Napoléon à Sainte-Hélène
rideau
Napoleon 1er à Sainte Helene

Pas un chemin qui ne soit gardé par un soldat. A celui qui a conduit par toute l'Europe ses armées victorieuses, on mesure l'espace, on marchande l'air. Il a eu cent palais, on le loge dans une grange. Et pour l'humilier plus sûrement, on le condamne à un dénuement dégradant : l'habitation est délabrée, le mobilier rudimentaire et la nourriture répugnante. Cet exil de Napoléon à Sainte-Hélène est si barbare que les compagnons de Napoléon finissent pas ne plus pouvoir le supporter. Ils se découragent, leur esprit s'inquiète, leur humeur s'aigrit. C'est dans cette atmosphère étouffante que languit Napoléon. Ses journées se traînent parmi les querelles de ses amis et l'étroite surveillance de ses gardiens. Cet homme qui a été un géant de travail, périt de désoeuvrement. Sa santé s'altère. La littérature, les vers de Béranger et de Victor Hugo ont contribué à fortifier dans les esprits français cette horreur de la captivité de Napoléon. Mais cette impression fut-elle juste ? Les traitements des Anglais furent-ils aussi impitoyables ?
La réponse nous est apportée par Philip Primrose, comte de Rosebery, qui en 1900 publie Napoléon, La Dernière Phase. Très attaché à la tradition britannique, il est d'esprit ouvert. Il s'est donné pour tâche d'examiner tous les témoignages concernant la détention de Napoléon à Sainte-Hélène, ne craignant pas de critiquer le gouvernement anglais lui-même.

Hudson Lowe le geolier de Napoleon à Sainte Helene

Et l'Angleterre, en la personne d'Hudson Lowe (gauche), avait bien choisi un réel geôlier. Lord Rosebery juge ce personnage avec une impitoyable sévérité. « Il n'est pas, dit-il, de nom dans l'Histoire aussi malencontreux que celui d'Hudson Lowe. Sa malchance voulut qu'il accepta une position où il était difficile à quiconque et à lui de réussir. C'était un homme à l'esprit étroit, ignorant, irritable, sans l'ombre d'un tact.». Tous les témoignages s'accordent sur ce point, même les rares défenseurs d'Hudson Lowe. Même Wellington : « C'était un choix déplorable. Il manquait à la fois d'éducation et de jugement, c'était un sot ».
Si le gouvernement anglais, par la suite, désavoua moralement Hudson Lowe. Rosebery n'admet pas que la responsabilité du traitement infligé à Napoléon puisse être diminuée. En effet, Lowe n'a pas agi de sa seule initiative. Quoique trop zélé, il n'était qu'un subalterne. Et Rosebery écrit : Il ne serait pas juste d'imputer à Lowe et à Cockhurn la responsabilité de ces ignominies, ils ne faisaient qu'exécuter à la lettre et de façon grossière une sordide et brutale politique. Le grand coupable fut le gouvernement anglais, dont la conduite fut absolument dépourvue de dignité .
Et lord Rosebery d'étudier les actes de lord Balthurst, sous-secrétaire d'Etat des Colonies d'Angleterre. « Pour le tact et la convenance, celui-ci rivalisait avec Lowe. Il ordonna de rogner sur le budget, déjà maigre de l'empereur et de ses compagnons décide qu'aucune lettre ne peut lui parvenir que par l'intermédiaire du gouverneur ; il envoie d'Angleterre une grille pour clore solidement l'enceinte dans laquelle Napoléon est autorisé à se promener, etc. »

