La justice
dans l'Allemagne nazie

La vie
sous le IIIe Reich

Dès les premières semaines de 1933, lorsque commencèrent les arrestations massives et arbitraires, les agressions et les meurtres perpétrés par ceux qui étaient au pouvoir, l'Allemagne sous la
férule du national-socialisme cessa d'être une société fondée sur la loi.
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Hitler est la loi

« Hitler est la loi! » proclamaient fièrement les juristes de l'Allemagne nazie, et Goering le souligna quand il affirma aux procureurs prussiens le 12 juillet 1934 que « la loi et la volonté du Führer ne font qu'un ». C'était vrai. La loi était ce que le dictateur disait qu'elle était et, dans les moments de crise, comme lors de la Purge sanglante, il proclama lui-même, ainsi qu'on l'a vu dans son discours au Reichstag aussitôt après ce sanglant événement, qu'il était « le juge suprême » du peuple allemand, doté du pouvoir de condamner à mort qui bon lui semblait.
Du temps de la République, la plupart des juges, comme la majorité du clergé protestant et des professeurs d'université, détestaient cordialement le régime de Weimar et, dans leurs décisions, comme beaucoup le pensèrent, ils avaient écrit la page la plus noire de la vie de la République allemande, contribuant ainsi à sa chute. Mais, du moins, sous la constitution de Weimar, les juges étaient-ils indépendants, soumis seulement à la loi, protégés contre toute révocation arbitraire et tenus en tout cas théoriquement, par l'article 109, de sauvegarder l'égalité devant la loi. La plupart d'entre eux avaient été des sympathisants du national-socialisme, mais ils ne s'attendaient guère au traitement qui allait être le leur quand les nazis seraient au pouvoir.
La loi des fonctionnaires du 7 avril 1933 fut étendue à tous les magistrats et ne tarda pas à débarrasser les services judiciaires non seulement des Juifs, mais de ceux dont le nazisme était contestable, ou comme le stipulait la loi, « qui donnaient la preuve de n'être plus disposés à intervenir à tout moment en faveur de l'état national socialiste ». Bien sûr, peu de juges se trouvèrent éliminés par cette loi, mais ils s'entendirent rappeler où était leur devoir. Pour être bien sûr qu'ils avaient compris, le docteur Hans Frank, commissaire à la Justice, et chef du Droit du Reich, déclara aux juristes en 1936 : « L'idéologie nationale socialiste est le fondement de toutes les lois fondamentales, notamment telle qu'elle est exposée dans le programme du parti et dans les discours du Führer. » Le docteur Frank poursuivit :
L'indépendance de la loi n'existe pas en face du national-socialisme. A chaque décision que vous prenez, dites-vous : « Comment le Führer trancherait-il à ma place? » A chaque décision, demandez-vous : « Cette décision est-elle compatible avec la conscience nationale socialiste du peuple allemand ? » Vous aurez ainsi une base solide qui, alliée à l'unité de l'État du Peuple national socialiste et à la conscience que vous avez de la nature éternelle de la volonté d'Adolf Hitler, vous conférera dans votre propre sphère de décision l'autorité du Troisième Reich, et ce pour toujours .
Cela semblait assez clair, de même qu'une nouvelle loi sur les fonctionnaires de l'année suivante (26 janvier 1937), qui prévoyait la révocation de tous les fonctionnaires, juges compris, pour « opinions politiques douteuses ». En outre, tous les juristes furent contraints d'adhérer à la Ligue des Juristes nationaux socialiste allemands, où on leur faisait souvent des conférences dans l'esprit des propos de Frank.

Les tribunaux spéciaux

Les tribunaux spéciaux sous le troisième reich
Certains juges, malgré tous leurs sentiments antirépublicains, ne suivirent pas avec assez d'empressement la ligne du parti. Un certain nombre d'entre eux au moins voulurent fonder leurs jugements sur la loi. Un des pires exemples de cette attitude, du point de vue nazi, ce fut la décision prise par la Cour suprême d'Allemagne, d'acquitter d'après les preuves fournies trois des quatre accusés communistes dans le procès sur l'incendie du Reichstag en mars 1934. (Seul Van der Lubbe, le Hollandais à demi idiot qui avait avoué, fut reconnu coupable.) Cette décision mit Hitler et Goering dans une fureur telle qu'un mois plus tard, le 24 avril 1934, le droit de juger les affaires de trahison, qui jusqu'alors avait été sous la juridiction exclusive de la Cour suprême, fut retiré à cette auguste institution et transféré à un nouveau tribunal, le Tribunal du Peuple, qui devint bientôt le tribunal le plus redouté du pays. Il comprenait deux juges professionnels et cinq autres choisis parmi les cadres du parti, les S.S. et les forces armées, si bien que ces derniers avaient la majorité aux voix. Les décisions et les sentences de ce tribunal étaient sans appel et il siégeait ordinairement à huis clos. De temps en temps pourtant, à des fins de propagande, quand on devait prononcer des peines relativement légères, les correspondants étrangers étaient invités à assister aux séances.
Créé encore plus tôt que le sinistre tribunal du peuple, le Tribunal spécial, retira aux tribunaux ordinaires les affaires de crimes politiques ou, comme le précisa la loi du 21 mars 1933 instituant cette nouvelle juridiction, les cas d' « attaques insidieuses contre le gouvernement ». Les tribunaux spéciaux comprenaient trois juges, qui devaient invariablement être de loyaux membres du parti, et pas de jury. Un procureur nazi avait le choix, dans les affaires de ce genre, entre faire juger les accusés devant un tribunal ordinaire ou devant le Tribunal spécial, et invariablement il choisissait la seconde solution, pour des raisons évidentes. Les avocats de la défense devant ce tribunal, devaient être approuvés par les chefs nazis. Parfois, même s'ils étaient approuvés, cela ne leur réussissait pas mieux. Ainsi, les avocats qui voulurent représenter la veuve du docteur Klausener, le leader d'Action catholique assassiné durant la Purge sanglante, dans sa demande de dommages et intérêts à l'État, furent emmenés au camp de concentration de Sachsenhausen, où on les garda jusqu'au jour où ils renoncèrent officiellement à poursuivre leur action en justice.

