Un loup en chasse

Les U-Boote
La terreur des convois

La plupart du temps, le U-Boot navigue en surface.
Grâce à sa silhouette basse sur l'eau et à sa peinture
grise, il est difficilement repérable. En règle générale, le U-Boot piste les convois à six milles derrière les premiers bateaux. C'est la nuit que les sous-marins, seuls ou en meutes, chassent en surface à la torpille ou au canon afin de contourner I' Asdic
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L'as Otto Kretschmer se place sur la route du convoi

Soue-marins allemands pendant la bataille de l'Atlantique
Minuit dans l'Atlantique Nord: un ciel clair bien que sans lune, une brise légère du sud-ouest qui apporterait des nuages avant l'aube, mais sans doute pas d'averses. Le lieutenant de vaisseau Otto Kretschmer, adossé à la passerelle de l'U-99, tira voluptueusement sur son cigare et se dit que jusque-là tout s'était bien passé.
L'U-99 de 750 tonnes avait quitté Wilhelmshaven dans les derniers jours de juin 1940. Il était passé de la mer du Nord dans l'Atlantique, puis le long des Hébrides et, le 5 juillet, à midi, Kretschmer avait pu annoncer par radio au quartier général de Dônitz, à Wilhelmshaven, qu'il se trouvait dans la zone affectée, prêt à jouer son rôle dans la bataille de l'Atlantique. Le calendrier affichait le 8 juillet. Au cours des jours précédents, l'U-99 avait coulé (chaque fois d'une seule torpille) le vapeur canadien Magog et un navire neutre suédois, le Bissen, que Kretschmer soupçonnait fort de transporter secrètement du matériel à destination de la Grande-Bretagne.
Les hommes de U-99 étaient pour la plupart jeunes, enthousiastes, bien entraînés et, non sans raison, pleins de confiance. Kretschmer pouvait entendre certains d'entre eux marcher à l'intérieur du sous-marin, parlant à voix basse. Sur la passerelle, les veilleurs de l'avant et de l'arrière scrutaient le ciel et la mer, se déplaçant lentement et régulièrement pour observer tous les points de l'horizon (veille monotone et éprouvante, qui assurait la survie de U-99 et la découverte de ses objectifs).
Soudain, l'un des veilleurs s'immobilisa et fit un geste pour attirer l'attention de Kretschmer. Jetant son cigare, celui-ci saisit ses jumelles et ordonna de mettre les moteurs diesel à plein régime, pendant que le sous-marin s'animait d'un branle-bas général.
L'U-99 voyait arriver dans les atterrages occidentaux son premier convoi, deux files de navires escortés par trois destroyers, un de chaque côté et le troisième sur l'avant.
Il fallut près de deux heures à grande vitesse à U-99 pour se placer directement sur la route du convoi. Juste au lever du jour, le sous-marin se mit en immersion périscopique, attendant de voir les navires passer au-dessus de lui. Kretschmer soutenait depuis longtemps que la meilleure méthode d'attaquer un convoi était de le faire par le centre et, pour la première fois, il bénéficiait de l'occasion de mettre réellement sa théorie en pratique.
On put bientôt entendre le vrombissement des hélices des destroyers, bruit grandissant au fur et à mesure que se rapprochait le destroyer protégeant le convoi par bâbord. Il passa juste devant le tube lance-torpilles arrière de l' U-99 et amorça immédiatement une abattée en direction de l'U-Boot. Kretschmer se trouvait sur le point d'ordonner une plongée rapide, lorsque le destroyer amorça une nouvelle abattée et les navires de tête du convoi s'approchèrent de part et d'autre du sous-marin.