Napoleon Bonaparte à Sainte Helene

Le principal souci des Anglais est d'empêcher l'empereur de s'échapper. Lowe a reçu sur ce point des instructions spéciales. Pourtant Napoléon paraît fort tranquille, et Cockburn lui-même déclare : « Même le diable ne sortirait pas de cette prison ». Comment fuir en effet ? Le plateau de Longwood est comme découpé dans le bloc de granit qu'est Sainte-Hélène. La mer et les rochers à pic l'entourent de trois côtés ; de l'autre il ne communique qu'avec l'île par une sorte d'isthme si étroit et de pente si raide qu'il suffirait de 50 hommes pour le défendre contre I0 000. De plus, le 53e régiment et une compagnie du 66e sont campés à une portée de fusil de la maison. Le soir le cordon de sentinelles se resserre tellement qu'elles se touchent presque. Il y a une escadre dans la rade, et des frégates croisent sans arrêt le long des côtes. Tout navire est signalé à 60 miles de distance et aucun n'est autorisé à faire relâche. Qu'importe, Lowe est tourmenté par la crainte d'une évasion. Montchenu, le commissaire français, dit que dès que l'on voit un chien passer quelque part, on place immédiatement un ou deux factionnaires à l'endroit suspect. Lowe n'est toujours pas rassuré. Il en perd le sommeil. Après six entrevues Napoléon refuse de le recevoir. Désormais l'ombre de Lowe rode autour de Longwood.
Puis le temps vient où le prisonnier ne se montre même plus aux fenêtres. Le gouverneur s'affole. L'empereur n'est-il pas en train de glisser par un ravin impraticable, vers quelque mystérieux bateau sous-marin qui l'attend ? Le 29 août 1819, n'y tenant plus, Lowe écrit à « Napoléon Bonaparte » pour l'informer que l'officier de service a ordre de le voir chaque jour. Si à 10 heures du matin, Napoléon n'a pas paru, l'officier doit pénétrer de force dans sa chambre ! Napoléon répond que s'il lui faut choisir entre la mort et pareille ignominie, il n'hésitera pas !
Lord Rosebery trace un tableau de l'existence de Napoléon à Sainte-Hélène. Longwood, écrit-il, n'était qu'une agglomération de baraques construites pour servir d'abri aux bestiaux. L'endroit était sans cesse balayé par les vents Le maître de tant de palais était réduit maintenant à deux petites pièces d'égales dimensions de 14 pieds sur 12, chacune éclairée par deux petites fenêtres, faisant face au bivouac du régiment anglais. Comment Napoléon arrange-t-il sa vie ? Il déjeune seul à 11 heures et dîne à 7 heures, plus tard le dîner aura lieu à 4 heures, changement qui a pour but de tromper l'ennui des longues journées. L'empereur passe tous les jours dans sa hutte, lisant, écrivant, et « s'ennuie à la mort ».

Napoleon Bonaparte à Sainte-Helene

L'unique plaisir du prisonnier est l'arrivée de ses livres. Il haït tout ce qui lui rappelle la prison. Restant chez lui, dit-il à Gourgaud, il conserve sa dignité. Le manque d'exercice le rend malade. Il a des attaques de scorbut, ses jambes enflent. Toutefois, la dernière année, il se sent repris du désir de vivre. Mais sa principale occupation est son jardin. Il plante, creuse, remue la terre. Par ailleurs ses compagnons ont une rude besogne. Il leur dicte des textes des nuits entières. A part cela, si au début il monte à cheval, la présence d'un officier anglais sur ses talons lui devient intolérable et il reste quatre ans sans monter.
Pour les ressources nécessaires à la vie qu'ils lui imposent, les Anglais ont fixé un budget par lequel Napoléon et ses serviteurs, sont réduits à la portion congrue. Entre autres, le vin et la viande, quoique de mauvaise qualité sont petit à petit supprimés. Lowe s'acharne à réduire toutes les dépenses. L'empereur, furieux. fait vendre son argenterie, plus tard le combustible ayant manqué, il commande de brûler son lit. Lowe craint que le bruit se répande en Europe et fasse scandale. Il balbutie des excuses. En signe de bonne volonté il fournit à Napoléon des livres qu'il demande pour écrire le récit de ses campagnes... et lui adresse la facture !
On ne peut s'empêcher de penser à l'animal en cage qui arpente de long en large le repaire où il est emprisonné pendant six ans, Napoléon connut l'amertume d'une mort lente. désolée, hantée par le regret. Il n'y a point dans l'histoire de position analogue à la sienne.

anecdote
accueil
Accueil
Napoléon Bonaparte