La flotte se saborde à Toulon ...
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C'est ce 19 novembre que Hitler, en dépit de la parole donnée, décida d'en finir une fois pour toutes avec la flotte française de Toulon en ordonnant d'exécuter l'opération Lilan, c'est-à-dire la capture des navires, qui constituait le deuxième temps de l'opération « Anton ». On comprend assez bien ses raisons. Les Russes venaient de déclencher la contre-offensive qui allait aboutir, en quelques jours, à l'encerclement de la Vle armée du général Paulus à Stalingrad et il n'entendait pas garder sur ses arrières la menace de cette flotte armée dont les chefs pouvaient, d'un jour à l'autre, être tentés d'imiter le général Barré, qui, précisément ce même jour, venait d'ouvrir le feu contre les forces de l'Axe à Medjez-el-Bab, en Tunisie.
Le grand amiral Raeder, l'amiral Theodor Krancke, aide de camp naval du Führer, essayèrent vainement de l'en dissuader. Ils se rendaient parfaitement compte qu'on ne pourrait pas de sitôt utiliser ces gros bâtiments, même si on les prenait intacts. Ne valait-il pas mieux endormir la vigilance des marins français ? Ils se doutaient, d'ailleurs, de ce qui allait se passer, témoin la réponse de ce capitaine de frégate Hugo Heydel, détaché en liaison auprès du général Hausser, lorsque celui-ci l'interrogea sur les chances de succès de l'opération « Lila » :
Aucune, à mon avis. Les Français ont déjà préparé un « Scapa Flow », comme nous-mêmes l'aurions fait.
En effet, le « Scapa Flow » toulonnais était prêt. Il s'en fallut de peu, toutefois, que les Français ne se laissassent surprendre, et pourtant les indices ne leur avaient pas manqué, mais peut-être leur signification ne fut-elle pas comprise sur le coup.
Le premier fut, dès le 19, l'expulsion ordonnée, sans raison apparente, par les Allemands de toutes les formations de l'armée de terre que le commandement français avait massées à l'intérieur du camp retranché pour en assurer la défense, non seulement contre la mer, mais aussi, et surtout, du côté de la terre. Deux jours plus tard, le 21, ils exigeaient l'éloignement de toutes les formations aériennes. Le 24, une formation de pionniers allemands vint s'installer à la base d'aéronautique navale du Palivestre, à Hyères. La même nuit, à Sète et à Port-Vendres, les troupes allemandes ont fait irruption sur quelques navires marchands français. A Marseille, le général Kaspers fait mettre une garde sur nos bâtiments de commerce. De Lorient, on annonce le départ, pour une direction inconnue, d'un fort contingent de marins allemands. De toute évidence, quelque chose de louche se prépare.
C'est pourtant le 26 au soir que, pour la première fois depuis l'alerte du 8, une petite fraction des équipages — un huitième — a été autorisée à descendre à terre !
la flotte française à Toulon en 1942
cuirassé français
L'exécution du coup de main, initialement fixée au 26 novembre, dut être reculée de vingt-quatre heures, trop de détails demeurant à régler au dernier moment. Le général Hausser avait compté sur un important concours de la Kriegsmarine et, de fait, 4 500 marins étaient en route. Mais ils avaient été prévus pour prendre possession des navires après leur capture. Pour l'instant, tout ce que la Kriegsmarine lui donnait, c'était un détachement d'une cinquantaine d'hommes sous les ordres du capitaine de frégate Heydel, enlevé au commandement de sa flottille de dragueurs en Baltique orientale.
Allemands à Toulon en 1942
Tout avait été minuté pour que les objectifs fussent atteints simultanément à 4 h 30, au moment précis où le président Laval serait réveillé pour être informé de l'opération, trop tard pour alerter la flotte, assez tôt, espérait-on, pour lui interdire de se saborder. Tous les fils téléphoniques avaient été coupés ; il n'y avait pas de poste de grand-garde du côté de la terre.
L'amiral Marquis fut pris au lit, mais des officiers de son état-major bondirent au poste central des transmissions pour donner l'alerte à l'amiral Dornon, commandant l'arsenal, qui la transmit à 4 h 30 à Laborde. Se refusant à admettre un tel forfait à la parole donnée, ce dernier ne donna pas tout de suite l'ordre de sabordage, mais seulement celui d'allumer les feux et de prendre les dispositions préliminaires.
Jusque-là, dans l'arsenal principal, on ne signalait encore que quelques tentatives isolées d'escalade. Ordre fut donné par Dornon de tirer sur ces maraudeurs. L'arsenal du Mourillon fut envahi le premier à 5 h 20, pas assez rapidement pour que cinq sous-marins ne réussissent à s'échapper. Dix minutes plus tard, c'était la porte Castigneu à l'arsenal principal qui s'écroulait sous la poussée d'un char. Cette fois, il n'y avait plus une minute à perdre. Aux vergues du Strasbourg des feux se mirent à clignoter, indéfiniment répétés par tous les bâtiments de la flotte « Saborder... Saborder... Saborder...
Perdus dans les dédales de l'arsenal, arrêtés par ses canaux et ses bassins, les Allemands mirent trois quarts d'heure à une heure pour atteindre les quais et les appontements. Trop tard, le drame était consommé partout.
la flotte fançaise se saborde à Toulon
Il faudrait pouvoir raconter en détail la fin de chaque bâtiment. Parfois le comique se mêla au tragique. Ailleurs, des bâtiments ravagés par l'incendie brûlèrent pendant deux jours avec des explosions incessantes. D'autres, comme le Strasbourg, coulé droit, pouvaient encore paraître intacts. L'amiral de Laborde refusait de le quitter, réclamant avec hauteur à tous les officiers allemands qui venaient l'y inviter qu'on voulût bien lui expliquer pourquoi le Führer avait manqué à sa parole. Il fallut un message personnel du maréchal Pétain pour le décider à partir !
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