La percée de Sedan

Histoire d'une défaite

La forêt de l'Ardenne est « infranchissable », affirmait l'état-major général français, qui se contenta donc de faire assurer sa défense par des forces peu importantes. Hélas ! c'était là une erreur tragique : ce fut précisément au sud de l'Ardenne (à Sedan) que les Allemands réussirent la percée décisive.
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Un grand nombre de ceux qui font le gros dos, qui pleurent, qui jurent, qui appellent leur mère, qui prient, qui tentent de dominer leur peur, ont vécu 14-18, souffert les terribles bombardements de Verdun, se sont comportés en héros, mais, en quelques secondes, passer brutalement de la drôle de guerre à la guerre-éclair, c'est trop pour eux. D'autant plus que rien, en apparence, ne vient détruire l'ordonnance des escadres allemandes, leur stratégie, toujours la même.
Elles sont, à l'habitude, précédées du « mouchard », ce petit avion que l'on a d'abord trouvé « rigolo » avec son moteur au bruit de machine à coudre, sa placidité, sa familiarité. Mais le Henschel, solidement blindé, muni d'une excellente radio, s'il ne paraît menacer personne, est en réalité un remarquable observateur. Repérant les défenses, les ponts qui n'ont pas sauté, les renforts qui arrivent, indiquant aux chars, par messages lestés, les voies libres et les routes interdites, appelant les bombardiers sur l'objectif, il sera bientôt craint par tous. Il est l'oiseau annonciateur des grandes catastrophes, ces vols de bombardiers Dornier ou de Stukas qui basculent brutalement et plongent dans un bruit de fin du monde...
Témoignage
Le mouchard... "Ce petit avion rigolo"

A Sedan c'est l'enfer

Stuka à Sedan le 13 mai 1940
Ce matin du 13 mai, le jour se leva au-dessus de Sedan, en même temps que tombaient les premières bombes. C'était le début d'un bombardement méthodique qui allait durer pendant plusieurs heures. Les avions, par vagues de quarante à cinquante, parvenaient au-dessus des positions françaises ; ils piquaient à tour de rôle pour lancer leurs bombes et leurs torpilles, et, une fois qu'ils s'étaient délestés de leur chargement, ils étaient remplacés immédiatement par d'autres. Ce pilonnage, exécuté par tranches de terrain, devait être renouvelé à de nombreuses reprises sur les berges de la Meuse, les ouvrages de la ligne de résistance, les points d'appui, les observatoires et les emplacements de batteries.
L'effet en était terrifiant. Les bombes sont de tous calibres. Les petites sont lâchées par paquet. Les grosses ne sifflent pas ; en tombant, elles imitent à s'y méprendre le grondement d'un train qui s'approche. Les Stukas se joignent aux bombardiers lourds. Le bruit de sirène de l'avion qui pique vrille l'oreille et met les nerfs à nu. Il vous prend envie de hurler. Le fracas des explosions maintenant domine tout. Plus une autre sensation n'existe. Bruit hallucinant de la torpille dont le sifflement grossit, s'approche, se prolonge; on se sent personnellement visé ; on attend, les muscles raidis ; l'éclatement est une délivrance. Mais un autre, deux autres, dix autres. Les sifflements s'entre­croisent en un lacis sans déchirure; les explosions se fondent en un bruit de tonnerre indiscontinu. Lorsqu'un instant son intensité diminue, on entend les respirations haletantes. Nous sommes là, immobiles, silencieux, le dos courbé, tassés sur nous-mêmes, la bouche ouverte pour ne pas avoir le tympan crevé.
Dans tous les carnets de route, on trouve des récits aussi évocateurs de la terrible épreuve endurée par des hommes qui n'y avaient pas été préparés.
Les soldats allemands eux-mêmes qui attendaient, tapis dans leurs trous, la fin du bombardement, étaient impressionnés. Le sous-officier Prumers, en a brossé un tableau saisissant : « Le grondement approche, venant de l'est. Et ce que nous vîmes dans les vingt minutes qui suivirent nous donna une des impressions les plus fortes de cette guerre. C'étaient dix, douze avions qui se précipitaient ensemble comme des oiseaux sur leur proie et qui ensuite se déchargeaient de leurs bombes au-dessus de la cible. Un énorme coup est porté à l'adversaire et sans arrêt pointent à l'horizon des Stukas qui prennent de l'altitude pour retomber sur la même cible : Sedan. Nous restons figés sur place à regarder ce qui se passe plus bas, c'est l'enfer »

