Bons et mauvais Kommandos ...
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Le plus grand nombre des prisonniers a été envoyé en kommandos. Certains grouperont plusieurs centaines d'hommes, logés dans des baraquements préfabriqués ou dans des hangars, ne disposant que d'un maigre éclairage, d'un chauffage incertain et de quelques commodités. Ils sont, dans les premiers mois, strictement gardés. La discipline y est rigoureusement militaire, la nourriture monotone et déficiente. Chaque jour, sous la conduite de soldats ou de civils portant brassard, des équipes, dont la composition tend à devenir régulière, se rendent au travail dans les usines ou les ateliers voisins. Dans d'autres kommandos, l'effectif se réduit à quelques prisonniers, surveillés bien vite avec désinvolture par un seul soldat, enfermés, le soir, dans une écurie, une soupente, le bâtiment annexe d'une ferme, une pièce isolée, aux fenêtres clouées, garnies de barbelés. A partir de 1942, des prisonniers logeront chez leurs employeurs, tel avec tous les privilèges possibles, tel autre dans des conditions pénibles. La typologie des kommandos est d'une grande complexité.
Les kommandos agricoles en 1940
Les kommandos agricoles, considérés dès 1940 comme de bonnes planques, évoquent, dans l'esprit des prisonniers qui, durant les premières semaines en Allemagne, ont souffert de la faim, de plantureuses bâfrées, les vaches que l'on trait en cachette, les oeufs dérobés et aussitôt gobés, les volailles chapardées. Ce sont aussi de longues journées de labeur, la présence souvent continue du patron ou du chef de culture.
Dans les kommandos agricoles, entre bauer allemand et paysan français l'entente, ou du moins une certaine compréhension, s'est souvent établie à partir d'un égal amour de la terre. Certes, il a fallu que le Français surmontât son étonnement premier devant les méthodes de travail ou d'exploitation, mais la qualité de son travail a vite impressionné l'employeur qui l'a bientôt laissé, seul, labourer, semer, soigner le bétail. D'ouvrier agricole, le prisonnier français devient rapidement premier commis, et lorsque les exigences du conflit imposeront, vers 1942, sa mobilisation, le paysan allemand quittera souvent sa ferme, assuré qu'elle est en bonnes mains. On évitera ici d'abuser du lieu commun qui prétend que le prisonnier a, dans les campagnes, remplacé en tout point son employeur. Certes, le fait est réel, parfois fréquent. Il n'explique cependant pas tout, et l'on doit tenir compte, pour le Français, d'une volonté de montrer à l'Allemand qu'il est, lui aussi, un bauermeister. Il n'en est pas de même entre le paysan allemand et le prisonnier pour qui le travail des champs est étrange ou étranger. Que faire d'un homme qui hésite à s'approcher d'un cheval ou d'une vache, qui ne sait pas monter une meule, tenir une fourche ?
Les kommandos industriels, eux, sont, au départ redoutés mais ils se révéleront propices aux ruses des tire-au-flanc et à l'ingéniosité des saboteurs. Les horaires de travail sont plus réguliers, ils coïncident souvent avec ceux des ouvriers allemands. Le repos hebdomadaire est prévu, encore que, dans des cas de plus en plus fréquents, la direction impose des heures supplémentaires, le déchargement immédiat des wagons de marchandises ou de charbon arrivés le dimanche.
Les kommandos dans les entreprises allemandes
Dans certaines entreprises, le travail est rude, minuté, contrôlé, dangereux. Les accidents sont nombreux et graves. Toutefois, les premiers mois passés, on verra se développer d'étranges combinaisons, des ententes entre prisonniers et gardiens ou ouvriers. Dans les usines, dans les grandes entreprises industrielles, le travail, sous le contrôle hargneux d'un contremaître (poiler), sombre souvent dans une monotonie écrasante, traversée de brutales querelles. Astreint au rythme de la machine, le prisonnier devient un automate. La tentation du sabotage est alors la plus forte, mais aussi la plus immédiatement dangereuse, car la surveillance est continue. Dans certains cas, cependant, les prisonniers arriveront à réduire considérablement la production. A quelques kilomètres des rives de l'Oder, à Neuenhagen, des prisonniers employés dans une briqueterie mettent au point un double procédé : engorgement du malaxeur, pose brutale sur champ des briques crues, et, le rendement baissant de cinquante pour cent, les Allemands sont contraints de dissoudre un kommando si rétif.
