Il a une maîtresse mais ne l'entretient pas.
Autant par origine que par éducation, il estime que les hommages des femmes lui sont dus et, qu'au contraire, elles doivent le remercier de ce qu'il fait pour elles ! C'est ainsi que, deux ou trois fois, il donne a Clara un billet de cinq cents lires pour qu'elle s'achète une robe...
Il ne s'est montré généreux qu'une seule fois. C'était au début de leur liaison. Il avait appris qu'elle faisait de la peinture. Il voulut lui faire faire une exposition sur-le-champ et lui donna quinze jours pour la préparer. Clara se trouva à court de toiles. Elle dut recourir à l'aide de son maître de peinture, Rondini. Elle fut prête à temps.
L'exposition de ses petites toiles délicates et romantiques, dominées par les fleurs et les oiseaux, fit assez bonne figure. Mussolini acheta ou fit acheter toutes les toiles exposées. Il ne renouvela jamais un tel geste.
Clara se plaignait un peu de la ladrerie de son amant à sa famille, puis s'en amusait. Mais son frère, Marcello, lui suggéra :
— Dis-lui merci lorsqu'il te donne cinquante lires et arrange-toi d'une autre manière. Je t'en • seignerai comment.
La brave Clara n'était pas rouée. Marcello l'était pour deux.
Rapidement, le frère exploitera la situation « particulière » de sa soeur.
Cette grande passion ne va pas sans lassitude, monotonie ou, plus grave, sans scènes violentes et menaces de rupture.
Clara brûle de jalousie car elle n'ignore pas que son Ben — comme elle l'appelle — continue à avoir de fugitives maîtresses, dont il mène l'assaut à quelques pas d'elle, dans la salle de la Mappemonde. Mais elle n'ose lui lancer :
— Tu me trahis, eh bien ! je te quitte. Elle a trop peur qu'il ne la prenne au mot... Elle ne peut se résoudre à le perdre.
— Si je m'en vais, dit-elle à Navarra, qui sait quelle femme viendra prendre ma place !
Pour Mussolini, c'est un printemps qui entre dans sa vie. Il va sur ses cinquante-quatre ans, surchargé de soucis, au pouvoir depuis quatorze ans, sans véritables amis, souffrant de maux d'estomac. Clara, Claretta, par sa jeunesse, sa vivacité de caractère, son rire communicatif, sa totale disponibilité et sa fougue sensuelle, le séduit plus que toute autre femme.
Dès leur première étreinte, là, au palais Venise, dans la salle de la Mappemonde, c'est un éblouissement. Il va se lier à cette jeune femme avec une impatience, une tendresse, une ardeur nouvelles, une passion jalouse et violente qu'il éprouve pour la première fois avec une telle intensité, une telle plénitude.
Très vite, il a un immense besoin d'elle. Il veut la voir chaque jour. Il lui téléphone sans cesse pour qu'elle aille à l'Opéra, aux cérémonies officielles, pour la voir de près et lui faire discrètement des signes d'intelligence.
Il bouleverse ses habitudes. Il lui ouvre son appartement privé au palais Venise : l'appartement Sybo, dont bien peu connaissent l'existence et auquel on n'accède que par son ascenseur particulier ou par le salon royal. Ainsi peut-il la sentir à ses côtés et, entre deux audiences, la serrer dans ses bras.
Clara Petacci va prendre l'habitude de venir tous les après-midi au palais Venise.
Durant la guerre, lorsque la circulation des voitures particulières sera interdite, le déplacement quotidien de la jeune femme à l'appartement Sybo donnera lieu à un pittoresque ballet policier.
Un taxi, toujours le même, viendra la chercher pour la déposer en bas, sur une place, où elle ira s'asseoir dans une automobile fermée et aux rideaux tirés qui la mènera au palais Venise. Une coûteuse installation de signaux électriques s'étendra de la villa au palais.
L'agent de service à la grille de la villa, quand il verra sortir Clara, pressera un bouton, l'agent qui se trouvera sur la place fera de même, puis celui qui sera en poste dans la rue Astalli pour prévenir l'agent posté dans la cour du palais...
Clara entre par le portail donnant sur la rue des Astalli et monte directement par l'ascenseur dans l'appartement Sybo. Elle y reste des heures à attendre son seigneur et maître, lisant et rêvant, ou bavardant longuement avec l'huissier-valet de chambre, Quinto Navarra, quand celui-ci vient lui servir le thé.
Elle ne sort jamais de l'appartement. Tout au plus, elle se risque, parfois, jusqu'au seuil de la salle royale où là, près de la porte, assise à une table d'huissier, elle fait une réussite, prêtant l'oreille au pas lourd du Duce quand il traverse la pièce voisine, la salle des Batailles, pour venir la rejoindre.
Paolo Monelli nous la dépeint ainsi :
« Claretta était alors, en 1936, à vingt-quatre ans accomplis et déjà séparée de son mari, une gracieuse jeune femme, aux cheveux noirs bouclés, coupés court, qu'elle devait tous les soirs tordre en des douzaines de papillottes, aux yeux clairs entre le gris et le vert. Elle avait appris à sourire en pinçant légèrement les lèvres pour ne pas montrer ses gencives, car elle avait de petites dents.
« Bien proportionnée, de taille moyenne et la gorge un peu exubérante, mais au demeurant de forme délicate, les jambes fines et une voix basse, chaude, un peu rauque : une de ces voix qui paraissent chargées de promesses, d'abandon, de mélancolie. Il y avait une raison pathologique à cela : un mal de gorge dont elle souffrit dans son enfance et dont elle ne guérit jamais tout à fait. »
Claretta toutefois paraissait florissante ; parfois avec une ombre de tristesse dans les yeux et sur son visage. Elle était vive, enjouée, rieuse mais de tempérament assez passif. Elle était capable de rester des heures dans sa chambre à lire des magazines, à écrire des vers ou simplement à rêvasser.
Elle était encore adolescente quand elle avait commencé à dédier des vers à Mussolini et à les lui envoyer. Pour elle, comme pour des milliers de jeunes Italiennes, le Duce était une idole. Dans sa chambre, les murs étaient couverts de photos du grand homme. Elle le croyait inaccessible.