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Les hommes orchestres de l'An II

Les représentants
du peuple

Ils n'avaient qu'à se montrer pour répandre l'effroi.
Leur vertu y était pour beaucoup, mais pour un peu aussi leur costume théâtral imaginé par le peintre David : un panache tricolore au chapeau, une écharpe de même ton à la ceinture et un sabre pendu dans un baudrier de cuir au mollet.

Le pouvoir illimité des représentants du peuple

général dumouriez
La trahison de Dumouriez (gauche), le 5 avril, avait sonné l'hallali aux frontières. De tous côtés les coalisés avançaient, les Anglais assiégeaient Dunkerque, ils allaient prendre Toulon, et le péril surgissait à l'intérieur même de la République avec les rébellions de Vendée, puis de Lyon, de Bordeaux, de Marseille, du Calvados.
La tâche des représentants jetés en hâte au devant de l'invasion consistait à l'arrêter, tout de suite, et partout. Ce programme, indéfinissable à force d'importance, ne comportait aucune directive précise. La Convention, qui ne savait par quel bout prendre le danger, munit ses émissaires de pouvoirs illimités. « J'ai été en mission plus de deux ans, et je n'ai jamais eu une instruction d'une ligne », écrit l'un d'eux.
Il leur fallait jouer tous les rôles à la fois, chefs militaires, stratèges, administrateurs, logisticiens, tribuns, juges. Ils avaient à réorganiser une armée anarchique, à la créer presque de toutes pièces en veillant à l'application des nouvelles lois sur l'amalgame et l'embrigadement.
Ces recrues récalcitrantes, ou seulement maladroites, ils devaient les instruire, les nourrir, les vêtir, les enflammer de leurs harangues, et, parfois, les conduire eux-mêmes au feu. Présents à tous les points chauds, dans les clubs, les municipalités, aux bivouacs, aux quartiers généraux, ils répandaient d'une main les exemplaires de la nouvelle Constitution, et, de l'autre, les numéros du Père Duchesne.
Ils allaient aussi au théâtre, mais c'était pour remplacer les pièces inciviques par Caius Gracchus ou Robert, chef des brigands, grands succès parisiens.

Juristes, agriculteurs, commerçants, médecins, ecclésiastiques ou poètes

S'ils surveillaient les autres, ils l'étaient à leur tour car la Convention ne leur avait pas dispensé sans précautions tant de puissance. Tels les missi dominici de Charlemagne, ils voyageaient deux par deux et n'étaient nommés que pour un mois et pour un seul département.
Souverains dans leur ressort, ils n'avaient aucun pouvoir ailleurs, d'où, entre eux, de sourdes rivalités. Leurs décisions, toujours provisoires, étaient validées par le Comité de salut public qui exigeait des états quotidiens d'effectifs et d'approvisionnements, sans compter un rapport hebdomadaire qu'ils devaient adresser à l'Assemblée.
Accablés d'affaires, étouffés de paperasses, à cheval par tous les temps, harcelés de réclamations, exposés à la mitraille, insomniaques, hantés en permanence par la crainte de se tromper, les malheureux Conventionnels croulaient sous le faix. Rien ne les prédisposait à ces fonctions d'hommes-orchestres. Si tous avaient en commun leur mandat de député à la Convention, ils offraient, sur le plan professionnel, un échantillonnage des plus disparates. Juristes, agriculteurs, commerçants, médecins, ecclésiastiques, ou poètes, ils avaient même parmi eux un chimiste réputé, futur directeur de l'École polytechnique, Guyton de Morveau, qui venait d'inventer un aérostat et l'expérimentait sur les champs de bataille, au grand effroi des Autrichiens.
A part deux ou trois officiers de l'ancienne armée royale, ils n'avaient surtout aucune compétence militaire.

Les généraux dans le collimateur des représentants du peuple

Général Houchard
Ils étaient en particulier redoutés par les généraux, car ils avaient le droit de les suspendre sur-le-champ, pour la moindre faute, fût-ce un simple manque d'entrain et de les remplacer par n'importe quel candidat de leur choix. Sur la dénonciation de quelque subalterne mécontent, ils les déféraient au Tribunal révolutionnaire. C'est qu'ils apportaient dans leurs bagages la peur obsessionnelle qu'avait la Convention d'être trahie.
Les armées de la République, plus encore que par l'ennemi, étaient menacées par le désordre, les complots, les désertions et l'incompétence généralisée.
Beaucoup d'officiers appartenaient aux cadres d'Ancien Régime. Ils avaient certes résisté aux sirènes de l'émigration, mais la proximité, aux frontières, de leurs frères d'armes, entretenait les tentations. Ils méprisaient les nouvelles recrues et surtout les officiers carmagnole.
Toute erreur pouvait conduire à l'échafaud. L'exécution de Custine d'abord, puis celles de Beauharnais et de Biron affolèrent les plus fermes têtes. Houchard ( gauche), géant de un mètre quatre-vingt-dix au visage couturé de cicatrices, victorieux des Anglais à Hondschoote, s'écria un jour en présence d'un représentant :
Battez-vous donc pour ces bougres-là qui vous guillotinent ensuite!
C'est précisément ce qui t'arrivera si tu nous trahis
, riposta sèchement son interlocuteur.
Effectivement le malheureux Houchard fut décapité deux mois plus tard pour n'avoir pas su profiter de sa victoire. Flers, qui avait perdu la confiance des citoyens-soldats, et Brunet, qui avait refusé de diffuser dans ses régiments des exemplaires de la Constitution, subirent le même sort, et le représentant Albitte déclara que si le goût du sang humain était compatible avec le civisme il se désaltérerait volontiers de celui de Brunet.
Quelques-uns, comme Montesquiou-Fézensac, vainqueur des Piémontais, ne trouvèrent le salut que dans la fuite.
« Battez-vous donc pour ces bougres-là qui vous guillotinent ensuite », maugréait un énéral.
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