La bataille de la Somme

Histoire d'une défaite

Le 5 juin 1940, à l'aube, vingt-quatre heures seulement après la fin de l'évacuation de Dunkerque, le ciel s'embrase de la Somme à l'Aisne. Une intense préparation d'artillerie s'abat sur les positions françaises, accompagnée de violents bombardements aériens.Cette bataille permettra à la Wehrmacht de s'emparer de Paris, puis du sud-ouest de la France.
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L'estocade finale à l'armée française

bataille de la somme en juin 1940
La décision de porter l'estocade finale à l'armée française a été prise par le Führer dès que le succès de la manoeuvre d'enveloppement des armées alliées du Nord a été acquis. L'ordre d'arrêt des panzers, le 24 mai, en constitue le prélude et, le 29, à Cambrai, Hitler confirme son intention de « regrouper rapidement les forces blindées et motorisées pour agir vers le Sud et régler son compte à l'armée française ».
Le 4 juin, au prix d'un travail considérable des états-majors, le dispositif allemand est en place. Sur la Somme et le canal Crozat, le groupe d'armées B du général von Bock dispose de trois armées, de trois corps blindés, soit six panzerdivisionen, et de trois divisions motorisées. La présence de têtes de pont que l'armée française n'a pu réduire depuis le 25 mai facilitera le démarrage de l'offensive générale. A l'ouest, entre Picquigny et Longpré, le 15e corps blindé de Hoth, avec la 7e panzers de Rommel en tête, s'élancera en direction de la basse Seine. Mais la manoeuvre principale incombe aux 14e et 16e corps blindés qui, débouchant des têtes de pont d'Amiens et de Péronne, prendront en tenaille la région parisienne, dans une manoeuvre d'enveloppement de grand style.
A l'est, sur l'Ailette, l'Aisne et jusqu'aux avancées de la ligne Maginot, le groupe d'armées A de Rundstedt attaquera le 9 juin, quatre jours plus tard que les troupes de Bock. Le fer de lance est, là encore, constitué par deux corps blindés placés sous les ordres de Guderian. Objectif : foncer vers le plateau de Langres et la frontière suisse, ou en direction du couloir rhodanien, pour prendre à revers les armées de l'Est ou l'armée des Alpes.
Face à une armée allemande à peine émoussée par sa victoire de Belgique et la bataille de Dunkerque, galvanisée par ses prodigieux succès, quels sont les moyens dont dispose encore le commandement français? En faisant flèche de tout bois, le général Weygand a réussi tant bien que mal à reconstituer un front à peu près cohérent-de Montmédy à la mer. Du Rhin à la Manche, il ne dispose, cependant, en première ligne que de 27 divisions contre 45. Ses réserves ne dépassent pas 22 grandes unités, le plus souvent à effectifs incomplets, contre 90 divisions de la Wehrmacht. La Luftwaffe, agissant toujours par formations massives, sera, une fois de plus, maîtresse du ciel.
En ce qui concerne les chars, l'armée française possède encore plus de 1 000 engins modernes, mais dispersés, contre plus de 1 500 engins allemands agissant dans le cadre de grandes unités.
A la veille de la bataille décisive, le général Weygand n'a pas tenté d'innover. Il a simplement cherché à adapter notre doctrine foncièrement défensive à la tactique des panzers. Le mot d'ordre est de résister « sans esprit de recul », de se battre « comme des chiens », de « quadriller » le champ de bataille en profondeur avec des points d'appui. Il n'y a plus à proprement parler de front continu.
Les villages, les bois doivent constituer des « hérissons », barricadés, truffés d'armes automatiques et de canons de campagne utilisés comme antichars. Les faibles réserves en blindés et en infanterie constitueront des groupes d'intervention destinés à réduire les éléments ennemis qui se seraient infiltrés entre les points d'appui.
Cette conception a fait l'objet de sérieuses critiques, a posteriori naturellement, mais également sur le moment, avant même le déclenchement du dernier rush des panzers. Était-il légitime d'accepter la bataille sur la Somme, l'Ailette et l'Aisne, sur des coupures qui constituaient des obstacles insuffisants et dont nous ne bordions même pas le cours en son entier? N'aurait-il pas mieux valu livrer bataille sur la Seine et l'Aube, procéder à une évacuation immédiate de la ligne .Maginot et constituer avec les armées de l'Est un môle solide autour du Morvan, comme le conseillait, dès le 26 mai, le général Prételat ? La basse Seine aurait constitué un remarquable fossé antichars. « Il semblait insensé, devait dire Rundstedt, de compter sur un passage aisé d'un fleuve aussi large et facile à défendre. » Enfin, on aurait pu, devançant les Soviétiques, ou répétant les républicains espagnols, engager les panzers dans des combats de rue difficiles dans les grandes agglomérations comme Le Havre, Rouen et surtout la région parisienne.