Un champ de bataille dévasté

L'enfer de Sedan en mai 1940
Le capitaine de Labarberie a décrit ainsi ce champ de bataille dévasté avant qu'aucun combat ait eu lieu : « Les ouvrages bétonnés sont recouverts de terre, certains sont éventrés, les créneaux obstrués, les armes faussées, de nombreux abris sont littéralement pulvérisés.
Des points d'appui, des positions de batterie sont complètement bouleversés. L'effet moral sur les troupes est considérable. A côté des tués et des blessés, il y a la masse des combattants plaqués au fond des tranchées ou des abris par le souffle des explosions, abrutis par le fracas des bombes et le sifflement des rafales de mitrailleuses, écrasés, vidés de souffle et d'énergie par le terrible pilonnage qui détermine chez tous une profonde dépression nerveuse. Plus importantes que les destructions étaient la démoralisation et la désorganisation que provoquait l'aviation allemande. Puis, subitement, les bombardiers et les Stukas disparurent. Aux explosions des dernières bombes succédaient maintenant les coups secs des pièces antiaériennes de 88 tirant à bout portant des rives même de la Meuse contre les fortins déjà branlants. Les colonnes de fumée qui s'élevaient sur tous les points de l'horizon témoignaient de l'enfer qui s'était déchaîné sur Sedan.

L'assaut et la traversée de la Meuse

Le commandant la 6e compagnie, constata que, malgré les attaques meurtrières de la Luftwaffe, les soldats français étaient bien décidés à se défendre énergiquement : Les Français reconnaissent enfin le danger et se mettent à riposter sans souci des bombes qui éclatent autour d'eux. Les sapeurs amènent leurs canots d'assaut, mais ne peuvent atteindre la rivière. L'ennemi observe tous nos mouvements; des canons d'assaut sont mis en batterie, mais leurs projectiles ne peuvent rien contre les parois de béton. On perd un temps précieux jusqu'à ce que, finalement, un 88 réduise l'ennemi au silence. Les canots sont avancés de nouveau, mais la tentative réveille le feu.
A ce moment, les regards de tous les hommes se tournèrent vers leurs chefs, attendant le signal de l'attaque.
Seize heures Ils bondirent, poussèrent les canots à l'eau et sautèrent dedans avec la rapidité de l'éclair. Les sacs pneumatiques s'enfoncèrent dans les nuages de fumée épaissis sur la Meuse. Les gerbes d'eau produites par les mitrailleuses ennemies encadraient les embarcations, mais personne n'avait le temps d'y songer. Les obus se croisaient au-dessus de l'eau. Des projectiles sifflaient. Le bruit du combat était effrayant.
Lisons cette description faite par l'un de ces jeunes Allemands pour lequel cet après-midi du 13 mai est demeuré inoubliable : « En canots pneumatiques ou sur des radeaux improvisés, les fantassins se lancent à travers le fleuve. Un feu intense s'abat sur eux ; une embarcation atteint la rive adverse, puis une autre. Une troisième coule à mi-parcours, une quatrième saute en l'air, la suivante est détruite avant même d'être mise à l'eau, mais la sixième s'ébranle et réussit la traversée sans être touchée. Bientôt sur l'autre rive, elles sont dix, quinze. Le fleuve grouille d'uniformes feldgrau. De l'eau, des embarcations et, entre elles,, d'étroites lignes rouges : du sang »
L'assaut et la traversée de la Meuse par les Allemands pendant la bataille de France en 1940

