La fin du blitz

Londres sous les bombes

La fin du Blitz n'était pas à porter au seul crédit de la défense aérienne britannique. Il se trouve aussi que Hitler avait besoin de son aviation ailleurs. Et si la Russie s'était effondrée en huit semaines, cette aviation serait aussitôt revenue préparer les voies de l'invasion ou tenter de briser la volonté de résistance du peuple anglais.
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Pénurie d'essence et de produits alimentaire

La population de Londres pendant le blitz en 1940
L'année 1941 commença de façon décevante. Aussitôt après le terrible bombardement de Londres le 29 décembre, le temps se gâta et la Luftwaffe dut ralentir le rythme de ses attaques. Pendant les mois de janvier et février, les raids furent beaucoup plus espacés, ce qui permit au peuple anglais de reprendre souffle. Cette accalmie eut un effet étrange: loin de stimuler le moral de la population, elle l'affecta au contraire. Privés de l'excitation quotidienne des raids, les gens commencèrent à s'inquiéter de plus en plus de la pénurie d'essence et de produits alimentaires. Le beurre et les matières grasses étaient maintenant strictement rationnés, de même que la viande, les oeufs et le thé. Il y avait tout juste assez de viande pour qu'une famille moyenne pût en manger au moins une fois par semaine et le thé manquait, ce qui était particulièrement déprimant.
De plus, les fruits et les conserves, qui auraient permis d'introduire quelques variétés dans l'alimentation peu digeste que l'on obtenait par rationnement, faisaient désespérément défaut. Depuis des mois, personne n'avait vu une orange ou une banane. Une dame de Hampstead appartenant à un milieu très aisé trouva en rentrant chez elle après avoir passé la journée au volant d'une ambulance ce mot de sa femme de ménage: « Chère Madame, il n'y a ni miel, ni raisins secs, ni saccharine, ni spaghetti, ni sauge, ni harengs, ni sprats (fumés ou au naturel), ni allumettes, ni petits pois, ni matières grasses, ni potage en conserve, au céleri ou à la tomate, ni saumon. J'ai donc acheté trois livres de panais. »
Les choses étant ainsi, riches et pauvres n'avaient que trop tendance à se sentir accablés par les difficultés de la vie quotidienne, le manque de chauffage, le black-out et le spectacle des ruines qui les entouraient. « Nous n'avons pas le moral et tout le monde est de mauvaise humeur, écrivait une autre Londonienne. C'est tout juste si je ne regrette pas les grands bombardements. »
Churchill sentait que ses compatriotes avaient besoin non pas de réconfort ou de petits soins mais d'un choc qui les galvaniserait. Il le leur procura le 9 février 1941. S'adressant à la nation à la radio, il l'informa que Hitler se préparait à envahir l'Angleterre dans un proche avenir.
« L'invasion sera appuyée par un matériel beaucoup plus perfectionné, qu'il s'agisse des navires de débarquement ou d'autres moyens », annonça-t-il, comparant la nouvelle menace à celle de l'automne précédent. « Nous devons tous être prêts à faire face à des attaques menées avec des gaz, des parachutistes, des planeurs. Celles-ci seront conduites avec persévérance, selon des plans soigneusement préparés et avec les ressources de l'expérience pratique. Pour pouvoir gagner la guerre, Hitler doit anéantir la Grande-Bretagne. »
En fait, Churchill annonçait à ses compatriotes une fausse nouvelle, car il savait, par les messages interceptés et décryptés, que Hitler avait renoncé à toute idée d'invasion. Il brandissait simplement cette menace afin d'obliger le peuple britannique à se ressaisir.

