Le travailleur allemand
du IIIe Reich

La vie
sous le IIIe Reich

Instauration d'un syndicat unique, interdiction des grèves, politique de grands travaux... Les ouvriers sont soumis à des rendements toujours plus intensifs. Et si des voix s'élèvent, la répression frappe !
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Le servage de la main d'oeuvre

le travailleur allemand du Troisième Reich
Privé de ses syndicats, des conventions collectives et du droit de grève, le travailleur allemand du Troisième Reich devint un serf industriel, lié à son maître l'employeur, à peu près comme les paysans du Moyen Age étaient liés au seigneur du manoir. Le « Front du Travail », qui remplaçait théoriquement les anciens
syndicats, ne représentait pas l'ouvrier. D'après la loi du 24 octobre 1934 qui l'avait créé, il était l'organisation des travailleurs allemands intellectuels et manuels. Il groupait non seulement les salariés, mais aussi les employeurs et les membres des professions libérales. Il constituait en réalité une vaste organisation de propagande, et, comme le disaient certains travailleurs, une gigantesque escroquerie. Son but, exposé dans le texte de la loi, n'était pas de protéger le travailleur, mais de « créer une authentique communauté sociale et productive de tous les Allemands. Sa tâche consiste à veiller à ce que chaque individu soit capable... de donner le maximum de travail. » Le Front du Travail n'était pas une organisation administrative indépendante, mais, comme presque tous les autres groupements en Allemagne nazie, à l'exception de l'armée, partie intégrante du N.S.D.A.P. ou, comme le disait son chef, le docteur Ley « un instrument du Parti ». A vrai dire, la loi du 24 octobre stipulait que ses cadres devaient être issus des rangs du parti, les anciennes unions nazies, les S.A. et les S.S., et c'était bien de là qu'ils venaient.
Déjà, la loi réglementant la main-d'oeuvre nationale du 20 janvier 1934, connue sous le nom de « Charte du Travail », avait remis le travailleur à sa place et rétabli l'employeur dans son ancienne position de maître absolu, sujet, il est vrai, aux interventions de l'État tout-puissant. L'employeur devenait « le chef de l'entreprise », les employés, les « disciples » ou Gefolgschaft. L'article 2 de la loi précisait que « le chef de l'entreprise prend les décisions pour les employés et les ouvriers dans tous les domaines concernant l'entreprise ». Et, tout comme autrefois le seigneur était censé être responsable du bien-être de ses sujets, de même, sous la loi nazie, l'employeur était-il responsable du bien-être des employés et des travailleurs. En retour, précisait la loi, « les employés et les ouvriers lui doivent fidélité », c'est-à-dire qu'ils devaient travailler dur et longtemps, sans récriminations ni murmures, même s'il s'agissait de salaire.

