Guerre et Poste
rideau
vaguemestre en 1914

Durant les premiers mois de la première guerre mondiale en France, le courrier prend une place importante dans le quotidien de toute la nation. La franchise postale pour la correspondance des soldats et de leurs familles est décrétée dès le 3 août 1914 et des cartes pré-imprimées de correspondance sont gratuitement remises aux soldats mobilisés. Le service de la trésorerie et poste aux armées est créé, afin d'organiser l'acheminement des courriers et de garder le secret sur la localisation des régiments. Les courriers des familles sont triés selon leur numéro correspondant aux régiments. Malgré ces initiatives, les centres de tri prennent du retard, d'une semaine à un mois, engorgés par la masse de lettres et de paquets ; en octobre 1914, près de 600 000 lettres et 40 000 paquets sont ainsi difficilement acheminés vers le front chaque jour. Ces désagréments sont par ailleurs accentués par la mise en place du retard systématique imposé par la censure, retard de trois jours ferme pour le courrier venant du front afin de garantir le secret des plans d'offensives.
À terme, cette irrégularité est déplorable pour le moral du soldat, et son mécontentement est perceptible dans les journaux des armées. Dès la fin de l'année 1914, une réforme profonde de la poste aux armées est entreprise. On recrute du personnel pour le tri, des femmes et des étudiants en majorité, encadré par des postiers qualifiés. Tout le courrier à destination du front est traité par le Bureau central militaire postal de Paris . Des bureaux de poste sont installés sur le front et des distributions quotidiennes sont organisées par les vaguemestres.

la poste en 1914

En avril 1915, ce sont plus de 4 500 000 lettres ordinaires, 320 000 paquets-poste, 70 000 journaux et 11 000 mandats-cartes et mandats télégraphiques qui arrivent chaque jour sur le front. Quant aux poilus, ils expédient plus de 5 000 000 de correspondances à l'arrière. En moyenne, les hommes envoient ou reçoivent une lettre par jour. Les délais d'acheminement deviennent raisonnables, de trois à quatre jours pour une lettre entre Marseille et la zone du front. Mais en 1916 et en 1917, les grandes offensives meurtrières, la fatigue du poilu et les rumeurs sans lendemain entraînent le renforcement de la censure postale, lecture aléatoire des courriers et contrôle du moral des soldats mais aussi des populations. On caviarde les courriers ; les mots ou les expressions indésirables sont masqués à l'encre noire, grattés ou découpés.
À l'arrière, la situation des Postes et des Télégraphes est délicate, le manque de matériel roulant entraîne des réquisitions. Le départ de la plupart des hommes en âge de travailler a littéralement vidé certains secteurs économiques vitaux de la vie quotidienne. Les adminis-trations postales ne sont pas épargnées, plus de 15 000 agents et sous-agents ont été mobilisés. Dès lors, le recrutement est féminin dans une France devenue une nation de veuves. À la fin du conflit, cette féminisation dans les centres de tri postaux ou dans les services de distribution du courrier perdure, contraire-ment à certaines autres professions qui renverront les femmes à leurs foyers.