Sans esprit de recul

La résistance des français pendant la bataille de la Somme en juin 1940
Mais, comme devait soutenir le général Weygand, probablement avec raison, une bataille de ce genre, une guerre totale, en somme, ne correspondait pas à l'état d'esprit d'un peuple et d'un gouvernement en plein désarroi. Une évacuation anticipée de la ligne Maginot aurait porté un nouveau coup au moral du pays et des combats dans la banlieue de Paris ou dans la capitale même auraient entraîné des souffrances et des destructions du trésor artistique français incompatibles avec la mentalité de l'époque.
Il fallait donc se battre sur place. Mais, là encore, le système adopté ne laissait pas d'inquiéter. L'éparpillement de nos chars aggravait encore leur infériorité numérique. C'est ainsi que nos trois divisions cuirassées ne possédaient plus que 40 à 50 engins chacune. Les trois D.L.M. ne dépassaient pas la force d'un bataillon de chars. Pour remédier à notre faiblesse, le général de Gaulle avait proposé à Weygand de réunir les quelque 1 200 chars modernes qui nous restaient en deux forts groupements associés à de l'infanterie et à de l'artillerie, au nord de Paris et dans la région de Reims.
Sans aller si loin, il est certain que les directives de Weygand concernant la formation de « deux masses de manoeuvre », moins ambitieuses, dans l'Argonne et dans la région de Beauvais n'avaient été qu'imparfaitement appliquées. Le général n'avait pu, en quelques jours, redresser des erreurs de conception vieilles de vingt ans.
De toute manière, le système des points d'appui ne pouvait assurer des avantages que pendant quelques jours. Tôt ou tard, les hérissons devaient succomber par encerclement. Les intervalles ne se trouvaient pas sous le feu de l'artillerie et n'étaient pas barrés par des champs de mines.
Enfin, comme devait le faire remarquer le général Beaufre, le commandement s'apprêtait à livrer cette ultime bataille sans grande conviction. L'adversaire possédait l'ascendant moral, gage de victoire.
La bataille qui démarre à l'aube du 4 juin révèle cependant au commandement de la Wehrmacht une fâcheuse surprise. Le soldat français de la Somme n'est plus celui de la Meuse. Il offre partout une résistance acharnée . Pendant quarante-huit heures, le sort des armes semble hésiter. Même encerclés, les hérissons résistent conformément aux instructions. Les panzers n'élargissent que péniblement les têtes de pont d'Amiens et de Péronne. Finalement, le commandement allemand doit renoncer à sa manoeuvre d'enveloppement de Paris.
Mais la 7e panzers de Rommel, qui a franchi la Somme dès le premier jour sur un pont de chemin de fer intact, se trouve maintenant à 25 kilomètres au sud de la Somme. Contournant nos points d'appui, elle arrive dans la soirée à Forges-les-Eaux, à 40 kilomètres de Rouen.
La bataille de la Somme peut alors être considérée comme perdue. Le repli entraîne l'abandon des points d'appui ou tout au moins de leur matériel lourd. Le 8 au soir, la Xe armée est pratiquement coupée en deux. Il ne subsiste plus qu'un mince rideau de troupes sur la « position avancée de Paris » et la basse Seine que les avant-gardes de Rommel atteignent le 9, à Louviers.

