Lorsque, au matin du 3 décembre 1940, le maréchal Pétain met le pied sur le quai de la gare Saint-Charles, on peut (lire que tout Marseille est descendu dans les rues pour l'attendre, pour le voir, pour l'acclamer ; l'itinéraire du cortège serpente paresseusement à travers les rues de la ville, évitant le chemin le plus court : or, partout l'affluence est compacte, vibrante, passionnée.
« Vive Pétain !» crie sans cesse la foule, et le célèbre soldat, radieux, répond d'un large salut aux acclamations qui montent continuellement vers lui ; ses bras se chargent de jeunes enfants que lui tendent des mères souriantes ; sa moustache se penche sur ces mutilés qui roulent vers lui le fauteuil où reposent leurs membres brisés ; sa canne s'arrête à caresser un chien ; son pas s'égare jusqu'à ces proches baraques où sont déjà exposés des santons de Noël, chacun de ses gestes est salué d'une ovation sans fin...
Cette ferveur n'est pas le produit d'une agitation artificielle : toutes les classes de la société, des représentants de toutes les professions, de toutes les catégories sociales y participent. Et ce ne sont certes point les cathéchismes de la propagande qui ont inspiré le geste des pêcheurs, offrant pour le banquet les plus beaux des loups que le golfe a livrés la nuit précédente ou celui de ce modeste artisan qui a modelé en terre cuite l'effigie du vieillard.
Il faut pourtant essayer de dénouer la gerbe de ces vivats, car le Maréchal, dès ce moment, est un personnage aux figures diverses : pour les légionnaires et les combattants qui acclament en lui les vertus militaires, il demeure, avant tout, le vainqueur de Verdun ; pour d'autres, il est celui qui a eu « le courage » de solliciter l'armistice ; pour d'autres encore, il est le mainteneur de la paix publique et le promoteur d'une restauration familiale ; pour beaucoup, il est l'architecte d'un ordre nouveau ; enfin, il est depuis quelques semaines le partenaire de l'inquiétant et mystérieux conciliabule de Montoire.