Jeune fonctionnaire de police, âgé de 24 ans, en poste à la Compagnie républicaine de sécurité (CRS N°19) à La Rochelle, comme de nombreuses autres compagnies, nous avions été acheminés sur la capitale au cours du mois d'avril, au vu des troubles graves et prévisibles qui se préparaient (radio, presse, télévision ayant largement diffusé les informations).
Ce jour-là, nous étions cantonnés depuis quelques semaines avec deux autres compagnies au gymnase Massena, tout près de la porte d'Italie. Ma compagnie ayant quartier libre, nous avions décidé, avec deux autres collègues, de sortir dans les rues de Paris. Il était aux environs de 17 h.
Nous engouffrant dans la première bouche de métro venue, nous constatons et nous percevons immédiatement l'atmosphère pesante qui y régnait, les passagers très inquiets, les visages hébétés ; des jeunes gens agités, nerveux, courant en tout sens et lançant des cris de rassemblement dans les rues de la capitale, bien sûr inconnues des provinciaux que nous étions.
Et là, quelle ne fut pas notre surprise au sortir d'une bouche de métro en plein coeur du Quartier latin ! Des groupes de jeunes gens excités, cagou-lés, visages masqués par des foulards, passe-montagne... armés de barres de fer, s'affairaient à dépaver la chaussée, arrachant tout ce qui pouvait être utilisé à ériger une immense barricade, dans une cohue indescriptible. Complètement ahuris par ce que nous venions de voir et présageant les troubles graves à venir, nous décidons sans plus tarder de regagner notre cantonnement. A notre retour, la compagnie était « sur le pied de guerre ». Juste pour nous le temps de revêtir nos tenues de maintien de l'ordre et nous embarquions à bord de véhicules, sur les lieux de notre intervention. Nous partions en renfort de la police parisienne, en difficulté dans le secteur du Quartier latin. Les véhicules stationnés dans une rue adjacente, la compagnie, en rangs serrés, parvenait tant bien que mal à une cinquantaine de mètres d'une importante barricade élevée à l'intersection du boulevard Saint-Michel et de la rue Gay-Lussac. Ce n'est que bien plus tard dans la nuit que je me suis aperçu de l'endroit où nous nous trouvions. La rue, encombrée de pavés, d'objets disparates, présentait déjà des signes d'escarmouches sévères entre les forces de l'ordre et les manifestants.
Camille Vandier a fait sa carrière dans les CRS. En quarante ans, il n'a jamais raconté ses interventions dans les rues de Paris, lors des événements de mai 68. Répondant à l'appel de la NR, il a couché sur le papier ses souvenirs de la nuit du 10 au 11 mai, dans le Quartier latin, cette nuit plus connue sous le nom de « Nuit des barricades ». Nous avons choisi de publier ce témoignage dans son intégralité.