Le dernier boulevard de France

Au moment où le désastre se confirme à notre aile gauche, les Allemands frappent le second coup à l'est, de l'Aisne à la Meuse, avec 4 corps blindés et 27 divisions d'infanterie. La première journée rappelle la bataille de la Somme. Le système des points d'appui tient bon. A l'est de Rethel: la 14e D.I. du général de Lattre de Tassigny rejette l'ennemi sur l'Aisne et fait 800 prisonniers. Mais, dans la soirée, l'infanterie allemande réussit à établir une petite tête de pont de part et d'autre de Château-Porcien. C'est suffisant poux lancer, à l'aube, la 1re panzers suivie de la 2e.
Les progrès sont rapides. « Les chars ne rencontrèrent, en rase campagne, devait écrire Guderian, qu'une très faible résistance, car la nouvelle tactique française se concentrait sur la défense des localités et des boqueteaux. C'est pourquoi notre infanterie se heurta dans les villages à une résistance coriace, tandis que nos chars poussaient irrésistiblement leur percée jusqu'à la Retourne. »
C'est seulement en fin d'après-midi, que le groupement Buisson, composé de la 3e D.C.R. et de la 7e D.L.M. réussit à lancer une contre-attaque prévue depuis le matin. Ce retard fait manquer l'effet de surprise et ne permet pas d'obtenir un succès décisif. Le choc n'en est pas moins rude pour la 1re panzers, qui perd une centaine de chars. Une fois de plus se révèle l'emploi désastreux des blindés par l'armée française, malgré la qualité du matériel.
Pendant la bataille, devait dire Guderian, je tentai en vain de détruire un char B avec un canon antichars de 47 enlevé aux Français. Tous les coups ricochaient sans efficacité sur ce pachyderme. Nos canons de 37 et de 20 n'obtenaient pas plus de résultats. Nous subîmes de son fait des pertes sensibles et amères. »
Pendant ce temps, la 2e panzers avait franchi l'Aisne à son tour et marchait sur Reims en contournant tous les îlots de résistance. Ainsi, en moins de quarànte-huit heures, la bataille de l'Aisne est perdue. Pourtant, le combattant français a vaillamment fait son devoir. On voyait encore sur le
terrain, écrit Stackelberg, comment les Français avaient combattu, comment ils avaient défendu chaque mètre de sol. Les petits groupes étaient restés à leur poste, alors qu'ils n'avaient plus de liaison avec le reste des troupes ni le moindre espoir de succès. Ils avaient le sentiment de défendre le dernier boulevard de la France, dans une bataille qui déciderait de l'existence même de leur pays.

Le IO juin au soir, la bataille de France peut être considérée comme terminée.
En fait, la lutte n'est plus militaire mais politique. A Tours, l'alliance franco-britannique se meurt. Churchill refuse d'engager le moindre groupe. du Fighter Command. Désormais, cette alternative divise politiques et militaires : conclure un armistice et sauver l'honneur de l'armée, ou poursuivre la lutte en Afrique du Nord.

Un voyage romantique

Pendant ce temps, les troupes épuisées, à court de ravitaillement, poursuivent une retraite qui apparaît sans but, mêlées à la lamentable foule des réfugiés. La confusion gagne. Rien ne s'oppose plus à l'avance triomphale des armées allemandes. Infanterie et panzers rivalisent de vitesse. Ce n'est plus qu'une guerre dégénérée, écrit le général von Singer, qui ajoute : « La vie quotidienne de ces ruées déréglées prit un certain rythme. Vers 5 heures du soir, l'élan et l'ardeur combative tombaient. Vite, on partait à la recherche d'un beau jardin tranquille pour y boire du thé ; quand aucun ordre n'arrivait, nous musardions un peu et. nous nous comportions comme des gens heureux qui font un voyage romantique en auto. »
Comme après Iéna, c'est la poursuite rayonnante. Le I4 juin, une division d'infanterie fait son entrée dans Paris, proclamé « ville ouverte ». Au lieu du fracas des blindés, les rares habitants restés sur place ont la surprise de découvrir des colonnes de fantassins et des convois hippomobiles. Les Allemands remontent l'avenue de la Grande-Armée, contournent l'Arc de Triomphe et descendent les Champs-Élysées. Quelques cafés sont ouverts. Un cinéma affiche Vous ne l'emporterez pas avec vous ! Le soir, le drapeau à croix gammée flotte sur la plupart des grands édifices. Il y restera quatre ans.
En fait, le commandement allemand oriente la poursuite dans deux directions, vers l'ouest et vers le sud-est. Après le franchissement de la Seine, le 15e corps blindé de Hoth, Rommel en tête, fonce en direction de la Normandie, de la Bretagne et des ports de l'Atlantique et de la Manche. La ruée fracassante met fin à la chimère d'un « réduit breton », envisagé par certains pour tendre la main à l'Amérique. Le 18 juin, le général Robert Altmayer, qui ne dispose que d'une douzaine de bataillons, au lieu des 15 divisions jugées nécessaires, est capturé à Rennes avec tout son état-major. Le lendemain, Brest et Cherbourg tombent aux mains des Allemands.