Le Mariage du Figaro...
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le mariage du Figaro
le mariage du Figaro

Ce sont les aristocrates qui font le succès de l'ouvrage, sans comprendre que ce Figaro n'est autre que le héraut du tiers état revendiquant sa place. En portant au théâtre, c'est-à-dire en donnant l'impact du vécu à des théories que certains de ses contemporains étouffent, Beaumarchais crée véritablement une œuvre révolutionnaire. Plus lucide que beaucoup de ses seigneurs, Louis XVI se décide à sévir. On enferme l'auteur à la prison de Saint-Lazare. L'opinion publique se soulève et le pouvoir doit libérer l'auteur au bout de cinq jours. Six ans plus tard, Danton s'écriera : « Figaro a tué la noblesse. » Mais Beaumarchais meurt avant la fin du siècle, pauvre et à demi oublié.
Dès le matin du 27 avril, une foule énorme se presse dans la boue, devant la façade du nouveau Théâtre Français, pour retenir les places, et pourtant le rideau ne se lèvera qu'à cinq heures et demie du soir, quand on aura allumé les quinquets. Des gentilshommes à cordon bleu sont coudoyés par les petits savoyards. Dès onze heures du matin, on dirait une émeute : la foule s'étend jusqu'à l'enceinte du Luxembourg et obstrue la rue qui descend à la Seine. Les portes sont enfoncées, la garde dispersée et les grilles tordues par la pression des assaillants. La plupart des grandes dames se sont installées dans les loges des actrices et, y dînent en attendant le spectacle, pour être sûres d'avoir une place. On relève trois morts par étouffement, après la bagarre finale qui laisse dehors quatre candidats sur cinq.

A l'intérieur,autre spectacle : cliquetis d'assiettes, bruit de fourchettes, bouteilles débouchées à assourdir. Le sanctuaire était un cabaret ! Trois cents personnes dînaient dans les loges des comédiens pour être plus à portée des bureaux à l'ouverture; la grosse marquise de Montmorin, tenant à peine dans le joli réduit de Mlle Olivier, la gracieuse Mme de Senectère égara son dîner dans la bagarre, et il fallut avoir recours à Desessaits  pour qu'elle eût à manger sur le pouce.
Et dans la salle, quel auditoire ! Nommerai-je les illustres seigneurs, les nobles dames, les artistes à talent, les auteurs renommés, les riches du monde qui se trouvaient là? Quel brillant cordon de premières loges ! La belle princesse de Lamballe, la princesse de Chimay, la nonchalante Mme de Lascuse, la spirituelle marquise d'Andlau, la suprême Mme de Châlons, la belle Mme de Balbi , Mme de tiimiane, plus belle encore, Mmes de la Châtre, Matignon, Dudrenenc, dans la même loge. Tout cela brillait, se saluait. C'étaient des bras arrondis des blanches épaules, des cous de cygne, des rivières de diamants. des étoffes de Lyon, bleues, roses, blanches, des arcs-en-ciel mouvants s'agitant, se croisant, papillonnant, tout cela impatient d'applaudir, impatient de dénigrer, tout cela pour Beaumarchais et par Beaumarchais, qui se trouve, lui, depuis longtemps déjà, dans une loge grillagée, où peu de gens soupçonnent sa présence. Signe qu'il ne savait pas trop comment, le public tournerait, et qu'il ne tenait pas à se trouver soudain couvert d'avanies.
Beaumarchais a tort d'avoir peur et de s'être mis derrière une grille : la bataille est gagnée avant d'avoir été livrée. Mais elle mérite de l'être. A l'intérieur de la salle, « qui ressemble â une carrière de sucre blanc », le lustre tout neuf illumine les signes du zodiaque, sculptés en relief tout autour du plafond, mais surtout il éclaire la salle la plus remplie et la plus enthousiaste de toute l'histoire du théâtre en France, entassée sur les banquettes qui, pour la première fois, sont installées au parterre. Adieu, le privilège des loges, seul endroit où l'on pouvait jusque-la s'asseoir! On en a profité pour doubler le prix des places. Le triomphe dure cinq bonnes heures, car les acteurs font traîner les effets, les entractes sont interminables, et presque chaque scène est ponctuée de salves d'applaudissements.
Que nous sommes loin des mésaventures du Barbier à ses débuts! Tout va bien d'un bout à l'autre. Dazincourt est un Figaro plein d'esprit, Molé un Almaviva élégant, le doyen Préville en Brid'Oison, soulève des tempêtes de rire, niais, comme à l'ordinaire, on porte surtout aux nues les trois principaux rôles féminins de la pièce, la fameuse Contat, Suzanne enchanteresse, la Sainval, une tragédienne qui a bien voulu jouer Rosine, sans craindre de déchoir, et surtout Mlle Olivier, une exquise petite actrice de dix-sept ans, qui n'a plus qu'un an à vivre, et prête une remarquable fraîcheur au rôle de Chérubin.
Un triomphe. Douze rappels. Une recette record dans toute l'histoire du théâtre : 6 511 livres pour la première recette. 68 représentations en huit mois. Une recette brute au 10 janvier de 350 000 livres, sur lesquelles Beaumarchais touchera 41 500. Pour la première fois, une pièce de théâtre aurait donc réellement rapporté de l'argent son auteur... si celui-ci n'avait pas soigneusement calculé qu'il avait. dépensé 37 500 livres en a relations publiques pour sa pièce : cadeaux, soupers, voyages, etc...

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