Institutrice, un sacerdoce ?
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institutrice en 1900

À la fin du siècle dernier (1890), l'écrivain Léon Frapié, auteur de la Maternelle, ouvrage qui lui vaudra le prix Goncourt, décrit d'une plume très sombre la vie d'une enseignante en milieu rural. Son livre a pour titre l'Institutrice de province. L'auteur a été lui-même « maître d'école », c'est donc un sujet qu'il connaît bien. Son livre soulève de nombreuses controverses chez les instituteurs et plus encore chez les institutrices. Celles-ci sont alors plusieurs milliers en France à occuper cette fonction, dont le salaire de base est de 1 000 F par an pour les stagiaires et n'atteint, par la suite, que 1 200 à 2 000 F - traitement inférieur à celui reçu par leurs homologues masculins.
Voici le tableau général que Léon Frapié dresse de la fonction d'institutrice laïque : « Par ce fait que l'institutrice est chargée d'un emploi public, elle cesse d'être une femme, elle cesse de mériter aucun égard ; le philanthrope, le moraliste, le plus parfait galant homme n'hésiteront pas à l'attaquer par les armes les plus cruelles, par les moyens les plus perfides...
Contre l'institutrice, la lâcheté n'existe plus ! Tenez, la voilà la fameuse émancipation des femmes telle que nous sommes disposés à l'admettre. Enfin, la femme ne nous agace plus, ne nous empêtre plus avec sa prétendue faiblesse ; plus de courtoisie embarrassante ; supprimé ce spécial respect humain qui, dans bien des cas, empêchait de frapper une femme ; supprimée même la simple, la vulgaire pitié...
Et voilà bien aussi le sentiment obscur de la foule envers les créatures qui semblent s'affranchir d'un ancien esclavage : "Attends un peu femme émancipée, femme qui marche seule à la conquête du pain, femme fonctionnaire, institutrice publique (ô l'aimable expression), femme égale de l'homme, on va t'en f... de l'égalité ! Attends un peu on va te traiter en égale pour les coups à recevoir..." »

institutrice en 1930

Le journal littéraire les Annales fait un large écho au livre de Léon Frapié et ouvre ses pages à un débat. Certaines lectrices contestent le tableau du métier d'institutrice que donne l'auteur. D'autres femmes, en revanche, le confirment. Elles sont nombreuses à apporter leur témoignage.
Une institutrice d'une petite commune rurale de l'Orne écrit le 17 juin 1897 : « Je viens vous apporter ma part de documents. Institutrice depuis vingt ans : deux ans d'adjointe et dix-huit de titulaire, je n'ai trouvé que bien-veillance autour de moi, aussi bien du côté de l'autorité que de celui des habitants des lieux où j'ai posé ma tente. Comme titulaire, j'en suis à mon deuxième poste. Dans le premier, ayant remplacé une religieuse, j'ai éprouvé au début un peu de froideur et quelques ennuis, ce qui n'a pas duré longtemps : chacun est devenu vite très bon pour moi. Partout, j'ai essayé de faire mon devoir, et je me suis trouvée et je me trouve encore tranquille et heureuse. Du côté de l'Académie, on encourage mes efforts. Le maire et le curé savent reconnaître mon bon vouloir. Permettez-moi de vous dire, Monsieur, que j'ai la conviction que les institutrices qui gémissent d'une manière si lamentable auraient beaucoup mieux fait d'aborder une autre carrière que celle pour laquelle elles ne me semblent pas faites le moins du monde. »

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Autre son de cloche chez une jeune institutrice-adjointe de La Châtre, dans l'Indre, âgée de 23 ans : « D'aucuns ont reproché à M. Frapié d'avoir montré trop en noir la situation des institutrices de province ; je ne le crois pas, car je puis moi-même fournir un exemple à ce sujet. Je dois cependant vous dire que si je n'ai que trop longtemps souffert des mille et une vexations dont on peut accabler avec impunité une modeste fonctionnaire, je n'ai actuellement aucune raison de me plaindre. »
Ce débat se déroule peu avant l'éclatement de la guerre scolaire déclenchée par le ministère Combes, ordonnant par décret, en 1901 et en 1902, la fermeture de nombreuses écoles libres et des établissements appartenant aux congrégations religieuses.

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