Camps de transit
ou cours des miracles

L'armistice
le 22 juin 1940

Entre le 10 mai et le 22 juin 1940, les Allemands parquèrent dans ce qu'ils appelèrent les « frontstalags » quelque deux millions de soldats français capturés.
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Les prisonniers parqués dans les Frontstalags

Prisonniers français pendant la bataille de France de 1940
Il fallut, aux Allemands, improviser en toute hâte et au fil des heures près de trois cents camps, petits, moyens ou grands, dans les deux tiers de la France. N'importe où : églises, chapelles de villages, granges, fabriques et usines abandonnées, stades, terrains de sport, cours de châteaux ou d'usines, ou, le plus souvent, simples prés. Une clôture de barbelés, une pancarte, un mirador hâtivement construit si le commandant du camp le jugeait nécessaire, quelques mitrailleuses, un ou deux canons de 37, et le camp était prêt (le ou les projecteurs de mirador seront réservés aux grands rassemblements). Malgré l'étonnante diversité des lieux, par l'état d'épuisement des hommes que l'on y entasse et la quasi-famine qui y règne, tous ces camps se ressemblent.
Dépassés par l'ampleur de leur coup de filet, manquant de soldats pour encadrer ces centaines de milliers de prisonniers, pris ae court, en un mot, par les conséquences d'une victoire que même l'optimisme délirant du Führer n'avait osé prévoir aussi totale, les Allemands donnèrent aux vaincus le plus déplorable échantillon de leur fameuse organisation dans tous les frontstalags, sans exception.
Quel que soit le frontstalag, Amiens, Lunéville, Baccarat, Laon, Romilly, Damvillers, Laval, Soissons, Champs ou Coulommiers, sans excepter les centaines de petits camps improvisés au hasard des villages et des villes occupés, ce qui dès l'arrivée frappe le prisonnier, c'est l'extrême pénurie de tout.

Aucune soupe, aucun repas

camp de prisonniers en juin 1940
A La Croix-de-Berny, où les « non-recensés » de Corbeil rejoignent le 27 juin, contre toute attente, les 4 500 Français et 2 250 Marocains déjà entassés sur le stade, un simple écriteau tracé à la main et posé sur une chaise à l'entrée indique KRIEGSGEFANGENE LAGER (camp de prisonniers). Et aussitôt, ordres hurlés par un feldgendarme qui ponctue de coups de bâton le « Bar Drois! » de l'alignement, les nouveaux venus n'en croient ni leurs yeux ni leurs oreilles : les voilà loin des « kamarades » en uniformes verts qui, à Corbeil, leur faisaient boire du mandarin à huit heures du matin ou, sur la route, du mousseux pillé dans les caves!
Par groupes de cinquante, on s'installe aux endroits désignés, tennis pour les uns, pelouses pour les autres. Installer est un grand mot, puisque à La Croix-de-Berny, comme dans presque tous les camps, il n'y a rien. Là, le sol. Ailleurs, l'herbe ou le ciment. Au mieux, un plancher et un peu de paille.
Une chance : le soleil, défiant la misère de ces affreuses journées, brille dans un ciel obstinément bleu. Quelques coins des Vosges échappent à ce temps providentiel et les prisonniers de Vaucouleurs, en face du château où s'ébrouent les vainqueurs, passent debout, les pieds dans un marécage, calot et capote transpercés, une nuit d'autant plus mémorable que Jacques Perret, dans Le Caporal épinglé, l'a fait à jamais revivre dans le souvenir de ses infortunés camarades : De temps à autre, des fusées partaient du château pour éclairer le spectacle de ces hommes, loqueteux et grelottants sous la pluie, appuyés les uns contre les autres, parfois couchés dans l'eau, serrés comme des harengs en caque. Penchés aux fenêtres, cigare aux lèvres et verre à la main, les officiers allemands se régalaient du spectacle.
Suivant leurs moyens, le plus souvent limités au peu qu'ils ont sur le dos, les prisonniers font des tentes de leurs capotes, de leurs toiles imperméables, en attendant « la soupe ». Pour des milliers d'hommes qui n'ont rien mangé d'autre depuis plusieurs jours que les biscuits et les rares conserves de leur musette, ce premier repas chaud, dont ils escomptent sinon la saveur, du moins le réconfort, abolit tout autre pensée. Et, comme les camps pourvus de gamelles, quarts et autres ustensiles de la vie militaire sont rarissimes, la course au récipient constitue l'un des premiers gestes du prisonnier.
Dans les camps de la Somme. région où les Britanniques ont abandonné de nombreux casques, l'affaire se règle rapidement : contrairement au casque français, le casque anglais ne comporte pas de trous d'aération; il se prête à merveille au rôle de bol.
Malheureusement, cette aubaine reste limitée. On utilise alors la boîte de lait condensé, ou de singe, ou le pot de chambre. Ne trouvant pas mieux, un prisonnier nettoie d'une poignée d'herbe l'unique boîte de sardines dont il a fait son ordinaire pendant deux jours. Un autre a volé au passage le bol d'un chien près de la niche! Il joue les boyards avec sa porcelaine!
Des veinards, logés dans une tôlerie, s'ingénient à modeler tant bien que mal leur similigamelles. Mais l'aubaine se limite à deux camps et les Français s'apercevront bientôt que les vieilles boîtes rouillées, contrairement à la croyance générale, sont d'un usage aussi sain que la vaisselle plate...
De toute manière, le prisonnier qui parvient au camp a tort de se préoccuper du contenant de sa soupe. Neuf fois sur dix, ou, mieux, quatre-vingt-dix-neuf fois sur cent, aucune soupe, aucun repas ne l'attend le premier jour. Il arrive que trois, quatre, voire sept jours passent sans qu'il touche autre chose que deux biscuits de soldat pris dans les réserves de l'armée française pour vingt-quatre heures. Quand il les touche! Le premier repas consiste souvent en crèmes de gruyère avariées que les prisonniers s'arrachent, malgré les vers...
Comme beaucoup, pour ne pas dire la plupart, n'ont pas mangé un repas substantiel depuis le début de la débâcle, ils se jettent sur n'importe quoi.
Aux environs d'Amiens, pas une tige de plantain ne restera debout dans l'espace où les Allemands ont parqué les prisonniers. Le raisonnement est simple : si un canari mange du plantain, pourquoi un homme ne pourrait-il pas l'imiter? Ailleurs, on déterre des pieds de boeufs ou de chevaux pour les faire bouillir en une soupe étrange (agrémentée d'herbe) et certains vont jusqu'à faire bouillir leur ceinturon, près d'Amiens, pour donner du goût à l'eau et tromper leur faim.

