La confiscation
des biens juifs

Les Juifs
dans l'Allemagne nazie

Avant même son accession au pouvoir, Hitler comptait s'approprier les biens des Juifs allemands.
Petits commerçants ou grands banquiers, personne ne fut épargné.
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Une caricature de justice

Le point de départ des persécutions contre les Juifs fut l'article 4 du programme en 25 points de 1920 du parti nazi que Hitler déclara «irrévocable» en 1926: «Ne peut être citoyen qu'un membre du peuple allemand. Fait partie du peuple celui qui est de sang allemand sans égard pour sa confession. Aucun Juif ne peut donc faire partie du peuple allemand ». Ainsi les Juifs étaient-ils exclus du reste de la population et classés parmi les outlaws. Ils ne bénéficiaient plus de la protection de la loi. On prit soin néanmoins de leur appliquer une caricature de justice. Cette duplicité fut pour eux une source supplémentaire de souffrances.
C'est ainsi qu'on s'y prit notamment pour les spolier de leurs biens. Les nazis n'eurent d'ailleurs pas besoin de sortir du cadre législatif existant: en 1931, pour lutter contre la crise, le gouvernement Brüning avait limité l'exportation des devises et, de cette époque, datait aussi «la taxation pour fuite du Reich» qui servit à piller les biens des Juifs expatriés ou déportés.

100000 entreprises juives en 1933

Les réquisitions n'étaient pas toutes (loin de là) au service de l'intérêt public tels que les nazis concevaient celui-ci, mais bien souvent destinées à enrichir les puissants du régime et leurs séides. Le fait est corroboré par la présence de noms de dirigeants nationaux-socialistes dans la liste de comptes publiée par l'Association des banques suisses. Seulement, le semblant de légalité qu'affichait l'Etat à double visage, joint à des explosions de colère populaire qui n'avaient en réalité rien de spontané, servirent à maquiller le vol.
Le boycottage des commerces juifs avait commencé quelques années avant l'avènement d'Hitler et s'était accentué entre 1929 et 1932 dans le chaos engendré par la crise économique. Les Juifs n'occupaient pas de positions clés dans l'économie mais la concentration de leurs activités dans quelques domaines, tels le marché du bétail (sur les 30000 marchands de bestiaux, plus de la moitié en 1930 étaient juifs), la confection (62% des détaillants de vêtements) et la chaussure, le commerce des métaux non ferreux (60% des entreprises) et les grands groupes de la distribution (quatre des cinq grandes chaînes de magasins appartenaient à des Juifs) les désignaient comme cible.
On comptait, en 1933, 100000 entreprises juives, mais parmi elles beaucoup plus de petits magasins (plus de 50 000 magasins juifs, mais seulement 5 % du total) et de PME que de grandes sociétés et banques privées. La grande crise n'avait pas épargné les Juifs. Beaucoup avaient perdu jusqu'à leurs retraites. On ne comptait que quelques centaines de familles juives dans la bourgeoisie. Elles n'étaient pas aux commandes de l'économie et le nombre des grandes entreprises juives diminuait, comme la proportion de la population juive. Par suite de l'émigration des jeunes, en 1925 on comptait en Allemagne 564 000 Juifs, en 1933 ils n'étaient plus que 525000. Jusqu'en 1929, le parti nazi ne fut qu'un «groupe de pression des petits bourgeois insatisfaits ». Mais, après 1929, il parvint à infiltrer les professions libérales, médecins et juristes. Par la suite, l'agitation contre «le complot juif mondial» et contre «l'internationale de la haute finance juive» lui servit à élargir sa clientèle en polarisant mécontentement et agressivité.