Les bombardements reprennent

Bombardement de Londres pendant la deuxième guerre mondiale
Les Anglais ne pouvaient d'ailleurs pas se permettre de faiblir. Vers la fin du mois de février, le temps s'améliora et les bombardements reprirent avec intensité. Les Allemands s'attaquaient maintenant aux lignes de ravitaillement par mer, d'importance capitale pour l'Angleterre. Les sous-marins traquaient victorieusement les navires britanniques; la Luftwaffe soutenait leur action en concentrant ses raids sur les chantiers navals et les ports.
Au cours de deux nuit successives, au milieu du mois de mars, elle pilonna les chantiers de Clydebank, petite ville située sur la Clyde, au sud de Glasgow. Cette localité comptait 12 000 maisons: sept seulement d'entre elles furent épargnées. Les habitants durent s'enfuir dans les marécages voisins. Bristol, Cardiff, Plymouth et Southampton subirent le même sort. L'aviation ennemie bombarda notamment si souvent Plymouth et endommagea à plusieurs reprises de si nombreux édifices que les statistiques relatives aux maisons détruites firent apparaître un nombre supérieur au total des habitations de la ville. Le 19 mars, Londres subit son raid le plus violent depuis le début des hostilités au cours duquel 750 civils périrent. Les bombes arrosèrent Hull, Newcastle, Belfast, Liverpool et Nottingham. Toutefois, la ville proche de Derby échappa au raid meurtrier. Les usines Rolls-Royce y fabriquaient des moteurs pour avions de chasse. Grâce à un stratagème électronique qui permit de déformer le faisceau de guidage et à des incendies simulés pour tromper l'ennemi, les bombardiers lâchèrent leurs bombes explosives et incendiaires sur le Vale of Belvoir, à l'est de Nottingham, mettant deux poulets et deux vaches à mal.
En avril, les Britanniques, déjà harcelés par les bombardements, reçurent de mauvaises nouvelles du Continent. La Yougoslavie puis la Grèce avaient succombé sous les coups de la Wehrmacht. Est-ce une répétition générale se demandèrent-ils, en vue de l'invasion annoncée par Churchill? Leurs craintes semblèrent se confirmer, lorsque les attaques aériennes allemandes reprirent avec une intensité accrue dans la seconde quinzaine d'avril. Coventry, Bristol, Belfast, Portsmouth et Plymouth furent soumises à un pilonnage impitoyable. Londres subit des attaques à deux reprises et la Luftwaffe déversa chaque fois sur la capitale un tonnage de bombes plus important que jamais. 2 000 personnes trouvèrent la mort au cours de ces combats nocturnes et 148 000 maisons furent endommagées ou détruites.
Oui, ces raids massifs étaient bien le prélude d'une invasion, mais pas des Iles Britanniques. Leur objectif réel était de détourner l'attention du dernier en date des grands projets de Hitler: une attaque de grande envergure sur terre et dans les airs contre l'Union Soviétique.

Un dernier bombardement sur Londres le 10 mai 1940

A 23 heures, les sirènes commencèrent à retentir dans le ciel de Londres.
Ce qui allait être le plus violent bombardement de la Seconde Guerre mondiale sur la capitale britannique commença à 23 h. 30, le samedi 10 mai, et ne prit fin qu'à 5 h. 37 du matin, le dimanche 11 mai. 507 avions allemands participèrent à l'attaque, déversant sur Londres un déluge infernal de bombes incendiaires et explosives, et de mines parachutées: 708 tonnes au total.
Au cours de cette nuit, on dénombra 2 200 foyers d'incendie, dont neuf ravagèrent chacun un demi-hectare de bâtiments; 20 autres, presque aussi gigantesques, nécessitèrent chacun 30 pompes pour être maîtrisés. Il en fallait encore plus d'une dizaine pour éteindre 37 autres feux. A un certain moment, la ville ne fut plus qu'un immense brasier sur 280 hectares, soit environ une fois et demie la superficie ravagée par le Grand Incendie de Londres de 1666. Celui-ci avait pratiquement détruit la capitale anglaise telle qu'elle existait à l'époque.
La tour de Londres fut également touchée. Les «Beefeaters», ou hallebardiers, qui dans leur uniforme traditionnel arpentent les chemins de ronde surplombant la Tamise, durent actionner les pompes à bras et faire la chaîne avec des seaux de sable. Les joyaux de la Couronne avaient déjà été retirés de leurs vitrines dans la tour et placés en lieu sûr à l'extérieur de Londres.
Le palais du Parlement, l'abbaye de Westminster, le British Museum, tous ces édifices subirent de sérieux dégâts. Sept bombes explosives éventrèrent la Chambre des Communes. Les galeries s'écroulèrent, formant sur le sol un chaos indescriptible avec les banquettes de cuir vert où siégeaient les députés et le fauteuil du «Speaker», surmonté d'un dais. Une bombe transperça la tour de l'Horloge, maculant et balafrant le cadran de Big Ben. Toutefois, l'antique horloge elle-même et son célèbre carillon n'eurent pas à en souffrir. Des bombes incendiaires tombèrent sur le toit de la «lanterne» de l'abbaye de Westminster, qui vint s'écraser dans le choeur et le sanctuaire. Elles crevèrent le magnifique plafond de chêne de Westminster Hall et endommagèrent Westminster School, où des hommes aussi célèbres que Ben Jonson, John Dryden, Christopher Wren, Jeremy Bentham et Robert Southey avaient fait leurs études. Elles détruisirent également le doyenné de Westminster, l'un des plus beaux spécimens de l'architecture médiévale en Angleterre.
On avait évacué en lieu sûr la plupart des richesses du British Museum, mais les bombes incendiaires éventrèrent la bibliothèque et détruisirent presque la section des Antiquités égyptiennes. Des bombes tombèrent également sur Scotland Yard, le siège de l'Armée du Salut, et toutes les grandes gares de Londres, notamment celles de Cannon Street, Paddington, Waterloo, Euston, Liverpool Street, Victoria et Charing Cross. Elles n'épargnèrent pas une seule église dans la Cité et réduisirent en cendres l'un des lieux de cultes les plus anciens et les plus chers aux Londoniens, l'église St. Clement Danes, dans le Strand: ses grandes cloches, qui avaient si longtemps joué l'air d'une vieille et célèbre berceuse, se brisèrent en se fracassant au sol. Cinq hôpitaux furent touchés, et l'un d'eux si durement même qu'on dut évacuer les malades au plus fort de l'attaque. Des projectiles s'abattirent aussi sur des magasins, des maisons, un poste de défense passive, un abri, un hôtel, un cinéma et un club.
Un dernier bombardement sur Londres le 10 mai 1940

