Les pendus de Tulle ...
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Pendaisons à Tulle
L'ingénieur en chef des Ponts et Chaussées de Tulle, M. Lajugie, a vu malgré lui des scènes horribles alors qu'il se rendait à la Manufacture.
Les Allemands qui m'emmenaient ne connaissant pas la situation de la Manufacture, je devais les guider. Nous prîmes l'avenue Victor-Hugo, la rue de la Gare. Le long du parcours, je fus surpris par les mesures de police apparemment prises. La circulation était interdite à toutes les voitures autres que celles, comme la nôtre, transportant des militaires chargés de mission. Deux cordons de troupes en armes, de plus en plus serrés à mesure que nous progressions, se tenaient à droite et à gauche.
Comme nous atteignions le pont sur la Corrèze, après avoir traversé le passage à niveau, la voiture s'arrêta. J'aperçus alors sur les trottoirs des hommes qui montaient des échelles pliantes en bois et plus loin, d'autres hommes déjà montés. Je m'étonnai de cette mise en scène inso­lite et du nombre de ceux qui, du moins le croyais-je, s'occupaient ainsi, parmi les soldats, de tendre ou de réparer des lignes de distribution électrique ou de téléphone.
Mon attention s'étant fixée, je ne tardai pas à me rendre compte que les hommes que j'apercevais à quelque distance, juchés de la sorte, étaient pendus et que ceux qui étaient plus proches, à quelques mètres devant nous, étaient des malheureux que l'on était en train de pendre... Je me demandai si je n'étais pas victime d'une hallucination, me rappelant encore les assurances données le matin et la conduite promise à l'égard de la population. L'idée que l'on me menait pendre comme ceux que je voyais vint s'imposer un moment à mon esprit.
le pendus de Tulle en 1944
Nous rencontrions les condamnés qui, en sens inverse, sortaient par groupes vers la place de Souilhac et vers le lieu de l'exécution. Je vis M. l'abbé Espinasse, aumônier du lycée, aller au-devant de l'un des groupes et demander aux soldats qui le conduisaient d'arrêter le cortège un instant pour lui permettre de donner à ceux qui allaient mourir l'absolution collective. On le lui accorda et ces jeunes hommes. agenouillés dans la poussière, reçurent avec ferveur le sacrement.
Des groupes successivement rencontrés, des mains suppliantes se tendaient vers moi. De tout jeunes gens, presque des enfants, m'imploraient :« Tout, mais pas cela ! Nous irons en Russie... Qu'on nous envoie en Russie... » D'autres disaient : « Un prêtre, que l'on nous donne un prêtre, par pitié ! ».
L'un d'eux se révoltait contre son sort et en quelque manière contre moi. Aux yeux des uns et des autres, en effet, le civil que j'étais parmi ces soldats étrangers pouvait passer pour détenir quelque pouvoir sur leur destinée, pouvoir dont il ne paraissait pas user... Peut-être même sont-ils partis avec, au fond d'eux-mêmes, l'image d'un compatriote que leur esprit égaré leur représentait comme traversant leurs rangs avec indifférence.
Pour quelle raison, on l'ignore, le dernier groupe était-il formé de treize hommes ?
Le lieutenant Walter est présent, écrit l'abbé Espinasse. L'adjudant procède à l'appel des condamnés en tournant à chaque nom une page de son petit carnet. Une inspiration subite traverse mon esprit.
Pourquoi, dis-je au lieutenant, en conduire treize, alors que tous les autres groupes étaient de dix ? Ne pourriez-vous faire grâce aux trois derniers ?
Voyant que Walter n'était pas insensible à ma demande, j'insistai en lui disant avec une certaine autorité (mais je savais qu'il était sincèrement chrétien):
Vous savez bien que ce sont des innocents que vous faites exécuter. Vous voyez bien que vous avez perdu la guerre et je suis sûr qu'un jour, on vous demandera des comptes sur votre comportement d'aujourd'hui.
Je suis soldat et j'exécute les ordres du général Lammerding. Est-il à Tulle ? Il y était ce matin, mais il est reparti. Et la division Das Reich , ne va-t-elle pas aussi partir ? Oui, demain. Alors, qui contrôlera le nombre des pendus ?
C'est en cédant à ce simple argument que Walter décida, et lui seul, d'arrêter les exécutions, exigeant cependant, malgré ma prière, que parte vers la mort le dernier groupe qui, hélas ! avait entendu notre conversation.
Les condamnés croient alors que je vais désigner les trois graciés :
Moi... moi... monsieur l'Abbé !Je me refuse, on le devine aisément, à ce choix cruel pour un Français, et je m'éloigne pour laisser agir à sa guise le lieutenant Walter.
Cependant, avant de quitter ce dernier, je lui avais remis ma carte de visite en lui disant, avec une assurance que je ne m'explique pas
Cependant, avant de quitter ce dernier, je lui avais remis ma carte de visite en lui disant, avec une assurance que je ne m'explique pas à cette heure où nous étions écrasés par la force de « Das Reich » :
Quand, devant un tribunal, vous aurez besoin de mon témoignage pour prouver ce que vous avez fait aujourd'hui en désobéissant à votre général, faites appel à moi : je vous promets d'aller vous défendre.A distance, j'assiste alors à cette scène touchante. Un des soldats du peloton d'exécution s'est laissé convaincre par les raisons d'un condamné. Il le prend par le bras et va demander sa grâce au lieutenant, qui l'accorde. Il est sauvé ! Alors, ce jeune Français et ce très jeune S.S. en armes et casqué, prêt à partir conduire les dix dernières victimes à la potence, tombent dans les bras l'un de l'autre. Je me suis rapproché du lieutenant qui, non sans émotion, me dit : « Ce que ce soldat vient de faire ne doit pas vous étonner... c'est un Alsacien. »
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