L'extraordinaire cuisine de l'armée allemande

Encore faut-il disposer d'eau, ce qui est assez rare puisque dans la plupart des camps la distribution d'eau se faisait à raison d'un quart par vingt-quatre heures. Sous le soleil torride de ces mois de juin et de juillet exceptionnels, la soif est l'une des souffrances les plus pénibles dans les camps de prisonniers français.
A une cadence qui varie avec chaque camp, on aperçoit enfin les « roulantes » fumer et les queues se former avec pour but ces louches de soupe auxquelles chaque homme a droit. Longues colonnes de loqueteux affamés, car les uniformes en ont vu de rudes, au cours de la campagne! Pour ceux qui n'ont pas bondi les premiers, ou dont la « chambrée » plein air ou abri est éloignée de l'autel aux mangeailles, l'attente paraît interminable. Une demi-heure au moins, une heure au plus, pour recevoir le matin la tasse de tisane, de chicorée (et même, cela s'est vu, de bon café) à chaque homme.
Les plus économes gardent encore quelques biscuits ou une croûte de pain à tremper dans cette eau chaude. Mais, incompréhensiblement, peut-être par la fantaisie sadique d'un chef, certains camps à proximité des villes manqueront de pain pendant plus d'une semaine. A La Croix-deBerny, après les premiers jours de famine, un pain de deux livres pour dix hommes fut remis quotidiennement. La ration augmenta, mais le mode de répartition demeura inchangé : du haut de la terrasse un feldwebel présidait à la distribution, puis lançait des croûtons dont il s'était muni, pour le plaisir de voir les prisonniers se précipiter comme des chiens affamés, le photographe allemand de service enregistrant la scène pour les magazines du Grand Reich.
Cela dit, les menus ultérieurs de ce camp s'enrichirent de légumes, de rations de chocolat, de fromage ou de confiture dont aucun autre frontstalag ne semble avoir été honoré. Quelle qu'ait été la région, le régime demeurait le même : tisane ou chicorée le matin, soupe claire où nageait une « boulette de viande pour chat », ou « un doigt de viande de mulet », ou, plus généralement, des morceaux de rutabaga, cet étonnant légume qui semble avoir poussé spontanément dès l'arrivée de l'armée allemande.
Le repas arrivait à onze heures et à cinq heures, dans de grandes lessiveuses, qui, au début, gardaient encore leur parfum de savon et le communiquaient à la soupe. Certains prisonniers se souviennent d'une soupe aux fanes de carottes, enrichie d'un goût très particulier, qui fut servie au misérable camp de Soissons.
Le jus de nouilles où nageaient quelques lentilles que les prisonniers comptaient : «Jamais plus de dix! » représentait une sorte de gâterie. L'orge et surtout le millet formaient avec le rutabaga, le fond de cette nourriture qui eut comme premier effet l'amaigrissement des hommes, de nombreux cas de tuberculose et naturellement, de dysentrie.
Mais comme l'arbitraire gouvernait généralement les camps de transit, bien des dérogations, officielles ou non, permirent aux prisonniers qui y passèrent plusieurs semaines (certains y demeurèrent jusqu'en juillet 1941) d'améliorer leur ordinaire. Quelques prêtres, des religieux, autorisés à dire leur messe dans les couvents du voisinage, en revenaient plus lourds qu'au départ. Pain, oeufs, fromages gonflaient leurs poches. La discipline dépendait du bon ou du mauvais vouloir de l'officier responsable et, plus encore, des gradés chargés de la surveillance. C'étaient, pour la plupart, des hommes de quarante à cinquante ans, parfois boiteux, et même bossus, ce qui donnait à réfléchir aux prisonniers : les Allemands avaient-ils
déjà mobilisé toutes les classes, puisque beaucoup de combattants semblaient n'avoir pas vingt ans?
Au camp de Laon, où la nourriture était particulièrement misérable, où l'eau manquait, et où les deux quarts de soupe ne pouvaient calmer la faim des prisonniers parqués sur le terrain de football, quelques sentinelles fermaient les yeux quand des civils s'approchaient pour prendre les lettres et les commissions dont les chargeaient les captifs. Mais qu'apparût un feldwebel (adjudant), aussitôt, la sentinelle se mettait à hurler ordres et injures, menaçant civils et soldats de la crosse de son fusil. Le scénario, bien établi, faisait s'égailler les participants, en apparence terrifiés.
Grâce à cette comédie, les hommes qui, jusque-là, avaient les yeux hagards des bêtes traquées, et le moral au plus bas, reprirent un peu de force et de courage. Ailleurs, les sentinelles fermaient les yeux quand les Français, rois du système D, trouvaient le moyen de faire du feu entre quatre pierres et de cuire d'étranges galettes de racines, ou des pommes de terre que leur lançaient, la nuit, par-dessus les barbelés, quelques paysans. C'était « verboten », bien sûr, mais tout était « verboten » à l'intérieur des camps, des pancartes l'annoncent tous les cinq mètres, même dans les camps en plein air...
condition de vie des prisonniers français en juin 1940