Des heures de danger et de peur

masques respiratoires pour les marins d'un soue-marins allemand
Sans diriger le bâtiment sur un navire précis, cela s'avérait inutile car les torpilles, si elles étaient correctement réglées, orienteraient leur trajectoire dès leur sortie des tubes dans un rayon de 90 degrés pour se diriger droit sur leurs objectifs, Kretschmer donna l'ordre de lancement, dès que les navires de tête arrivèrent à sa hauteur. L' U-99 vibra sous le choc des départs et à bord tous retinrent leur souffle dans l'attente des explosions. Pendant ce temps, le commandant plaçait avec soin son bâtiment un peu plus en arrière entre les deux files de navires, attendant que ses prochains objectifs se mettent d'eux-mêmes à sa portée.
Les secondes s'écoulèrent, interminables, et rien ne se passa. Déconcerté, Kretschmer attendit encore, puis ordonna de lancer la torpille arrière. Cette fois, la torpille «colla» et ne partit qu'avec un certain retard; il sembla, cependant, qu'elle virait correctement, et tous se remirent à compter les secondes. Rien, toujours rien. Puis, surgit enfin une lueur aveuglante à bord d'un grand navire, un ancien paquebot probablement. De toutes les torpilles lancées par l'U-Boot, seule celle qui avait «collé» avait fait but. Furieux car il était convaincu du mauvais fonctionnement des torpilles, Kretschmer rentra le périscope, mit L'U-99 en immersion profonde et le laissa glisser à l'arrière du convoi dans l'intention d'abandonner l'attaque. Soudain, un bruit d'hélices se rapprocha, s'éloigna puis s'amplifia à nouveau; la contre-attaque avait commencé.
L'U-99 se trouvait à 45 mètres de profondeur lorsque les premières grenades explosèrent à proximité. Le tintamarre éclata comme si un marteau gigantesque avait frappé la coque. L'U-99 roula follement, et comme une pierre tomba de plusieurs mètres. Kretschmer le laissa descendre jusqu'à plus de 100 mètres.
On entendit bientôt le crissement caractéristique de l'asdic; ce bruit, nouveau pour certains, qui glaçait le sang annonçant des heures de danger croissant et de peur insurmontable avec l'horrible perspective d'une mort par asphyxie si on était cloués au fond trop longtemps. Puis il y eut des vrombissements d'hélices et des chocs violents provoqués par l'explosion de nouvelles grenades sous-marines. L' U-99 se cabra et, à bord, on dut s'agripper aux écoutilles et aux tuyauteries pour éviter d'être jetés par terre. Quand l'U-Boot eut retrouvé son assiette, les électriciens et les mécaniciens vérifièrent leurs installations et constatèrent des avaries mineures, mais ils savaient que l'épreuve ne faisait que commencer.
Pour économiser les batteries, Kretschmer fit couper l'électricité pour tous les appareils, à l'exception des hydrophones, du gyrocompas et des quelques lampes indispensables. La vitesse fut réduite; l'U-99 ne pouvait espérer s'échapper en forçant l'allure, puisque sous l'eau, même à son régime maximal, il allait beaucoup moins vite que les destroyers. Il n'y avait rien à faire que d'attendre la suite des événements et de prier que l'ennemi perdît le contact, fût à court de grenades ou décidât de rejoindre le convoi.
Deux heures après le début de l'attaque, une nouvelle explosion toute proche martela le sous-marin. Les réserves d'oxygène baissant, Kretschmer demanda à ses hommes de s'étendre (en étant immobiles, ils consommeraient moins du précieux gaz) et leur ordonna de mettre leurs masques respiratoires: des appareils en caoutchouc qui, grâce à un filtre de potasse, purifiaient, mais pour une courte période seulement, l'air toxique, dont la teneur ambiante ne cessait d'augmenter dangereusement.
La première accalmie survint au bout de six heures, six heures de tension de plus en plus douloureuse, d'explosions assourdissantes qui menaçaient de déchirer la coque du sous-marin déjà gravement défoncée, d'avertissements répétés de l'opérateur de l'hydrophone (Ennemi au-dessus!), toujours suivis par l'horrible attente.