les kommandos de prisonniers dans les camps allemands
Le comportement ambigu des prisonniers au travail est mis le mieux en lumière dans les kommandos des petites villes, qui réunissent des activités fort diverses. Certains y vivront la totalité de leur captivité, conquérant peu à peu des habitudes et des libertés qui les intègrent à la vie quotidienne et leur donnent les moyens d'améliorer leur sort. Employé dans un garage, celui-ci connaît les clients, presse ou ralentit son travail en fonction directe de la générosité ou du mépris qu'on lui témoigne ; celui-là, au service d'un menuisier, n'hésite pas à dérober à son employeur des clous et des vis qu'il échange contre de la nourriture chez d'autres Allemands. C'est vraisemblablement dans ces localités moyennes que les prisonniers trouvent les plus sûrs moyens de profiter des circonstances qui leur sont offertes. Au kommando de Neu­damm, au nord-est de Küstrin (Kostrzyn), les Français sont répartis dans les entreprises ( imprimerie, conserverie, grosse menuiserie, textile, brasserie ) ou chez les commerçants ( boulangerie, boucherie, épicerie ). On assiste alors à un échange constant de produits récupérés chez les employeurs déterminant ainsi un double circuit : à l'intérieur du kommando, un ravitaillement réciproque ; à l'extérieur, une intervention dans les mécanismes du marché parallèle allemand.
A regarder les choses de près, on s'aperçoit qu'il faut nuancer à l'infini. Les conditions d'existence ou de travail ne sont pas les mêmes dans la grande ferme du Brandebourg ou de Prusse-Orientale aux nombreuses équipes et chez le petit cultivateur qui n'a loué qu'un homme ; dans la grande ville, la bourgade, et dans l'usine isolée ; dans le kommando qui ne comprend qu'un seul type d'activité et dans celui qui réunit les corps de métier les plus divers ; pour le prisonnier qui est employé dans sa profession — agriculteur, maçon, mécanicien — et pour celui qui doit s'adapter à une besogne nouvelle.
Dans certaines régions, les prisonniers ont bénéficié assez vite de modestes libertés : autorisation de se rendre visite d'un kommando à l'autre, d'entrer et de consommer dans les débits de boisson, d'acheter avec l'argent de camp dans des magasins autorisés. D'autres, en revanche, sont demeurés jusqu'à la fin de la captivité étroitement surveillés : ils ont dû, chaque soir, remettre au gardien chaussures et pièces principales de leurs vêtements. Il suffit aussi du changement d'un chef de poste, d'un officier de contrôle, de l'affectation soudaine d'un Prussien ou d'un Autrichien, d'un jeune soldat ou d'un ancien combattant, de l'intervention d'un membre du parti, pour que la discipline se resserre ou s'adoucisse.
Une évasion, une fouille au cours de laquelle quelque chose de verboten est découvert modifient profondément les rapports entre sentinelles et prisonniers. Le régime de la captivité diffère en Prusse et en Autriche, en Poméranie et en Bavière, sur le Rhin et en Alsace, dans les zones frontalières et au centre de l'Allemagne. Les posten n'y ont pas le même comportement, les habitants la même attitude. Il y a ainsi de bons et de mauvais kommandos. Des kommandos sans histoire, d'autres qui connaissent d'innombrables crises, querelles, agitations. Les conditions de travail, la nourriture, la discipline, l'état du logement sont ici facteurs essentiels, mais interviennent aussi la nature des effectifs, les réactions psychologiques des prisonniers.
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