Pierre Laval ...
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Laval au proces du Marechal Petain
Les défenseurs sont inquiets de cette arrivée inopinée : le bâtonnier Payen, dans beaucoup de ses interventions, a déplacé certaines des responsabilités du maréchal sur Laval absent. Laval présent ne risque-t-il pas de remettre tout en question ?
Quand, le 3 août, il pénètre dans la salle bondée de la 11eme chambre, un grand silence se fait. Qui oubliera, raconte Jacques Isorni, l'entrée de cet homme ravagé, les cheveux blanchis, au teint plus marron que jaune, le cou décharné, les yeux battus sous les paupières lourdes, avec le costume pauvre et fripé de quelqu'un qui a dormi tout habillé la nuit entière, dans un compartiment de troisième classe. Il y avait en lui de la misère et de l'inquiétude. On le regardait. On suivait chacun de ses pas, chacun de ses gestes. Il serrait contre sa poitrine une serviette toute plate qui ne devait pas contenir grand-chose, comme s'il avait tenu là des documents sau­veurs et les secrets de sa politique. Au milieu des éclairs de magnésium, il s'avan­çait hésitant, cherchant peut-être une tête aimée. Il était seul...
Vis-à-vis de ce pestiféré de la collaboration, Mongibeaux a une attitude méprisante :
Je ne vous fais pas prêter serment, lui dit-il. Je ne vous entends qu'à titre de renseignements.
Pierre Laval au proces du Marechal Petain
L'homme qui a cristallisé tous les malheurs et toutes les haines des Français parlera pendant deux audiences : « mauvais génie » de Pétain, selon le mot du général Weygand. « traître intégral », selon celui d'un autre officier français, Pierre Laval livre, sans doute, le fond de sa pensée quand il explique pourquoi, après l'armistice, il s'est lancé dans la collaboration avec le vainqueur du moment. Et le mot clef de l'entrevue Pétain-Hitler à Montoire apparaît enfin dans le débat. Pourquoi cette entrevue ? Pierre Laval le dit :
Je voudrais que chacun mette les pieds sur la terre solide. Au mois d'octobre 1940, où était l'Angleterre ? L'Amérique n'était pas entrée dans la guerre. Les Russes étaient aux côtés des Allemands... Croyez-vous qu'en 1940 un homme de bon sens pouvait imaginer autre chose que la victoire de l'Allemagne ?... (Protestations.) En octobre 1940, je vous dis... (Protestations.) J'entends bien... Je m'excuse si je dis quelque chose qui vous blesse, je parle avec les faits du moment...
M. LE PREMIER PRESIDENT. - Vous acceptiez, le maréchal acceptait de changer de camp ?
M. PIERRE LAVAL. - Mais nous ne changions pas de camp. Nous n'avions plus de camp, l'armistice était signé...
M. LE PREMIER PRÉSIDENT. - Vous êtes un juriste. Vous savez que l'armistice est une suspension d'armes, ce n'est pas la paix.
M. PIERRE LAVAL.- Je le sais. L'armistice était signé. Je sais bien que ce que je dis peut choquer ou blesser, mais je voudrais tout de même qu'on juge avec l'impression non pas du mois d'août 1945, mais du mois d'octobre 1940. L'intérêt de la France à ce moment-là eût été d'évidence de trouver avec l'Allemagne une formule qui nous fasse échapper aux conséquences de la défaite. Qu'est-ce que nous désirions ? Qu'est-ce que je voulais ? Qu'est-ce que voulait le maréchal ? Ne pas perdre un mètre carré de notre territoire. Pouvions-nous le prétendre ?   Oui, monsieur le Président, parce que l'Allemagne était impuissante à faire l'Europe sans le concours actif de la France.
Si l'Allemagne avait voulu faire une Europe et molester la France, écraser la France, la résistance se serait organisée à ce moment dans tous les pays de l'Europe, parce que l'Allemagne était incapable d'avoir une hégémonie sur l'Europe: le prestige de la France en Europe centrale, en Europe orientale, partout, me faisait croire, à moi, que la politique que je faisais n'était pas dangereuse car j'étais sûr que, le jour où l'Allemagne aurait mis bas les armes, la France retrouverait sa place.Voilà la position que j'ai prise et voilà pourquoi je l'ai prise.
M. LE PREMIER PRÉSIDENT. - Dans cette période-là, vous aviez envisagé de faire une politique de collaboration avec l'Allemagne, considérant que c'était la seule politique qui permît à la France de jouer son jeu...
M. PIERRE LAVAL. - Qui permît à la France de ne pas être meurtrie. Il s'agissait du début de l'occupation. Nous sommes en octobre 1940, et il faut situer un fait au moment où il s'est passé. Plus tard, il y a eu d'autres choses pénibles, dures, c'est entendu, je m'en expliquerai le moment venu, mais je parle d'octobre 1940.
Laval et Petain au proces du Marechal
Mais quand, le 5 juin 1942, Laval a prononcé la célèbre phrase «Je souhaite la victoire de l'Allemagne, parce que sans elle le communisme demain s'installerait partout en Europe », le maréchal était-il totalement d'accord avec son chef de gouvernement ? Laval donne de longues explications sur la genèse de cette phrase, rédigée ainsi par lui dans une première mouture : Je crois à la victoire de l'Allemagne et je la souhaite parce que, etc., puis modifiée après un conciliabule entre Rochat, secrétaire général des Affaires étrangères, et Pétain. Étrange affaire que celle de cette phrase, à propos de laquelle l'accusé demande à prendre la parole, après s'être concerté avec Payen :
M. LE MARÉCHAL PÉTAIN. — J'ai eu une réaction très violente quand j'ai entendu, dans le discours, cette phrase de M. Laval : «Je souhaite la victoire de l'Allemagne. »
Il a dit, tout à l'heure, qu'il était venu me trouver avec M. Rochat, qui représentait le ministre des Affaires étrangères, pour me montrer cette phrase. Eh bien, jamais M. Rochat n'aurait accepté de maintenir cette phrase, et j'étais d'accord avec lui.
Et puis, alors, quand je l'ai entendue à la radio — je croyais que c'était fait, qu'il avait arrangé l'affaire — quand j'ai entendu que cette phrase était répétée à la radio, j'ai bondi. Je ne me suis pas rendu compte. Je croyais que c'était supprimé et je suis navré qu'elle soit restée.
Temoignage de Laval au proces du Marechal Petain
Au fil des heures ensuite, Laval égrène ses souvenirs du temps de l'occupation : la relève, les déportations, les arrestations, la Milice, la L.V.F., la lutte contre les résistants et les maquisards. Il traite de tous les chapitres, explique sa position personnelle et l'on a l'impression que sur le procès Pétain se greffe un procès Laval. Laval présente un système de défense sinon cohérent, du moins détaillé. Au fond, il fournit ses explications de chef de gouvernement d'un territoire occupé: et ses explications tiennent en une formule : éviter le pire. Avant de finir, Laval jette ces derniers mots :
Il n'en reste pas moins que le maréchal était au courant de tout ce que je faisais d'important. J'avais avec lui des contacts tous les matins, que je lui rendais compte. Dans la mesure où je pouvais, je tenais compte de ses avis. Mais le maréchal était naturellement au courant.
Ce sont peut-être les moments les plus importants de sa déposition.
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Le procés Pétain