Arrestation des étudiants
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arrestation d'étudiants en mai 68
manifs en mai 68
les pavés en mai 68
Poussés par la curiosité, les passants qui flânaient sur le Boul'Mich', le nez au vent, les étudiants qui sirotaient un café aux terrasses de l'Ecritoire ou de l'Escholier, à l'ombre d'Auguste Comte, s'agglutinent sur la place de la Sorbonne, face au barrage de police qui obstrue la rue. En se démanchant le cou, ils aperçoivent des étudiants, un peu plus bas, empilés dans les cars sous la menace des mousquetons. On siffle, on proteste. Les policiers sont nerveux. Ils repoussent sans ménagements les premiers rangs hostiles.
Des insultes fusent, des coups sont échangés, les matraques fleurissent. Soudain, les curieux deviennent manifestants. Le vieux réflexe antiflic, acquis d'instinct en posant le pied dans la fac, se réveille. Des noyaux spontanés se forment, se soudent et gueulent : « Libérez nos camarades ! », « A bas la répression ! » Les slogans, comme un aimant, attirent de nouveaux badauds qui s'approchent à leur tour, puis reprennent les mots d'ordre improvisés. Les voici plusieurs centaines, quinze cents peut-être, qui s'époumonent. Quelques audacieux ramassent des pierres et les lancent vers les pèlerines bleues.
Les premiers cars bourrés d'étudiants arrêtés traversent la place, toutes sirènes mugissantes. Tollé général. Des poings martèlent les parois des véhicules qui se fraient un passage avec peine. Pareille situation ne saurait se prolonger ; la police reçoit l'ordre de nettoyer les abords. Elle arrose la place de gaz lacrymogènes. Les protestataires reculent

La police, maintenant, enserre complètement le groupe. Tous les leaders étudiants sont là, coincés, tassés les uns contre les autres : Cohn-Bendit et les Nanterrois, Krivine et
Weber, Bouguereau, Sauvageot — l'illustre inconnu. Nul ne bouge. Enfin, peu à peu, la masse s'écoule jusqu'au porche, filtrée entre deux rangées de gardes mobiles. Rue de la Sorbonne, une surprise : des cars sont alignés, portières ouvertes, et un cordon d'hommes en uniforme ordonne d'y monter. Le message circule : « Ils embarquent. » Les présents ont tous été emmenés au poste au moins une fois et n'appréhendent guère le traditionnel contrôle d'identité. Deux heures de perdues. Avec un brin de chance, ils attraperont la dernière séance au Champo.
L'évacuation est interminable. La noria des cars jusqu'aux commissariats de quartier n'en finit pas. Enfermés dans la cour, les participants au meeting décèlent vaguement une rumeur, puis des cris, de plus en plus forts. Une oreille exercée décrypte : « Libérez nos camarades ! »
Les dirigeant étudiants, les leaders se regardent, ahuris. Ils sont tous bloqués, impuissants. Qui est capable, en un délai record, d'avoir déclenché la riposte ? Les prochinois de l'UJC, seuls absents du jour, et qui boudent l'agitation universitaire ? Impensable : ils sont au fond de leurs banlieues, de leurs usines. Alors, qui ?

Dans la Sorbonne, le dernier carré reste encore un peu, pour marquer le coup. D'ici une heure, il se dispersera. « Ils arrivent ! »
Le cri, en une seconde, remobilise les troupes alanguies. On saisit les barres, les casques, et l'on s'apprête à casser du facho. Le long de la galerie qui débouche sur la rue des Ecoles, une masse sombre, compacte, progresse. Les voltigeurs, aux avant-postes, distinguent des hommes casqués, munis de boucliers.
« « Les flics, ce sont les flics ! »
Les manifestants s'immobilisent, stupéfaits. Pourquoi la police est-elle entrée dans le périmètre inviolable ? Qui l'y
a autorisée ? Qui l'a invitée à disperser un rassemblement quand ce dernier, de lui-même, s'apprêtait à le faire ? Le temps que surgissent ces questions, les hommes en noir cernent la célèbre cour. Pendant quelques secondes, les regards s'évaluent, les services d'ordre se toisent.
Parmi les étudiants, quelques-uns songent à résister. Mais Alain Krivine, prompt, a immédiatement apprécié la situa-
tion. Les militants sont dans une nasse. Riposter par la vio-
lence serait inutile et dangereux. Il s'avance très vite vers le commissaire qui commande l'opération. L'échange est bref : les étudiants acceptent de sortir sans se défendre ; en revanche, la police les laissera filer jusqu'au métro. Il était moins une. Déjà, des agents excités brandissent quelques matraques en direction de leurs adversaires, lesquels ont reflué vers la sortie latérale qui donne sur la rue de la Sorbonne. Dans un silence épais, oppressant, on n'entend plus que le son des barres de fer quand les membres du SO, disciplinés, les laissent tomber à leurs pieds.

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Mai 68