L’attaque de Batna
rideau
bande FLN au debut de la guerre d'algerie

Vingt-six hommes sous la direction de Hadj Lakhdar, vont attaquer la capitale de l'Aurès et appliquer les consignes de Ben Boulaïd. Les partisans se séparent en deux groupes de quinze hommes. Chaque groupe est divisé en deux sous-groupes : l'un de combat, l'autre de protection.
Bouchemal retrouve sa ville mais elle lui semble étrangère.
Ce n'est pas sa ville natale qu'il va attaquer. La caserne avec ses guérites et ses sentinelles il ne l'a jamais vue ainsi. Les murs étaient moins hostiles, les fusils des chasseurs qui font les cent pas moins menaçants. Le montagnard qui chemine près de lui a dissimulé son mousqueton sous sa cachabia. Il ne dit pas un mot. C'est l'un des sept hommes que Bouchemal doit diriger. Il s'appelle Saïd. Il a un visage impassible, une démarche de panthère. Ils formeront le groupe de protection qui couvrira le commando de Hadj Lakhdar. Il serre sa carabine italienne dont la culasse lui semble glacée. Il l'a déjà armée. Est-ce que la crosse ne dépasse pas de son burnous ? Il en rabat les pans en passant devant la caserne. Les uniformes ont beau être disparates cela risque de donner l'éveil. Mais les deux sentinelles qui sont rentrées sous leurs guérites n'accordent pas un regard aux deux hommes qui passent à quelques mètres d'elles.
Après avoir dépassé le poste de garde et être sorti du champ de vision des sentinelles Bouchemal décide de s'arrêter. Il se dissimule derrière un gros platane...

A cette heure, les rues de Batna sont désertes, surtout dans le centre. Il y a peut-être un peu d'animation dans le bas quartier, près du bordel, où le bistrot reste ouvert tard le soir les samedis, dimanches et jours de fête. Mais il y a peu de chances pour que les clients reviennent par le centre.
Bouchemal n'est pas mécontent de la position de son observatoire. Il a vue sur le poste de garde des chasseurs et sur celui des artilleurs. De plus il découvre l'enfilade de la route de Lambèse et de l'avenue de la République.
Le signal d'attaque sera donné par Hadj Lakhdar qui tirera une fusée bleue. Le plan Bleu devra se dérouler simultanément contre les casernes et les dépôts de munitions. Le groupe de Hadj Lakhdar mitraillera auparavant la façade de la sous-préfecture et essaiera de faire un carton comme il a dit, avec les occupants du commissariat central.
Bouchemal regarde sa montre. 2 h 20. Tout le monde est prêt. Il reste quarante minutes à attendre.
Près de la sous-préfecture, le chef du commando de Batna vient de placer ses hommes. Dissimulés derrière les buissons ou protégés par le muret du jardin public de la sous-préfecture, ils attendent. Dans la poche gauche de sa tenue de combat, Hadj Lakhdar sent contre sa cuisse les deux cylindres des fusées. La bleue qui déclenchera l'attaque simultanée des points stratégiques de la petite ville et la rouge qui en cas de contretemps ou de coup dur ordonnera le repli général immédiat.
 Il y a quelques minutes, en entrant dans la ville, Hadj Lakhdar a bien cru que l'attaque serait terminée avant d'avoir commencé. Il a croisé, en compagnie de deux de ses hommes, une patrouille de police. Deux flics musulmans. Hadj Lakhdar a serré sa carabine Statti, dissimulée dans les plis de son burnous qui, relevé sur ses épaules, laissait voir son uniforme de toile olive. Heureusement le prochain réverbère était loin. Les agents sont passés près d'eux en les regardant mais les ont pris pour des spahis rentrant du bordel ! Lakhdar a souri sans répondre. Lorsque les flics les ont dépassés il a senti une bille de feu glisser le long de sa colonne vertébrale et les phalanges de sa main droite étaient bloquées sur le canon de sa carabine.

