Les exécutions sont non seulement une nécessité pour le peuple de Cuba mais également un devoir imposé par ce peuple. Telle est la réponse, datée du 5 février 1959, signée de Ernesto Che Guevara, à une lettre de son compatriote, l'Argentin Luis Paredes, qui s'inquiète des exécutions quotidiennes et massives que rapporte la presse internationale.
Raoul Castro ordonne des exécutions massives dans l'est du pays. En un seul jour, soixante-huit personnes sont passées par les armes. A la Cabana, les procès ont lieu en présence des journalistes. Quelques heures, parfois quelques minutes suffisent pour envoyer à la mort des hommes considérés comme des tortionnaires ayant servi la dictature mais aussi des gens qui n'ont joué aucun rôle dans la répression. Il suffit d'une dénonciation, de quelques cris poussés par un homme ou une femme assoiffée de vengeance, pour que la sentence soit prononcée et, quelques heures plus tard, pendant la nuit, mise à exécution.
Des « volontaires » sont mis à contribution. Parfois, ce sont des membres de la famille des « martyrs de la Révolution » qui sont invités à faire partie du peloton. C'est le cas d'Olga Guevara (sans aucun lien de parenté avec le guérillero), sœur d'un révolutionnaire assassiné, qui répond à cette étrange invitation (faire partie de ceux qui vont exécuter un des condamnés à mort) par une fin de non-recevoir: « Ce militaire-là a tué mon frère et trente habitants de Pilon, mais je ne pourrais pas tirer sur lui de sang-froid. » Ce sera le seul témoignage critique sur les exécutions publié dans Revolucion.
Le Che lui-même n'est qu'un exécutant. Les ordres viennent de plus haut. Ils arrivent sous la forme d'enveloppes scellées, tous les soirs vers six heures.Guevara les attend avec impatience, faisant preuve d'une étrange nervosité lorsque le messager prend du retard. Ces plis contiennent les sentences qui vont être prononcées un peu plus tard par le tribunal révolutionnaire de la Cabana, le plus important et le plus implacable qui, toutefois, ne fait que suivre les instructions de Fidel Castro en personne.
Il est rare que quelqu'un soit acquitté. C'est soit la peine de mort, soit dix, vingt, trente ans de prison. Ce sont d'abord les hommes de l'armée de Batista qui sont condamnés. Les exécutions sont filmées et les images diffusées ensuite à la télévision et aux actualités cinématographiques projetées sur grand écran. Ainsi, dans l'un des films conservés, on voit un ex-militaire noir se plier en deux après la décharge des fusils puis tomber à la renverse dans le fossé. Dans un autre film, on voit le chapeau d'un des principaux officiers de l'armée vaincue s'envoler au moment on il va lui aussi s'écrouler dans le fossé. Celui-ci avait d'abord été jugé dans un stade de baseball, devant une foule enhardie et face aux caméras de télévision. Il avait même osé comparer son procès à un « cirque romain ». Devant le tollé d'une partie de la population cubaine et de la presse américaine, il fut rejugé, plus discrètement cette fois, mais n'échappa pas à la mort.