Fin du raid et fin du Blitz

Le raid se solda pour la population londonnienne par 1 436 personnes tuées et 1 800 grièvement blessées. Les survivants sentaient qu'ils avaient dépassé la limite du supportable. Leur chère capitale ravagée, les décombres, les monuments noircis, tout ce qu'ils voyaient autour d'eux les mettait au comble du désespoir. Un femme écrivit dans son journal:
«Je viens d'apprendre une terrible nouvelle: Westminster Hall a été touché la nuit dernière, ainsi que l'abbaye et le palais du Parlement. On a pu sauver une partie du toit, mais pas le reste. On a d'abord cru que Big Ben avait été écrasé. Dans l'abbaye, la "lanterne" est détruite. Je ne trouve pas de mots pour dire ce que je ressens devant un tel désastre. Je pense que nous avons dû commettre des péchés bien graves pour que de pareils sacrifices nous soient imposés. Il y aura certainement d'autres destructions. C'est une bien maigre satisfaction en tout cas d'apprendre que les richesses de l'ennemi sont exposées aux mêmes ravages. Je ne le souhaite d'ailleurs absolument pas.»
Trois semaines passèrent durant lesquelles des avions isolés se livrèrent à quelques bombardements, de peu d'importance. Le 2 juin, la Crète, tenue par les forces britanniques, tomba aux mains de parachutistes allemands. Les Anglais pensèrent alors que le tour de leurs îles allait venir. Cependant, une autre semaine s'écoula sans qu'il y eût ni attaques aériennes ni tentatives de débarquement. «QUE PRÉPARE HITLER?» titra en gros caractères le Daily Express. Certains ne cessaient de se poser cette autre question: Est-ce le calme avant la tempête finale?
Dans l'entourage de Churchill, quelques initiés en possession des messages décodés de l'ennemi étaient bien placés pour savoir que le bombardement du 10 mai clôturait la série des grandes attaques aériennes. Les informations en provenance du Continent confirmaient que la Luftwaffe quittait effectivement l'Ouest de l'Europe, et qu'on construisait de nouveaux aérodromes à l'Est pour la recevoir. Le peuple britannique n'en savait rien; deux semaines paisibles s'écoulèrent encore, mais les Londoniens ne prirent aucun risque. Les civils continuaient chaque soir à s'entasser dans le métro, et ceux qui restaient chez eux passaient des nuits d'angoisse se demandant pourquoi tout était si calme.
Pour la population britannique, c'était un répit inespéré. Le 22 juin 1941, les armées allemandes se précipitaient sur la Russie. Si d'aucuns déplorèrent la nouvelle de cette attaque, la majorité l'accueillit toutefois avec satisfaction. «A PRÉSENT, C'EST LE TOUR DE MOSCOU» titrait l'Evening News. Et les Londoniens d'ajouter le commentaire suivant: « Maintenant, nous allons voir comment ils vont s'y prendre, eux. »
Le Windmill Theater monta, en hommage à la récente alliée, un spectacle intitulé Moscow Nights («Nuits de Moscou ») dans lequel les danseuses nues portaient une toque de fourrure et une étoile rouge sur le nombril. Les prostituées du quartier de Piccadilly commencèrent à solliciter les clients éventuels en les appelant «tovaritch».
On était maintenant en août, et l'ennemi ne se montrait toujours pas. Churchill finit par annoncer que la Luftwaffe avait transféré ailleurs le gros de ses forces.
«FIN DU BLITZ», titra un journal.
A dire vrai, fin aussi de la bataille d'Angleterre. Certes, la guerre serait encore longue et éprouvante, mais chacun se faisait lentement à l'idée que le danger de démantèlement de la Grande-Bretagne avait disparu. Le Royaume-Uni était toujours là, uni et libre.