Dans le U-Boot, certains hommes commençaient à suffoquer

Quarante minutes plus tard, l'explosion d'un nouveau chapelet de grenades le réveilla en sursaut. L'épreuve n'était pas encore terminée!
Elle paraissait à la fois plus facile et plus difficile à supporter pour Kretschmer que pour ses hommes. En tant que commandant du sous-marin, il prenait les décisions: il avait donc l'habitude de réfléchir, de peser le pour et le contre, d'occuper en somme son esprit pour ne pas se laisser gagner par la panique devant une situation délicate. Portant le poids de l'entière responsabilité de ses hommes et de son navire, il devait en effet toujours présenter un masque de totale impassibilité.
Kretschmer usa d'un artifice: il prit un livre et s'installa dans un coin du poste central, bien en vue de l'opérateur de l'hydrophone. Il n'était pas question de lire vraiment, et encore moins de s'intéresser à l'ouvrage; mais le bruit n'allait pas tarder à se répandre dans le sous-marin que le commandant se préoccupait si peu de la situation qu'il s'était plongé dans un roman policier; cela suffirait pour que chacun retrouve son calme et son sang-froid. Le stratagème réussit, et Kretschmer put évaluer à tête reposée les chances qu'avait L'U-99 de s'en sortir.
Ces chances paraissaient faibles. A terme, les batteries allaient inévitablement s'épuiser. Une fois que le bâtiment ne pourrait plus avancer, il ne resterait que deux solutions: utiliser la réserve d'air comprimé pour faire remonter à la surface l'U-99 (qui risquerait alors d'être détruit) ou bien laisser le sous-marin se poser sur le fond, où il s'exposerait à être écrasé par la pression de l'eau.
Mais le problème le plus immédiat concernait la respiration. Certains hommes commençaient déjà à suffoquer; l'air se chargeait d'oxyde de carbone et les embouts de caoutchouc des masques prenaient vite un goût fétide et commençaient à irriter les lèvres et les gencives. Kretschmer se demandait combien de temps ils allaient devoir tenir, combien de temps ils pourraient tenir.
Une réalité bassement matérielle rendait plus difficilement supportables encore les conditions de vie dans le sous-marin. Les excréments, moins denses que l'eau de mer, remontent à la surface lorsqu'ils sont expulsés d'un submersible; aussi les marins avaient-ils reçu l'ordre depuis longtemps de ne pas utiliser les toilettes pour ne pas trahir leur position. Les hommes devaient donc se servir de seaux, et l'atmosphère devenait réellement de plus en plus irrespirable d'autant plus que les récipients, à chaque nouvelle explosion, se renversaient et déversaient leur contenu nauséabond par terre dans le poste central.
On pouvait craindre bien pire encore! Si le martèlement des explosions de grenades se poursuivait, l'eau pourrait s'infiltrer par les joints distendus ou par les fissures des tôles et atteindre les batteries — tout l'équipage serait alors voué à l'asphyxie par les émanations de chlore. Au moment où Kretschmer touchait au terme de ses réflexions, l'opérateur de l'hydrophone s'aperçut brusquement que le commandant tenait son roman policier à l'envers.
Marin dans un U-Boot

Dans le U-Boot, ils étaient tous encore en vie.