Conditions d'hygiène dans les camps de transit

Hygiène dans les camps de prisonniers allemands en 1940
Si prompts à se laver à grande eau dans nos maisons qu'ils occupaient, les Allemands se souciaient peu de donner à leurs prisonniers les moyens de vaincre la crasse. Recrus de fatigue, marinant dans la sueur depuis des semaines sans pouvoir changer de linge (la plupart des hommes avaient tout perdu) les prisonniers restaient parfois huit jours sans eau ni savon.
Au quartier Lizé, à Strasbourg-Neuhof, comme à Colmar où 15 000 hommes étaient entassés, les conditions d'hygiène, sur tous les plans, étaient indescriptibles, s'accordent à dire les témoins. On marchait dans l'ordure, l'odeur nous suivait partout. Si l'on rappelle que là où il y avait chambrée un seau pour cent hommes devait pourvoir à leurs besoins, toute sortie nocturne étant interdite, on peut se faire une idée de l'état des lieux au réveil.
Si des circonstances anormales (et elles l'étaient) avaient été seules en cause dans cette organisation calamiteuse, en quelques semaines les prisonniers auraient dû observer une amélioration sensible dans l'hygiène des camps. Mais ils se trouvaient installés dans un provisoire qui allait se prolonger douze ou quinze mois.
Là où les prisonniers couchaient à même le sol, qu'il fût de bois, de ciment ou de terre battue, ils ne recevaient ni paille ni encore moins de, couverture, pas plus que de châlits, pour les nuits froides de l'automne. Or il faut noter que beaucoup de prisonniers ne possédaient plus de capote. Certains les avaient abandonnées dans le feu du combat ou en fuyant, d'autres les avaient transformées en civières pour transporter leurs camarades et aussi des soldats allemands blessés. Elles étaient restées avec leur chargement. Or les magasins d'habillement, dans les casernes. regorgeaient de tout, il suffisait de vouloir...
Dans la cristallerie de Baccarat, où il n'était pas question de coucher avec un minimum de confort les 50 000 hommes qui s'y entassaient, les premiers occupants avaient transformé en couchettes les longues tables d'exposition. Les autres s'allongeaient sur le ciment. Même dans les casernes, là où 6 000 hommes occupaient un quartier prévu pour 500, le châlit devenait un luxe de malades...
Mais, à vrai dire, convaincus comme ils l'étaient de l'imminence de leur libération, les prisonniers supportaient avec une certaine bonne humeur (quand la dysenterie ne les rongeait pas) les inconvénients de leur sort.