La confiscation pure et simple

Quand on passa aux confiscations pures et simples, le but avoué était de récompenser les anciens du parti national-socialiste pour les privations subies, en les gratifiants de biens ayant appartenu aux Juifs. Dès 1933, des milliers de fonctionnaires juifs limogés, les avocats juifs radiés du barreau, les médecins et dentistes juifs interdits de profession, sombrèrent dans la misère. Abraham Barkai ' cite des annonces de juges juifs qui vendent leur robe d'avocats, qui mettent leur étude à l'encan et d'entreprises cédées à des prix dérisoires. Mais les Juifs restés en Allemagne serrèrent les rangs, les mieux lotis fournissant travail et aide aux autres. Les plus riches parvinrent à faire sortir une partie de leurs liquidités d'Allemagne et l'on vécut des moments de répit trompeur parce que l'Allemagne connut encore du chômage jusqu'en 1936 et que les nazis craignaient un boycottage mondial des exportations allemandes par une internationale juive qui n'existait que dans leur propagande. Berlin signa avec un entrepreneur de Palestine l'accord de la Haavara (mot hébreux pour transfert adopté par la bureaucratie nazie) qui permit de transférer vers la terre de leurs ancêtres des milliers de Juifs et une partie de leurs capitaux reconvertis en équipements techniques allemands.
Le pas vers la coercition fut franchi au cours de l'été 1935 avec l'adoption par Hitler des lois de Nuremberg puis avec le limogeage, fin 1937, du ministre de l'Economie Hjalmar Schacht qui aurait tenté de protéger les Juifs. A l'automne 1935, on ne comptait déjà plus que 75000 entreprises juives en Allemagne. Certaines tentèrent de survivre en changeant de nom ou en confiant leur direction à des proches aryens — opportunisme désapprouvé par la presse juive.
L'Etat nazi passa de l'intimidation a la confiscation pure et simple, mais sans renoncer aux voies détournées. C'est ainsi qu'à Hambourg, en 1935, les propriétaires juifs d'un supermarché furent traduits en justice pour «honte raciale» (formule nazie stigmatisant les relations amoureuses entre Juifs et non-Juifs). Ils furent relaxés faute de preuves, mais «le peuple en colère» manifesta devant leur magasin jusqu'à ce qu'ils l'abandonnent à des «aryens ».
S'agissant d'entreprises juives importantes qui se sentaient menacées, des économistes et juristes nazis offraient «aimablement» (moyennant émoluments et postes de direction) leur concours. Ensuite, on jetait en prison le directeur ou l'actionnaire principal juifs. Mais leurs «collaborateurs allemands» ou des fonctionnaires nazis «bien intentionnés » obtenaient leur libération, à condition qu'ils cèdent à l'administration une partie de leurs participations et récompensent substantiellement leurs sauveteurs.

jusqu'à la moindre fourchette

la nuit de cristal
Le 14 juin 1938, les nazis publiaient la troisième ordonnance du code du Reich définissant quel type d'entreprise devait être considéré comme «juif». Il suffisait désormais qu'un Juif soit membre du directoire ou du conseil de surveillance ou qu'un quart du capital soit juif pour que l'entreprise puisse être confisquée. Un mois plus tard, le ministère de l'Intérieur dressait la liste de toutes les entreprises «juives ».
Les 6 juillet et 29 septembre 1938, deux lois interdirent aux Juifs l'exercice de la plupart des professions. A la fin de 1937, on usa de plus en plus souvent de violence pour les amener à se retirer du commerce et de l'industrie. Déjà expérimentée en 1935, sur le Kurfurstendamm de Berlin et ailleurs, cette méthode fut mise en oeuvre à Nuremberg à la Noël 1937 par Julius Streicher, éditeur du Stürmer et Gauleiter de Franconie. Elle fut imitée à Berlin notamment en juin 1938, et aboutit à la tristement célèbre «nuit de cristal» du 9 novembre 1938 au cours de laquelle 400 synagogues furent incendiées et de nombreux magasins détruits et pillés.
Pour en finir, ils créèrent l'ADEFA (Association de fabricants allemands-aryens de la confection) pour s'emparer du dernier bastion: en 1935, à Berlin, 70 % des ateliers artisanaux de confection étaient juifs et dans l'ensemble de l'Allemagne c'était le cas pour 50% d'entre eux. On en dénombrait 8500. Sur les 5800 encore existants en 1938, il n'en restait plus que 345 en mars 1939, et ils avaient été transférés à des «aryens». L'«aryanisation » était achevée. Il ne restait plus qu'à s'emparer des pays voisins pour y confisquer les biens non allemands, comme cela se fit après 1940 dans les territoires occupés.
Suivit la mise au travail des Juifs allemands sur des chantiers publics tels les 50 000 hommes affectés en 1940-1941 à la construction d'autoroutes, puis leur déportation aux «travaux forcés» et dans les camps d'extermination. Une ordonnance du Führer de mai 1941 décida la confiscation du «patrimoine des ennemis du peuple de l'Etat ». Au début des déportations en masse, le ministère des Finances du Reich publia le 4 novembre 1941 les directives sur la confiscation des biens des «Juifs expulsés vers une ville de l'Est». Nous avons tous vu les photographies de montagnes de vêtements, de chaussures et d'autres effets pris sur les déportés dans les camps. Mais on oublie les biens mobiliers et immobiliers qui leur avaient été enlevés avant la déportation.
On peut considérer comme un modèle de perfectionnisme bureaucratique à la manière de Kafka le formulaire qui leur était remis avant leur envoi vers la mort. Etant donné qu'ils «émigraient à l'étranger», ce texte s'inspirait de la longue «déclaration sur le patrimoine» que les Juifs qui émigraient devaient remplir, avant de remettre leurs biens aux autorités. Ce premier formulaire, qui commençait par «je suis Juif», recensait la propriété d'entreprises industrielles ou commerciales, les comptes d'épargne et de capitaux et les liquidités pour aboutir à un inventaire des meubles, tapis, rideaux, vêtements, jusqu'à la moindre fourchette ou serviette. Il fallait indiquer la configuration des lieux avec leurs surfaces. Le formulaire à remplir avant le départ en déportation comporta à partir de l'automne 1941 huit pages, puis seize en 1942. Le second n'était pas moins détaillé que le précédent, à la différence près que le signataire partait pour son dernier voyage.