L'énergie du désespoir

Soldat français à la bataille de Sedan en 1940
Une fois parvenus de l'autre côté de la Meuse, les assaillants se rendirent compte que, contrairement à ce que leurs chefs leur avaient laissé prévoir, leurs adversaires luttaient avec l'énergie du désespoir :
« Je suis donc seul sur l'autre rive, avec un sergent, quatre hommes et le groupe d'infanterie qui nous couvre à droite, a rapporté le feldwebel Rubarth. Nous sommes immédiatement accueillis par un violent feu de mitrailleuses. Nos munitions sont épuisées et nous ne pouvons poursuivre l'attaque. Pour obtenir des renforts et des munitions, je retourne à la berge et constate que la traversée est interrompue par un tir très intense de l'ennemi. Les canots sont dégonflés ou lacérés. Quatre hommes de mon détachement ont été tués. Mon commandant de compagnie, resté sur l'autre rive, ordonne d'amener de nouveaux canots et désigne des équipages. »
Il était primordial pour la réussite de l'opération que les casemates et fortins, d'où parvenaient des tirs meurtriers, soient neutralisés, car leurs feux empêchaient le lancement des ponts de bateaux nécessaires au passage des renforts. Les réseaux de barbelés les protégeant furent facilement détruits avec des explosifs, tandis que les Stukas, reprenant leur ronde infernale, mitraillaient et bombardaient, lâchant leurs bombes directement sur leur objectif.
Les effets du souffle réduisaient les occupants à l'impuissance. Le lieutenant Verron les a décrits : « Les sacs de sable qui bouchaient l'entrée et remplaçaient la porte blindée étaient projetés sur nous et le souffle renversait nos armes. Nous étions dans un mélange de fumée âcre, de poussière et de ciment; nous ne distinguions plus rien. Le vacarme était assourdissant et le bruit des sirènes intenable. La casemate craquait de tous côtés. »
C'était le moment qu'attendaient les pionniers. Continuons le récit du feldwebel Rubarth : « Nous passons en rampant dans l'angle mort du fortin et l'attaquons par l'arrière avec une charge explosive. L'explosion arrache une partie de la paroi arrière. Nous profitons de l'occasion pour réduire les occupants avec des grenades. » D'autres plus audacieux, comme le feldwebel Preuss, montaient sur le toit des blockhaus et fai saient tomber leurs grenades par les bouches d'aération. Lorsque la distance et la visibilité le permettaient, les chars et les canons automoteurs, postés sur la rive opposée, tiraient de plein fouet dans les embrasures des casemates, détruisant tout à l'intérieur et faisant éclater le béton qui avait résisté aux bombardements.
Il est minuit à Sedan
Guderian était maintenant confiant. Les pontonniers venaient de mettre en place le dernier bac. Le pont de seize tonnes était terminé. Sa construction était une opération presque aussi importante que le passage de la Meuse. Le sort de la bataille en dépendait. Un accident, un retard et toute l'opération était. compromise. Si les chars et le ravitaillement ne les rejoignaient pas à l'aube, les milliers de soldats qui s'infiltraient à la faveur de l'obscurité à l'intérieur des positions françaises seraient pris dans une souricière. Les dieux avaient encore été avec lui.
Depuis minuit, les longues colonnes de véhicules de toute sorte : chars, automitrailleuses, canons, camions, accumulés sur les routes et dans les champs, passaient sur le pont, serrés les uns contre les autres, et fonçaient dans la nuit en direction du sud. C'était le début d'une chevauchée fantastique qui devait les conduire en quelques jours sur les rives de la Manche.
C'est vrai surtout dans les premiers jours lorsque tout est neuf dans cette guerre où l'on ne sait ni comment se protéger, ni comment lutter contre ce danger qui dégringole du ciel, ce danger personnalisé, cet adversaire énorme, armé de canons, de mitrailleuses et de sirènes, ce Stuka qui a l'air de vous viser, vous, de vous poursuivre, vous, de tourner avec vous autour de l'arbre derrière lequel vous essayez de vous dissimuler, machine hurlante dont les assauts mettent les nerfs à bout, précipitent les soldats dans les tranchées ou les fossés des routes, les y maintiennent le nez, la bouche contre la terre, les ongles griffant un sol.
« Les sifflements et les éclatements se rapprochent. Ils sont sur nous ! Chacun tend le dos, haletant, mâchoires serrées. La terre tremble, semble se disloquer. Ce sont cinq minutes terribles, les premières, que bien d'autres suivront... Le fracas des explosions maintenant domine tout. Plus une autre sensation n'existe. Bruit hallucinant de la torpille dont le sifflement grossit, s'approche, se prolonge. On se sent personnellement visé ; on attend, les muscles raidis. L'éclatement est une délivrance. Mais un autre, deux autres, dix autres. »
Témoignage
Bon, c'est vrai, ils se terrent.