La force par la joie

La vie
sous le IIIe Reich

Pour ses loisirs, l'Allemand moyen doit s'adresser à une agence, spécialement dédiée : la Kraft durch
Freude (Force par la joie), qui gère l'organisation du temps libre des travailleurs du Reich. Elle dispose
de navires de croisières. de centres de vacances, et même d'une voiture populaire, l'ancêtre de la
Volkswagen.
Si vous aimez ce site ne bloquez pas l'affichage des publicités... Merci !

Contôler le loisir des travailleurs allemands

La force par la joie
Liés par tant de contrôles qui maintenaient les salaires à peine au-dessus d'un niveau leur permettant de subsister, les travailleurs allemands, comme le prolétariat romain, avaient leur cirque fourni par leurs dirigeants pour détourner leur attention de leur condition misérable. « Il nous fallait détourner l'attention des masses des valeurs matérielles vers les valeurs morales, expliqua un jour le docteur Ley. Il est plus important de nourrir les âmes des hommes que leurs ventres. » Ce fut ainsi qu'il conçut une organisation appelée Kraft durch Freude (« La force par la joie »). Cette organisation fournissait ce que l'on ne peut appeler que des loisirs enrégimentés. Dans une dictature totalitaire au XXe siècle, comme peut-être dans les dictatures d'autrefois, il semble nécessaire de contrôler non seulement les heures de travail, mais aussi les heures de loisirs de l'individu. C'était à quoi veillait «La force par la joie ». A l'époque pré-nazie, l'Allemagne avait des dizaines de milliers de clubs consacrés à toutes sortes d'activités, des échecs au football en passant par l'ornithologie. Sous le régime nazi, aucun groupe social, sportif ou récréatif n'eut le droit de fonctionner en dehors du contrôle et de la direction de Kraft durch Freude.
Pour l'Allemand ordinaire du Troisième Reich, cette organisation officielle couvrant toutes les activités de loisirs était sans doute mieux que rien, si l'on ne vous laisse pas l'initiative de se distraire. Elle permettait par exemple aux membres du Front du Travail de faire pour leurs vacances des voyages ou des croisières à des prix défiant toute concurrence. Le docteur Ley fit construire deux navires de 25 000 tonnes, dont l'un portait son nom, et il en loua dix autres pour organiser des croisieres pour Kraft durch Freude. Bien que la vie à bord fût organisée par les leaders nazis jusqu'à un point insupportable, les travailleurs allemands semblaient bien s'amuser. Et à quel prix! Une croisière à Madère, par exemple, ne coûtait que 25 dollars, y compris le voyage en train aller-retour jusqu'à un port allemand, et d'autres voyages étaient tout aussi peu coûteux. Des plages au bord de la mer et sur des lacs furent envahies par des milliers de vacanciers (l'une d'elles à Ruegen, sur la Baltique, qui n'était pas terminée lorsque la guerre éclata, se vantait de pouvoir loger 20 000 personnes) et, en hiver, des excursions spéciales pour faire du ski dans les Alpes bavaroises étaient organisées à 11 dollars par semaine, y compris le voyage en car, la pension, la location des skis et les leçons d'un moniteur.

Une gigantesque bureaucratie

Bien sûr, ce furent les ouvriers qui payèrent le cirque. Le montant total des cotisations au Front du Travail atteignait 160 millions de dollars en 1937 et dépassa le cap des 200 millions de dollars lorsque la guerre éclata, d'après le docteur Ley : La comptabilité était extrêmement vague, car elle était entre les mains non pas de l'État, mais du service des finances du parti, qui ne publiait jamais ses comptes. Sur le montant des cotisations, 10 pour 100 étaient réservés au Kraft durcit Freude. Mais les cotisations payées par les individus pour les voyages de vacances et pour les loisirs, pour peu coûteux que tout cela fût, atteignaient dans l'année qui précéda la guerre le chiffre de 1 milliard 250 millions de dollars. Une autre lourde charge accablait encore le salarié : en tant que première organisation du parti unique dans le pays, avec 25 millions de membres, le Front du Travail devint une gigantesque bureaucratie, avec des dizaines de milliers d'employés à plein temps. En fait, on estimait que de 20 à 25 pour 100 de son revenu étaient absorbés par les frais de gestion.

L'escroquerie de Hitler

Une escroquerie particulièrement remarquable commise par Hitler aux dépens des travailleurs allemands mérite d'être citée en passant. Il s'agit de la Volkswagen (la voiture du peuple), née de l'imagination créatrice du Führer en personne. Tout Allemand, ou du moins tout travailleur allemand, disait-il, devrait posséder une voiture, comme aux États-Unis. Jusqu'alors en Allemagne, où il n'y avait qu'une automobile pour environ 50 personnes (au lieu de 1 pour 5 en Amérique), le travailleur avait utilisé la bicyclette ou les transports publics pour se déplacer. Hitler décréta alors que l'on devait construire pour lui une voiture qui ne se vendrait qu'à 990 marks, soit 396 dollars, au cours officiel. Il participa lui-même, dit-on, à la conception de la voiture, qui fut réalisée sous la direction d'un ingénieur autrichien, le docteur Ferdinand Porsche.
Comme l'industrie privée ne pouvait pas produire une voiture pour ce prix, Hitler ordonna à l'État de la construire et chargea du projet le Front du Travail. L'organisation du docteur Ley entreprit aussitôt, en 1938, d'édifier à Fallersleben, près de Braunschweig, « la plus grande usine d'automobiles du monde », capable de produire 1 500 000 voitures par an, « plus que Ford », déclaraient les propagandistes nazis. Le Front du Travail avança un capital de 50 millions de marks. Mais ce n'était pas le principal moyen de financement. Le plan ingénieux du docteur Ley prévoyait que les travailleurs eux-mêmes fourniraient les capitaux, grâce à un plan de crédit intitulé « payer avant de l'avoir » : 5 marks par semaine, ou si un travailleur estimait qu'il en avait les moyens, 10 ou 15 marks par semaine. Quand il avait versé 750 marks, l'acheteur recevait un numéro de commande lui donnant droit à une voiture dès qu'elle pourrait être fabriquée. Malheureusement pour le travailleur, aucun véhicule ne fut jamais produit pour aucun client durant le Troisième Reich. Des dizaines de millions de marks furent versés par les salariés allemands, dont ils ne devaient jamais revoir un seul pfennig. Lorsque la guerre éclata, l'usine Volkswagen fut transformée en manufacture d'articles plus utiles à l'armée.
L'escroquerie de Hitler