Les semelles de bois ...
rideau
L'absence presque totale de circulation automobile fait régner de jour un calme insolite et transforme le spectacle de la rue. Les chaussées appartiennent aux bicyclettes, aux tandems, aux vélos-taxis. Oubliés, les embouteillages de naguère ! De temps à autre, une automobile allemande, fonçant à toute vitesse, les fait presque regretter, en rappelant, si on l'a un instant oublié, le désastre inouï, le recul soudain en plein Moyen Age qui a rendu à la vieille métropole ce charme désuet, inquiétant et trop cher payé.
La disparition des émanations d'essence permet aux marronniers, parure de nos promenades, de garder leur feuillage tard dans l'arrière-saison.
Mais le spectacle de la foule lasse, morne et râpée des piétons, autre signe éloquent de la triste réalité, aurait de quoi décourager le regard s'il n'y avait l'éternel féminin. La grisaille de la terne infanterie masculine est relevée par les taches de couleur des robes extravagantes, des chapeaux immenses des élégantes, précairement perchées sur leurs si hautes semelles, au défi tout ensemble des lois de la mesure, du rationnement et de l'équilibre. La mode est alors aux jupes relativement courtes et plissées, aux vestes de tailleur de coupe masculine, avec revers et épaules marquées. Les coiffures montent haut sur le front et, parfois, sont logées dans une sorte de turban.
la mode sous Vichy
les semelles de bois sous l'occupation
Le ciel nocturne, de mémoire d'homme, n'a jamais été plus pur, la pleine lune plus belle, sur laquelle se découpe, place Vendôme, la silhouette de l'Empereur.
L'arrivée du couvre-feu jette sur la ville une chape de silence. Le sourd ronron que la grande ville fait encore entendre au coeur de la nuit s'est tu lui aussi. Mutisme rompu seulement à l'approche de l'heure critique par les voyageurs des dernières rames de métro, que dégorgent en masse les stations et qui s'égaillent vers leur domicile, au bruit de leurs pas pressés que scande le toc-toc des semelles de bois « compensées » des femmes. Les minces faisceaux des torches électriques balayant l'asphalte percent l'obscurité, minuscules images inversées des projecteurs de D.C.A. qui fouillent le ciel pendant les alertes.
C'est alors un feu d'artifice géant, les fontaines lumineuses, le grand jeu de la Flak, tonnant et crachant de tous ses tubes, quel­ques-uns installés en plein Paris, pour tâcher de cueillir au passage l' « express de Milan », comme la rancune des Parisiens a baptisé les escadres de la R.A.F. en route pour bombarder l'Italie du Nord.
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