courrier dans les tranchees

D’ une écriture pointue, ronde ou maladroite, à la plume, au stylo à encre ou au crayon de bois, sur une feuille à carreaux d'écolier ou un mauvais papier, le fantassin raconte aux siens son quotidien avec force détails. Le propos de sa correspondance est parfois poétique, patriotique et d'une ferveur sincère, entretenu par un discours officiel enthousiaste et une presse écrite servile, bientôt aux ordres. C'est le temps où l'on n'hésite pas à écrire que obus allemands éclatent mollement et tombent en pluie inoffensive, que les balles allemandes [...] ne sont pas dangereuses ; elles traversent les chairs de part en part sans faire aucune déchirure. L'espoir de retour rapide chez soi ne dure pas après le baptême du feu et les premiers morts. Désormais, il s'agit de s'enterrer et de tenir. La guerre de position devient souffrance physique et épreuve morale. L'écriture quotidienne est une sorte de thérapie qui permet d'extérioriser l'horreur du combat et la mort brutale des camarades.
Toute accalmie au front est l'occasion d'un moment de lecture ou d'écriture pour l'homme de troupe, le sous-officier ou l'officier. Quand il ne combat pas, le poilu lit pour se tenir informé de la guerre, bien qu'il soit conscient du bourrage de crâne. Il privilégie aussi son carnet de notes et ses courriers. Sa correspondance évolue ; la haine inculquée de l'ennemi fait place à la colère contre l'état-major, à des réflexions sur l'inégalité devant la mort qui frappe l'ami ou sur la crasse des tranchées. Les informations sur les progrès de la guerre sont rares, passées au filtre de la censure postale qui veille au moral des troupes comme à celui des civils à l'arrière. Seuls les avis de décès reçus par les mairies rappellent la réalité cruelle de ce conflit interminable.
Si le poilu écrit, il reçoit aussi du courrier. Moment important de la journée, l'arrivée du vaguemestre est attendue avec impatience. Amis, marraines de guerre et familles donnent des nouvelles, questionnent, montrent leur inquiétude, envoient mandats et colis. Les cartes postales patriotiques ou humoristiques sont produites par milliers durant le conflit. Elles doivent apporter réconfort, bonne humeur et optimisme, tenter de combler l'abîme irrémédiablement creusé entre civils et combattants, entre l'arrière et le front. Les courriers rapprochent sensiblement les uns et les autres durant l'année 1917. Grèves à l'arrière et mutineries des régiments transpirent dans la correspondance pourtant censurée. La détermination du soldat à s'accommoder de tout s'effrite, seuls les liens qui le rattachent à la Nation lui forgent encore une armure morale. Néanmoins, comme il l'écrit avec résignation « les années passent, mais la guerre, elle, ne passe pas ».

facteur en 1940

La Poste en 1940-1945
A coté des réquisitions qu'il fallait bien subir de la part de l'occupant, se forma des noyaux de résistance passive, ou active. Peu à peu certains facteurs après une résistance larvée passèrent aux actes. Le plus souvent ils retiraient du service des lettres destinées à des services allemands jugés dangereux. Ainsi au Havre, sur l'initiative de M. Guillot, contrôleur principal, les deux facteurs chargés du courrier de la Gestapo faisaient un tri discret des lettres destinées à ces organismes. Les lettres suspectes étaient ouvertes dans un local retiré. Les pièces compromettantes (lettres de dénonciation) étaient subtilisées. A partir de juillet 1943, les convocations au S.T.O. furent retournées indûment à l'expéditeur, avec des cachets de fantaisie : « décédé, parti sans laisser d'adresse,  etc...
Une activité analogue est à mettre au compte d'un groupe de sept facteurs de la Recette principale de Nîmes sous la direction du facteur-chef, Louis Pignon. A partir de novembre 1942, les lettres pour les principaux services allemands furent ainsi censurées. Un article paru dans le Midi Libre en décembre 1944 nous dit comment : « Pour celles des correspondances contenant des dénonciations, il était mené une enquête préventive sur les personnel visées, lesquelles étaient prévenues soit à leur domicile, soit à leur travail... Celles résidant dans le Gard étaient alertées par Pignon...» Plusieurs centaines de Français dénoncés purent ainsi échapper à l'emprisonnement et à la déportation. D'autres agents, comme le facteur Leucleu à Boulogne détournèrent des tracts de propagande (de mouvements proallemands) et les brûlèrent. Enfin les facteurs vont faire leur métier... de facteur, mais au profit des maquis !
La Libération fut marquée par une certaine désorganisation de la distribution. Une part non négligeable des agents résistants s'engagea dans l'armée régulière. Dans le département des Bouches-du-Rhône, 45 facteurs enrôlés dans les Forces Françaises de l'Intérieur quittèrent ainsi le service. La disparition de ce personnel fut en partie compensée par le retour des prisonniers de guerre, des agents requis au titre du travail obligatoire, des déportés... Les bouleversements consécutifs à la chute du gouvernement de Vichy et au départ de l'occupant exacerbèrent les tensions politiques et partisanes. Des agents considérés comme collaborateurs furent abattus sommairement, d'autres passèrent devant des comités d'épuration ou de libération.

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