Témoignage d'un CRS
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CRS en Mai 68
Mai 68, les CRS
les CRS chargent en Mai 68
Raconter cette nuit d'apocalypse interminable, violente et angoissante, m'est encore difficile aujourd'hui, tant les souvenirs douloureux me reviennent à l'esprit. Ce fût une véritable bataille rangée, des charges virulentes et incessantes toute la nuit pour tenter de déloger les manifestants retranchés à l'abri derrière la barricade.
Chaque fois, nous étions repoussés par des volées intenses de pavés qui « pleuvaient » sur nos piètres moyens de protection de l'époque (un simple casque, doublé d'un bouclier peu efficace, du bâton de défense et d'un fusil « Mousqueton » servant uniquement à repousser les assaillants).
La rue était plongée dans une semi-obscurité, un épais brouillard de gaz lacrymogène, une odeur tenace, étouffante, accompagnait chacune de nos charges, tout ceci dans le bruit assourdissant de l'éclatement des grenades. A chaque repli, nous étions accompagnés de collègues blessés, qui regagnaient nos arrières, où ils étaient transportés, toutes sirènes hurlantes, vers les hôpitaux. Ça et là, des véhicules en flammes (incendiés par des cocktails Molotov) continuaient à brûler ajoutant à cette nuit cauchemardesque, un intense sentiment d'angoisse et de stress. Et puis, l'hostilité des Parisiens à l'égard des forces de l'ordre (tout au moins au début du conflit), qui n'hésitaient pas à jeter de leurs balcons tout ce qui pouvait servir de projectile, rendant dangereuse et hasardeuse notre progression.
Au petit matin, le calme un peu revenu, chacun campant sur ses positions, nous étions relevés par une autre compagnie. Je revoie encore ce couple de provinciaux « montés à Paris » chercher ce véhicule Citroën DS 19 flambant neuf, malencontreusement garé dans la rue cette nuit-là, arrivant les larmes aux yeux, la rage au coeur, désespéré et éberlué devant les restes d'un amas de ferraille calcinée et fumant encore.
C'est dans ce contexte qu'un fait marquant et terrible m'a fait réaliser la gravité des événements que nous étions en train de vivre. Quelques jours plus tard, alors que nous nous trouvions au cantonnement, l'angoisse fit place à un profond désarroi lorsqu'on nous attribua, à chacun de nous, un chargeur plein de cartouches avec balles réelles, encore enpaquetées dans un papier parrafiné avec ordre formel de n'en faire usage que sur commandement. Quel cas de conscience ! Quelle serait l'issue de cette situation ? Que de nuits sans sommeil ! Comment pouvions-nous en être arrivés là ?

Jeune fonctionnaire de police, âgé de 24 ans, en poste à la Compagnie républicaine de sécurité (CRS N°19) à La Rochelle, comme de nombreuses autres compagnies, nous avions été acheminés sur la capitale au cours du mois d'avril, au vu des troubles graves et prévisibles qui se préparaient (radio, presse, télévision ayant largement diffusé les informations).
Ce jour-là, nous étions cantonnés depuis quelques semaines avec deux autres compagnies au gymnase Massena, tout près de la porte d'Italie. Ma compagnie ayant quartier libre, nous avions décidé, avec deux autres collègues, de sortir dans les rues de Paris. Il était aux environs de 17 h.
Nous engouffrant dans la première bouche de métro venue, nous constatons et nous percevons immédiatement l'atmosphère pesante qui y régnait, les passagers très inquiets, les visages hébétés ; des jeunes gens agités, nerveux, courant en tout sens et lançant des cris de rassemblement dans les rues de la capitale, bien sûr inconnues des provinciaux que nous étions.
Et là, quelle ne fut pas notre surprise au sortir d'une bouche de métro en plein coeur du Quartier latin ! Des groupes de jeunes gens excités, cagou-lés, visages masqués par des foulards, passe-montagne... armés de barres de fer, s'affairaient à dépaver la chaussée, arrachant tout ce qui pouvait être utilisé à ériger une immense barricade, dans une cohue indescriptible. Complètement ahuris par ce que nous venions de voir et présageant les troubles graves à venir, nous décidons sans plus tarder de regagner notre cantonnement. A notre retour, la compagnie était « sur le pied de guerre ». Juste pour nous le temps de revêtir nos tenues de maintien de l'ordre et nous embarquions à bord de véhicules, sur les lieux de notre intervention. Nous partions en renfort de la police parisienne, en difficulté dans le secteur du Quartier latin. Les véhicules stationnés dans une rue adjacente, la compagnie, en rangs serrés, parvenait tant bien que mal à une cinquantaine de mètres d'une importante barricade élevée à l'intersection du boulevard Saint-Michel et de la rue Gay-Lussac. Ce n'est que bien plus tard dans la nuit que je me suis aperçu de l'endroit où nous nous trouvions. La rue, encombrée de pavés, d'objets disparates, présentait déjà des signes d'escarmouches sévères entre les forces de l'ordre et les manifestants.

Camille Vandier a fait sa carrière dans les CRS. En quarante ans, il n'a jamais raconté ses interventions dans les rues de Paris, lors des événements de mai 68. Répondant à l'appel de la NR, il a couché sur le papier ses souvenirs de la nuit du 10 au 11 mai, dans le Quartier latin, cette nuit plus connue sous le nom de « Nuit des barricades ». Nous avons choisi de publier ce témoignage dans son intégralité.

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Mai 68