La rencontre de César et Cléopâtre ...
rideau
La nuit tombe. Une de ces nuits d'Alexandrie qui ne sont ni africaines ni asiatiques; plus intenses qu'à Rome peut-être, quand le vent du Midi a été vif, mais assez semblables à celles d'Athènes. La voix de César résonne, surprise.
- Un cadeau ? A cette heure-ci? Je me méfie des cadeaux dans ce pays. Renseignez-vous.
Une minute se passe puis l'officier revient auprès de César.
-  L'homme qui porte le cadeau s'appelle Apollodore. Il parle latin. C'est un serviteur de la reine Cléopâtre. Il est arrivé au palais en barque, portant sur son épaule un bagage qu'il dit destiné à l'un de vos gardes. On l'a laissé passer. Parvenu au bout de la galerie, il a demandé le centurion de garde et lui a annoncé qu'il n'était pas le portefaix qu'on croyait mais le messager de la reine Cléopâtre et qu'il désirait vous entretenir pour vous remettre le cadeau de la reine qu'il continue de porter sur l'épaule.
- Et qui ressemble à quoi?
- C'est une natte de couchage, un tapis en quelque sorte, qui est roulé, ficelé, assez mince et...
- C'est bon. Faites-le entrer.
César va se rasseoir. Il se remet à écrire, lève la tête quand le grand gaillard qu'est Apollodore parait escorté de l'officier, suivi par cieux gardes, une natte multicolore sur l'épaule.
- Où est la reine?
Apollodore, quoique Sicilien, a ce geste oriental qui n'est pas tout à fait l'expression du doute, pas tout à fait celle de la connivence ni celle de l'ironie et qu'on attrape si vite au Levant. Il ne répond pas autrement.
- Alors, le message, ordonne César.
Apollodore sourit. En guise de réponse, ayant déposé la natte sur les dalles avec un soin méticuleux, il se prosterne.
S'étant relevé, Apollodore déclare :
- Que la permission d'ouvrir cette natte me soit donnée. Ce qu'elle contient est une réponse à toutes les questions de César.
La permission accordée, il ne bouge pas, toujours souriant. Au bout d'un instant, il précise :
- La majesté du contenu de cette natte ne me permet d'agir que devant le seul César.
A ces mots, la crainte de l'attentat fait faire à l'officier un pas en avant. Mais César :
- Sortez. Que les gardes sortent avec vous.
Pendant qu'ils s'éloignent, Apollodore se penche et dénoue les liens. C'est au tour de César d'être impassible. A peine regarde-t-il brièvement son épée posée devant lui. Il est l'homme de la prudence autant que l'homme de la témérité. Il a failli pousser un cri. Malgré son flegme, il s'est levé. Le visage sans expression, il contemple, en travers de la natte maintenant étalée, une jeune fille.
Elle est vêtue à la grecque. Sa robe de voile mauve est serrée sous les seins par une cordelière d'or, fendue jusqu'à la cuisse, découvrant sur un fin mollet, d'une peau tendre, rosée, la spirale, d'or aussi, du cordon qui tient la sandale étincelante. D'un jet, sans l'aide de ses mains, elle s'est soulevée et assise. Le coup de reins souple qu'elle a donné a fait jouer les longs muscles du petit corps que le voile enveloppe plus qu'il ne le vêt.
Le visage s'est tourné vers Apollodore. Il est prosterné, le front rivé aux dalles. Du bout des doigts, elle lui touche l'épaule. Elle ne la touche pas tout à fait, remue plutôt l'air pour alerter le colosse qui se relève et, comprenant dans l'instant le regard autoritaire et gentil, reconnaissant peut-être qu'elle lui jette, s'incline et se dirige vers la porte. En l'ouvrant il se heurte à l'officier et aux gardes que l'inquiétude a maintenus contre le battant. A tout hasard, ils avancent, saisissent Apollodore par les bras et entrent, avides de s'assurer que César est vivant.
- Sortez I dit-elle.
L'officier interroge César du regard. César ne bronche pas. S'il a mis quelques secondes à admettre que ce petit corps, menu, potelé était celui de Cléopâtre, reine d'Égypte, et reine rebelle, il ne doute plus depuis qu'il a été témoin de la servile obéissance d'Apollodore.
Cesar et Cleopatre
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