L'appel à la trêve civile ...
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Camus et Lebjaoui

Le dimanche 22, bien avant l'heure de la réunion, fixée à 17 heures, la salle du Cercle du progrès est comble. Dans l'assistance, où se  mêlent Européens et musulmans, règne une atmosphère de fraternité extraordinaire.
Depuis le début de l'après-midi, le service d'ordre Musulman est en place dans les rues autour de l'immeuble, doublé par un épais cordon de C.R.S. envoyés par le Gouvernement général. Personne ne peut pénétrer dans la salle sans invitation. Les « gorilles » de Lebjaoui ( en bas ) et d'Ouzegane ( au mileu ) des militants du Front auquels se sont joints des habitants de la Casbah. Le F.L.N., à l'insu des Français, a apporté son concours à la réunion.
Camus se lève, très ému. Il prend ses feuillets et commence à lire le texte de son appel. Après avoir rappelé qu'il était là pour réunir et non pour diviser, après avoir dit sa déception d'avoir à reconnaître qu'un homme, un écrivain qui a consacré une partie de sa vie à servir l'Algérie, s'expose, avant même qu'on sache ce qu'il veut dire, à se voir refuser la parole», après avoir souligné que son appel se situait en dehors de toute politique. Camus explique ce qu'il attend des deux camps.
De quoi s'agit-il? D'obtenir que le mouvement arabe et les autorités françaises, sans avoir à entrer en contact ni à s'engager à rien d'autre, déclarent, simultanément, que pendant toute la durée des troubles, la population civile sera, en toute occasion, respectée et protégée.

Camus et Ouzegane
Albert Camus

Dehors, des cris retentissent : « A mort, Camus ! », « Mendès au poteau ! » Des groupes de manifestants, après avoir traversé la ville en chantant la Marseillaise, sont arrivés place du Gouvernement. Les poujadistes sont les plus nombreux, les plus violents aussi. Les C.R.S. tentent de les disperser. Quelques pierres volent. Les C.R.S. tiennent bon.
A l'intérieur de la salle, par les fenêtres entrouvertes, on perçoit les cris. Camus, blême, continue sa lecture. L'assistance l'écoute avec ferveur, mais ces cris d'hostilité lui brisent le coeur. Il n'a qu'une hâte : en finir avant qu'un heurt ait lieu entre les hommes d'Ouzegane et les « ultra ».
Sur la place du Gouvernement, les cris et les huées redoublent. Camus termine rapidement son pathétique appel. L'assistance, très émue, lui fait une formidable ovation.Le dialogue que Camus souhaitait tant n'aura pas lieu. Tendu, angoissé, il presse Roblès de lever en hâte la séance.
Dehors, les cris ont cessé. Les C.R.S. ont réussi à disperser les manifestants. Toutefois, par mesure de précaution, ils canaliseront les gens sortant du Cercle du progrès, vers la basse Casbah. Camus, sans encombre, regagnera son hôtel.
L'appel à la trêve civile restera sans écho. L'Algérie sombrera dans un bain de sang. Dans cette lutte sans merci, beaucoup d'hommes perdront la vie et plus encore d'entre eux perdront leur âme parce qu'ils n'auront pas voulu « vivre en hommes libres, c'est-à-dire comme des hommes qui refusent d'exercer et de subir la terreur ».

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