Dans le U-Boot, ils étaient tous encore en vie.
A présent plus de douze heures s'étaient écoulées depuis que l' U-99 se trouvait en immersion et soumis à des attaques incessantes. Les batteries s'avéraient si faibles que le bâtiment, pouvant à peine avancer, était descendu à 45 mètres en dessous de la limite de sécurité prévue par ses constructeurs. Parmi les hommes, certains commençaient à se demander s'ils n'auraient pas mieux fait de s'engager dans des postes moins dangereux comme ceux de pilotes d'aviation de chasse ou de parachutistes.
Finalement, Kretschmer décida de tenter de dérouter ses poursuivants en effectuant une série d'abattées. Sa tactique réussit magnifiquement et, à 20 h. 30, il nota dans le journal de bord: «J'ai l'impression qu'ils m'ont perdu. La forte houle... semble leur avoir compliqué la tâche.»
On percevait toujours le vrombissement des hélices et le bruit sourd des explosions, mais beaucoup moins proches et de plus en plus faibles au fil des minutes et, enfin, presque inaudibles, les sinistres «pings» de l'asdic, qui ne donnaient plus «la chair de poule» aux membres de l'équipage. A 22 h. 28, on enregistra encore l'explosion de trois nouveaux chapelets de grenades, ce qui portait leur nombre à 107 ! Puis, à mesure que les secondes s'écoulaient sans autre intervention, les hommes à bord du submersible finirent par se persuader que la menace avait disparu.
Si le danger était effectivement passé, l'équipage de l' U-99 ne connut pas pour autant la fin de ses épreuves. En effet, pendant deux heures et demie encore, le sous-marin resta en immersion, délai que Kretschmer jugeait nécessaire pour confirmer le départ des destroyers.
A 1 heure du matin, après avoir séjourné près de dix-huit heures sous l'eau, l' U-99 creva la surface de l'Océan et retrouva la nuit sombre et tranquille de l'Atlantique Nord. Kretschmer rabattit le panneau de pont et monta sur la passerelle. Au-dessus de lui, les diesels se réveillèrent; les ventilateurs commencèrent à envoyer à l'intérieur de l'air frais. Les officiers et les hommes sortirent alors sur le pont, grisés autant par la baisse subite de tension que par l'atmosphère vivifiante, après ces longues heures passées dans la cale à la limite de l'asphyxie.
Ils étaient tous encore en vie.

La célèbre croix de fer

Et toujours en mission aussi. Après avoir vérifié le niveau des réserves de carburant et calculé la distance qui séparait l'U-99 de Lorient, nouvelle base de l'U-Boot en France et terme de son périple, Kretschmer arriva à la conclusion que rien ne l'obligeait à quitter rapidement le secteur. Il devait se féliciter par la suite d'être resté sur les lieux: trois jours plus tard, le 12 juillet, il coula le vapeur grec la et le même jour arraisonna le cargo estonien Merisaar. Le commandant du Merisaar reçut l'ordre de se diriger directement sur Bordeaux et se vit menacer des pires sanctions s'il déviait, ne fût-ce que d'un degré, de sa route. Il ne s'agissait évidemment que d'un bluff mais, malheureusement pour tous à bord, le commandant du cargo estonien, terrorisé, suivit à la lettre ces instructions qui se soldèrent par une tragédie. En effet, lorsque le bâtiment arriva à proximité des côtes françaises, il fut repéré par des avions de reconnaissance et rapidement coulé par un des bombardiers Focke-Wulf Condor attachés au haut commandement des sous-marins.
Puis, le 18 juillet, l'U-99 détruisit le vapeur britannique Woodbury, qui se scinda en deux et fut englouti en moins de vingt secondes.
Quelques jours plus tard, le sous-marin arriva à Lorient. L'un des premiers parmi les U-Boote, il avait accompli le trajet de la Baltique à la nouvelle base de sous-marins; aussi Kretschmer et ses hommes furent-ils accueillis en grande pompe sur le quai par les membres de l'état-major de Dönitz, qui établissait son nouveau quartier général à Kernevel, petit village proche de Lorient. Mais les uniformes de cérémonie et les affaires personnelles des marins de l'U-99 n'étaient pas encore arrivés de Wilhelmshaven. Or, comme les hommes ne pouvaient se présenter dans les salopettes puantes et souillées qu'ils avaient portées tout au long de leur calvaire, on leur donna les seuls uniformes disponibles du secteur: des tenues de combat anglaises abandonnées par les Britanniques, lors de l'évacuation précipitée de Dunkerque, un mois plus tôt. Portant ainsi l'uniforme de l'ennemi, les marins de l' U-99 furent passés en revue par le grand amiral Raeder en personne, qui remit à Kretschmer la célèbre Croix de Fer.