Le livret du Travail

La paie que le travailleur allemand rapportait à la maison diminuait. Outre de lourds impôts sur le revenu, des contributions obligatoires aux assurances maladie, chômage et infirmités, sans parler des cotisations au Front du Travail, le travailleur manuel (comme tout le monde en Allemagne nazie) était l'objet de pressions constantes pour faire des dons de plus en plus importants à toute une collection d'oeuvres de charité nazies, dont la principale était le Winterhilfe (Secours d'hiver). Plus d'un ouvrier perdit sa place parce qu'il n'avait pas versé sa contribution au Winterhilfe ou bien parce qu'on jugeait cette contribution trop faible. Ce genre de faute se trouva un jour sanctionné par un tribunal du travail, qui approuva le licenciement sans préavis d'un employé, pour « conduite hostile à la communauté du peuple... méritant d'être sévèrement condamnée ». Vers les années 1935, on estimait que les impôts et contributions diverses prélevaient de 15 à 35 pour 100 du salaire brut d'un ouvrier. Pareil prélèvement sur une semaine de 6,95 dollars ne laissait pas grand-chose pour le loyer, la nourriture, l'habillement et les loisirs.
Comme les serfs du Moyen Age, les ouvriers de l'Allemagne hitlérienne se trouvèrent de plus en plus liés à leurs lieux de travail, bien qu'en l'occurrence ce ne fût pas l'employeur qui les liât, mais l'État. On a vu comment le paysan du Troisième Reich était attaché à sa terre par la loi de la ferme héréditaire. De même, l'ouvrier agricole était attaché à la terre par la loi et n'avait pas le droit de la quitter pour aller travailler en ville. Il faut dire que, dans la pratique, c'était une loi nazie qui n'était guère obéie; entre 1933 et 1939, plus d'un million (1 300 000) d'ouvriers agricoles émigrèrent pour allerappliquée. Divers décrets gouvernementaux commençant avec la loi du 15 mai 1934, restreignirent sévèrement la liberté qu'avait un ouvrier de passer d'une place à une autre. Après juin 1935, les bureaux de placement d'État reçurent le contrôle exclusif de la main-d'oeuvre : ils décidaient qui pouvait être engagé, pourquoi et où.
Le « livret de travail » fut créé en février 1935 et finalement aucun ouvrier ne pouvait être engagé s'il n'en possédait pas un. Sur ce livret figuraient ses spécialités et le nom de ses employeurs. Le livret de travail non seulement fournissait à l'État et à l'employeur des renseignements tenus à jour sur chaque employé de la Nation, mais servait également à lier un ouvrier à son lieu de travail. S'il désirait aller travailler ailleurs, son employeur pouvait garder son livret de travail, ce qui signifiait qu'il ne pouvait être légalement employé nulle part. Finalement, le 22 juin 1938, un décret spécial, promulgué par le bureau du plan de quatre ans, institua la conscription du travail. Cette mesure obligeait tout Allemand à travailler là où l'État le lui imposait. Les travailleurs qui ne se présentaient pas à leur travail sans une excellente excuse étaient passibles d'amendes et de peines de prison. Cette mesure présentait évidemment des avantages. Un ouvrier ainsi enrôlé ne pouvait être congédié par son employeur sans le consentement du bureau de placement gouvernemental. Il avait la sécurité dans son travail, chose qu'il avait rarement connue sous la République.

Un monde ouvrier sous contrôle

Les nazis ne se contentent pas de séduire par les symboles : ils cherchent à organiser la vie des ouvriers. Le Front du travail allemand est chargé de cette tâche. Outre son rôle de syndicat unique, s'ajoute à sa raison d'être une utopie dans laquelle il est particulièrement efficace : offrir au peuple loisirs et vacances. L'officine chargée de ce projet porte le nom évocateur de Force par la joie (KDF). Les jours de congé annuels passent de sept à douze, à une époque où, par exemple, dans l'usine Siemens de Berlin, 70 % des ouvriers n'ont jamais quitté la région. L'objectif de la KDF est clair : favoriser les loisirs et l'accès à la culture de masse, à des tarifs avantageux. Dès 1937, 1,4 million d'Allemands partent en vacances et 6,8 millions profitent d'une offre pour un week-end. La KDF possède même ses propres navires de croisière, même si la destination la plus populaire reste Berlin. Cette politique alimente l'idée que le Ille Reich marque une rupture avec la misère des années 1930. C'est un changement fort en termes de représentation, mais le quotidien des ouvriers reste, bien souvent, médiocre. Le régime introduit, par exemple, en 1935, des livrets ouvriers qui réduisent la possibilité pour les travailleurs de changer d'emploi. Il est difficile de mesurer les aléas de l'opinion à une époque où n'existe aucun sondage et où les sources disponibles proviennent soit des officines de répression, soit du parti socialiste en exil. Mais les travaux les plus précis sur l'opinion ouvrière semblent pencher, entre adhésion et résignation, vers ce deuxième sentiment, quelles que soient les réussites symboliques du régime nazi.
Avec l'arrivée des nazis, une partie des ouvriers a cru à un changement de leur situation. Mais, pour ceux qui n'ont jamais été séduits, la situation reste la même : ce que la dictature de l'acclamation ne peut pas faire, la répression y parvient. La classe ouvrière a été neutralisée en tant que force politique. C'est à cette conclusion qu'aboutit Ian Kershaw dans son étude sur l'opinion publique sous le nazisme. Dans son ouvrage sur la dernière année de guerre (La fin : Allemagne, 1944-1945, Seuil, 2012), son constat n'a pas changé : alors que les conditions de vie deviennent bien plus désastreuses que celles des années de la fin de la république, il n'existe plus d'alternative au suicide national nazi : les ennemis sont aux frontières, la répression s'accentue et toute contestation politique organisée a été, depuis longtemps, «mise au pas ».