Le droit d'étouffer un procès

Hitler, et pendant quelque temps Goering, avait le droit d'étouffer un procès. Dans les documents publiés à Nuremberg, il fut fait mention d'une affaire où le ministre de la Justice recommandait de poursuivre un haut fonctionnaire de la Gestapo et un groupe d'hommes des S.A., convaincus sans le moindre doute, estimait-il, d'avoir infligé les plus affreuses tortures aux prisonniers d'un camp de concentration. Il envoya le dossier à Hitler. Le Führer ordonna d'arrêter les poursuites. Goering aussi, au début, avait ce pouvoir. Un jour d'avril 1934, il fit interrompre les poursuites intentées contre un homme d'affaires fort connu. On ne tarda pas à apprendre que l'accusé avait versé à Goering quelque 3 millions de marks. Comme le fit remarquer plus tard Gerhard F. Kramer, un éminent avocat berlinois du temps : « Il était impossible de déterminer si Goering avait fait chanter l'industriel ou si celui-ci avait versé un pot-de-vin au Premier ministre de Prusse". » Ce qui est sûr, en tout cas, c'est que Goering étouffa l'affaire.
D'un autre côté, Rudolf Hess, adjoint du Führer, avait autorité pour prendre « des mesures impitoyables » contre les accusés qui, à son avis, s'en tiraient avec des peines trop légères. Un relevé de toutes les sentences frappant les gens accusés d'avoir attaqué le parti, le Führer ou l'État, était adressé à Hess qui, s'il estimait le châtiment trop doux, pouvait prendre les mesures « impitoyables » prévues. Cela consistait généralement à expédier la victime dans un camp de concentration ou à la faire descendre.
Parfois, il faut le dire, les juges du Sondergericht faisaient montre d'un certain esprit d'indépendance et même de respect du droit. Dans ces cas-là, Hess ou la Gestapo intervenaient. Ainsi, on l'a vu, quand le pasteur Niemoeller fut acquitté par le tribunal spécial des principaux chefs d'accusation portés contre lui et condamné seulement à une brève peine de prison, qu'il avait déjà purgée en attendant le procès, la Gestapo l'enleva au moment où il quittait la salle d'audience et l'expédia dans un camp de concentration.

La Gestapo au dessus des lois

La Gestapo au dessus des lois
Au début, la Gestapo n'était guère plus qu'un instrument personnel de terreur employé par Goering pour arrêter et assassiner les adversaires du régime. Ce ne fut qu'en avril 1934, quand Goering nomma Himmler sous-chef de la police secrète prussienne, que la Gestapo commença à se développer en tant que bras des S.S. et, sous le génie inspiré de son nouveau chef, l'ancien aviculteur aux manières douces mais au caractère sadique et sous celui de Reinhard Heydrich, un jeune homme à l'esprit diabolique, qui était à la tête du Service de Sécurité S.S., ou S.D. (Sicherheitsdienst) avec droit de vie et de mort sur tous les Allemands.
Dès 1935, la Cour suprême d'Administration prussienne, sous la pression des nazis, avait décrété que les décisions et les actions de la Gestapo n'étaient pas sujettes à examen judiciaire. La loi fondamentale de la Gestapo, promulguée par le gouvernement le 10 février 1936, plaça l'organisation de la police secrète au-dessus de la loi. Les tribunaux n'avaient le droit d'intervenir d'aucune façon dans ses activités. Comme l'expliqua le docteur Werner Best, un des bras droit d'Himmler à la Gestapo : « Dès l'instant que la police exécute la volonté du gouvernement, elle agit légalement. »
Un manteau de « légalité » fut conféré aux arrestations et aux incarcérations arbitraires dans les camps de concentration. Cela s'appelait Schutzhaft ou « Surveillance Protectrice », et cette surveillance s'exerçait d'après la loi du 28 février 1933 qui, comme on l'a vu, suspendait les clauses de la constitution garantissant les libertés civiles. Mais la surveillance protectrice ne protégeait pas un homme de tout accident, comme c'était le cas dans des pays plus civilisés. Elle consistait à le punir en le mettant derrière des barbelés.
Les premiers camps de concentration poussèrent comme des champignons durant la première année d'Hitler au pouvoir. A la fin de 1933, il y en avait une cinquantaine, tenus principalement par les S.A. pour administrer à leurs victimes une bonne rossée, puis pour exiger de leur famille ou de leurs amis la rançon le plus élevée possible. Il s'agissait essentiellement d'une forme rudimentaire de chantage. Parfois, pourtant, les prisonniers étaient assassinés, généralement par pur sadisme. Au procès de Nuremberg, il fut fait mention de quatre affaires de ce genre qui eurent lieu au printemps 1933 dans le camp de concentration S.S. de Dachau, près de Munich. Dans chaque cas, un prisonnier avait été tué de sang-froid, l'un par flagellation, l'autre par strangulation. Même le procureur général de Munich protesta.