ben boulaid

2 h 20. Le bruit d'un moteur de voiture troue la nuit. Les hommes de Lakhdar s'aplatissent derrière le muret, se dissimulent, ramassés sous les buissons, prêts à bondir. La 11 CV Citroën du sous-préfet apparaît sur la place.
Jean et Vanda Deleplanque descendent de voiture. A 10 mètres derrière eux Hadj Lakhdar suit dans la mire de son statti le dos du sous-préfet. Il le tient. Appuyer sur la détente et ce sera le coup inespéré. Le hasard le sert bien. Mais Ben Boulaïd (à gauche) a été formel : Pas un coup de feu. Pas une action avant 3 heures.Deleplanque revient vers la voiture. Sa femme est déjà entrée dans l'appartement privé dont la porte donne sur le hall.
Hadj Lakhdar hésite encore. En pleine poitrine. Là il ne peut le manquer. Vite... Non. Il faut céder à la discipline. Quarante minutes d'avance peuvent faire échouer tout le plan d'attaque de l'Aurès. Hadj Lakhdar abaisse le canon de sa carabine italienne. Deleplanque manoeuvre pour rentrer la voiture. La portière claque. Le sous-préfet est entré dans ses appartements dont les fenêtres sont main­tenant éclairées.
Sans le savoir, Jean Deleplanque en moins d'une heure a vu sur la route ses premiers rebelles et vient d'être sauvé d'une mort certaine par le sens de la discipline et de l'exactitude d'un des meilleurs lieutenants de Ben Boulaïd, ce meunier avec qui il a discuté il y a quelques mois et qu'il trouvait si sympathique.

maquisards FLN au debut de la guerre d'algerie

En silence dans la nuit, le commando de Hadj Lakhdar s'avance vers les casernes. Lakhdar a renoncé à mitrailler la sous-préfecture. A quoi cela servirait-il alors qu'il a eu le sous-préfet trente secondes dans sa ligne de mire et qu'il n'a pas tiré ? Les sept hommes sont à peine arrivés devant la caserne qu'ils entendent une sonnerie stridente. C'est le capitaine Bourgeois qui a donné l'alarme. Des fenêtres s'allument. Le peloton d'intervention se prépare. Lakhdar aperçoit des silhouettes qui s'alitent. Il s'apprêtait à attaquer la caserne dans dix minutes mais ce remue-ménage ne présage rien de bon. Des projecteurs s'allument. Et la sonnerie stridente retentit toujours. Les hommes de I'A.L.N. se regardent, inquiets.
Allez. Faut se replier tout de suite, avant qu'ils ne sortent , dit Hadj Lakhdar.
Il tire la fusée rouge de la poche de son treillis. L'allume. Une lueur rouge s'élève au-dessus de Batna. Près des casernes, Bouchemal est affolé. Il a armé une seconde fois son fusil éjectant une cartouche intacte. Pour un peu il donnerait tout de suite l'ordre de repli mais il faut attendre Lakhdar. Et on n'a pas encore entendu un coup de feu. Il est 2 h 50.
Les hommes de l'A.L.N. se sont regroupés. Le ommando Hadj Lakhdar remonte en courant l'avenue de la République. Une voiture va les doubler. C'est le chef d'état-major du colonel Blanche. Les Chaouïas l'ajustent. Les balles trouent la carrosserie. Par miracle l'officier n'est pas touché. La voiture continue son chemin. Merde ! crie le brigadier-chef Cohet, t'as-vu ? »
Et il désigne du doigt des silhouettes qui courent ans l'enfilade de l'avenue.
Ils sont armés, s'affole le chasseur Audat. Les deux jeunes gars, instinctivement, arment eurs fusils. Les culasses claquent à vide. Les armes ne sont pas chargées. Les gros doigts engourdis par plusieurs heures de garde s'empêtrent sur les boucles des cartouchières. Les deux chasseurs les ouvrent enfin.
Mais les cartouches sont enfermées dans un sachet de toile cousue. C'est le règlement ! Les deux garçons s'énervent.
De l'autre côté de la rue, à l'abri des platanes, deux Aurésiens les ajustent posément. Une série de coups de feu. Pierre Audat, bientôt vingt et un ans, roule à terre. Le brigadier-chef Eugène Cohet, vingt et un ans, reste un instant pétrifié. Par trois fois son corps est agité d'un soubresaut. L'impact des balles. Il lâche son fusil, puis se tasse sur lui-même. Recroquevillé. Un filet de sang coule de ses lèvres. 3 heures. Les premières victimes militaires de la guerre d'Algérie viennent de tomber.
Les hommes de l'A.L.N lâchant des rafales de mitraillette, s'enfuient par la route de Lambèse. Bouchemal, voyant arriver le groupe de Hadj Lakhdar, est pris de panique. Il détale. Saïd et Amar, un autre Chaouïa de son groupe, en font autant. Ils ont tiré quelques coups de feu au hasard en direction des sentinelles... Ils ne pensent plus qu'à regagner à travers champs et par des chemins de montagne Bouhamar, la ferme de Baazi ; c'est de là que les hommes de Ben Boulaïd partiront pour le maquis.

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