Nos misères empirent chaque jour...
rideau
travail dans les tranchées

Émile Sautour était originaire de Juillac en Corrèze. Il appartenait au 131e RI et il a été tué sur le front le 10 octobre 1916.
31 mars 1916

boue dans les tranchees

Mes bons chers parents, ma bonne petite soeur,
il me devient de plus en plus difficile de vous écrire. Il ne me reste pas un moment de libre. Nuit et jour il faut être au travail ou au créneau. De repos jamais. Le temps de manger aux heures de la soupe et le repos terminé reprendre son ouvrage ou sa garde. Songez que sur 24 heures, je dors 3 heures Et encore elles ne se suivent pas toujours. Au lieu d'être 3 heures consécutives, il arrive souvent qu'elles sont coupées de sorte que je dors une heure puis une 2e fois 2 heures. Tous mes camarades éprouvent les mêmes souffrances. Le sommeil pèse sur nos paupières lorsqu'il faut rester 6 heures debout au créneau avant d'être relevé. Il n'y a pas assez d'hommes mais ceux des dépôts peuvent être appelés et venir remplacer les évacués. Ou les disparus. Un renfort de 20 hommes par bataillon arrive, 30 sont évacués. Il n'y a pas de discipline militaire, c'est le bagne, c'est l'esclavage !... Les officiers ne sont point familiers, ce ne sont point ceux du début. Jeunes, ils veulent un grade toujours de plus en plus élevé. Il faut qu'ils se fassent remarquer par [uni acte de courage ou de la façon d'organiser défensivement un secteur, qui paie cela le soldat. La plupart n'ont aucune initiative. Ils commandent sans se rendre compte des difficultés de la tâche, ou de la corvée à remplir. En ce moment, nous faisons un effort surhumain. Il nous sera impossible de tenir longtemps; le souffle se perd. Je ne veux pas m'étendre trop sur des faits que vous ne voudriez pas croire tout en étant bien véridiques, mais je vous dirai que c'est honteux de mener des hommes de la sorte, de les considérer comme des bêtes.
Moindre faute, moindre défaillance, faute contre la discipline 8 jours de prison, par le commandant de la compagnie, porté par le Colonel. Le soldat les fait au repos, il est exempt de vin et de viande. Nous sommes mal nourris, seul le pain est bon. Sans colis, que deviendrions-nous ? La nuit que j'ai regagné le secteur actuel, nos officiers nous ont perdus. Nous avons marché 3 heures sous bois pour gagner le point de départ. La pluie et la neige tombaient. Il a fallu gagner le temps perdu et par la route nous avons monté en ligne. Mais le danger est grand pour faire passer un bataillon sur une route si bien repérée. Nous avons été marmités, mais pas de pertes. Nous avons parcouru 14 km en 2 pauses. En ce moment, c'est beaucoup trop pour des hommes vannés et par un temps abominable.
l'ai voulu vous montrer que ceux qui vous diront que le soldat n'est pas malheureux au front, qu'untel a de la chance d'être valide encore, mériteraient qu'on ne les fréquentent plus. Qu'ils viennent donc entendre seulement le canon au-dessus de leurs têtes, je suis persuadé qu'ils regagnent leur chez-soi au plus vite. Nos misères empirent chaque jour, je les vaincrai jusqu'au bout. A bientôt la victoire, à bientôt le baiser du retour.
Emile.

Les textes de cette page sont des extraits du livre Paroles de Poilus de Jean-Pierre Guéno des éditions Tallandier
Les textes de cette page sont des extraits du livre Paroles de Poilus de Jean-Pierre Guéno des éditions Tallandier
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