Pour l'état-major allemand, c'est
une certitude : le fort de Douaumont
est la piêce maîtresse du
système défensif de Verdun. Alors ce
25 février 1916, le haut commandement
impérial ne lésine pas sur les
moyens : il charge un corps d'élite, la 5e division Brandebourg, de s'emparer
de cette redoutable citadelle qui
domine tout le front nord. Mais avant
d'espérer faire tomber ce mastodonte
que les Allemands pensent puissamment
défendu, il faut le marmiter encore et encore. En attendant que l'artillerie
finisse de l'écraser sous les
obus. le 24e régiment Brandebourg a
reçu pour instruction de s'arrêter à
800 mètres des murailles.
La 8e compagnie de ce régiment
s'installe donc dans des trous d'obus
et se prépare à passer la nuit là, en
attendant le déclenchement de l'assaut.
Le lieutenant von Brandis (photo gauche, assis), qui la
commande, s'impatiente. Il scrute les
abords qui sont étonnamment déserts.
Curieux, il désobéit aux ordres et part
en reconnaissance avec ses hommes.
Le détachement d'une vingtaine de soldats coupe les barbelés, dévale un
fossé puis escalade les contreforts.
Sans rencontrer le moindre défenseur,
il pénètre au coeur du fort. Brandis
est médusé. Il découvre que la citadelle
ne compte, en tout et pour
tout, qu'une minuscule garnison de
57 territoriaux et 10 artilleurs. Tous se
rendent sans un coup de feu.
Une vaste opération d'enfumage
Le drapeau jaune frappé de l'aigle
noir est immédiatement hissé. Le
lendemain, toute la presse allemande
exulte.
Douaumont est capturé claironnent
les journaux. Dans toutes les
villes du Reich, les cloches sonnent.
Brandis reçoit la croix du mérite militaire.
Le haut commandement allemand
se garde pourtant bien de révéler
la réalité moins glorieuse de
l'exploit de la 8e compagnie.
Du côté français commence aussi
une vaste opération d'enfumage
menée par le Grand Quartier général.
Pour masquer le camouflet, l'armée
fait circuler dans la presse un scénario imaginaire.
A la suite
d'assauts répétés où lennemi a accumulé
des monceaux de cadavres, le
fort avait fini par être enlevé. .. L'ordre
de la contre-attaque a déchainé une
poussée irrésistible et nos admirables
troupes reprenaient Douaumont, rapporte L'Echo de Paris, le 26 février
1916.
Le GQG ment pour cacher ses
propres erreurs d'appréciation. Car,
si Douaumont est tombé si facilement,
c'est parce qu'en août 1915,
l'état-major français a convaincu le
gouvernement de désarmer les forts
et d'envoyer les garnisons sur le front.
Personne ne sait ce qui s'est passé
Même au sommet de l'Etat, personne
ne sait ce qui s'est passé à
Douaumont. Le président de la République,
Raymond Poincaré, tout
comme le général Gallieni, ministre
de la Guerre, sont tenus dans l'ignorance.
Intoxiqué par le GQG, le président
du Conseil Aristide Briand
affirme à la Chambre des députés
que des contre-attaques heureuses
ont refoulé l'ennemi. Les services
du général Joffre s'enferrent dans un
mensonge qui se prolonge plusieurs
semaines. Il faudra attendre le mois
de mai 1916 et une tentative avortée
de reprise du fort, menée par le général
Mangin, pour que le GQG reconnaisse
que Douaumont est tombé
aux mains des Allemands.