque léopard se sent à lui tout seul la police. Le sergent de base décide : On va embarquer les types de ce bloc d'immeubles. Ils sont suspects.
En faisant signer ses papiers, Teitgen veut mettre les léopards en garde : « D'accord, je signe telle assignation à résidence à la demande de telle unité. Mais attention ! vous en êtes responsables. Rendez l'homme ! Vivant ! » Mais bientôt, on s'en fout totalement. Un type claque sous la torture, il faut le faire disparaître. Et le tortionnaire, qui est de plus en plus efficace, liquide froidement. Selon lui, un type trop torturé ne peut être libéré. Il faut le liquider lorsqu'il a tout craché. De même un intellectuel, un responsable avec qui on pourra peut-être discuter un jour...  il faut l'éliminer.
A la villa Sesini, on a aussi cette façon de voir les choses. En outre ces officiers obtiennent des renseignements beaucoup plus rapidement que ceux des autres unités. Mais il y a des bavures. Alors les initiés assistent à un spectacle épouvantable. Les sous-off tortionnaires font tous les soirs leur tournée. Avec des camions bâchés ils récupèrent dans tous les centres d'interrogatoire ceux dont le coeur a flanché ou ceux qui ne valent pas mieux. Et on embarque tout le monde, cadavres ou demi-morts, jusqu'à une fosse à une trentaine de kilomètres d'Alger, entre Zéralda et Koléa. Sur le bord de la fosse les tortionnaires liquident au pistolet ou au poignard les demi-cadavres. Ceux qui ont dépassé la limite de la souffrance. Il y en aura 4 000 pendant la bataille d'Alger. Les quatre mille qui manqueront à Paul Teitgen qui maintenant en est réduit à tenir une comptabilité où se mêlent hommes, sous-hommes, déchets, cadavres et disparus

La mer est également bien pratique. Des hélicoptères vont au large se débarrasser de cadavres importuns. On les balance dans le vide, un parpaing aux pieds. La mer ne les rejettera pas sur le rivage. On construit beaucoup aussi. Des baraquements à socle de béton, des fondations de petits immeubles. Et là entre une coulée grise de béton et une dalle préfabriquée, on colle quelques cadavres. A la terreur terroriste succède la terreur de la répression. Elle atteint des proportions gigantesques. Les tortionnaires finissent par faire peur aux paras eux-mêmes. Au G.G., certains membres du cabinet Lacoste sentent que l'on va trop loin. Eux-mêmes ont peur de certains officiers paras. Mais tous sont dans le même bain ! Tout le monde a accepté de se salir les mains. Ordre du gouvernement qui, lui, à l'abri de ses couloirs feutrés, protégé par des huissiers à chaîne, n'entend ni le pas souple des patrouilles, ni les interrogatoires, ni les hurlements de la villa Sesini, d'El-Biar et autres centres d'interrogatoire. Il ne désire qu'une chose : la victoire. Que cessent le bruit des explosions et les cris des innocentes victimes des attentats et on ferme les yeux sur le reste. Et qui est le plus cruel ? Celui qui torture l'homme qui sait où les bombes vont éclater, pour les désamorcer, ou celui qui pose un engin qui va tuer des civils innocents, éventrer des mères de famille, mutiler des enfants ? Et tout va tellement vite !
bigeard

Les résultats sont magnifiques. Impressionnants. Massu est venu à la réunion Bigeard. Celui qu'on appelle avec beaucoup de jalousie la B.B. des paras (c'est la grande époque de Brigitte Bardot) fait son bilan, rend des comptes.
Bigeard annonce, et montre les bombes saisies. Il expose des diagrammes, des organigrammes merveilleusement clairs. Massu admire : 1 200 arrestations ! 80 déférés au parquet. 600 assignés à résidence. 300 remis en liberté...I
« Hein, vous avez vu le travail ? » grommelle Massu qui couve son Bigeard d'un oeil mi-envieux, mi-admiratif. Mais Teitgen intervient.
« Si je compte bien, mon colonel, dans votre calcul il manque 220 bonshommes. Que sont-ils devenus ?
— Lorsque quelqu'un demandera des comptes, répond le colonel, ce sera signé Bigeard ! Ils ont disparu, vos 220 bonshommes. »
Au moins lui est franc et prend ses responsabilités. De toute façon, les 220 types ont dû tenter de fuir...Et puis le ministre résidant ne demandera jamais de comptes à des hommes que l'on a chargés, en leur donnant carte blanche, de régler cette histoire de terrorisme.

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Tortures et bavures