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Vivre sous la dictature

Chili, une dictature
longue et cruelle

Les dictateurs
du XXe siècle

Entre 1973 et 1990, le général Augusto Pinochet a instauré une dictature militaire violemment répressive, au nom de la lutte contre le communisme et de la défense de la patrie. Sur le plan économique, il a lancé, le premier, une politique ultralibérale qui a partiellement préservé le pays de la récession, mais au prix de grandes inégalités sociales.

La prise de pouvoir Pinochet

Prise de pouvoir de Pinochet au Chili
Le 11 septembre 1973, un coup d'État mené par les forces armées renverse le gouvernement Allende et met un terme à l'Unité populaire (UP), coalition des forces politiques de gauche parvenue démocratiquement au pouvoir en 1970 et décidée à tracer « pacifiquement » une « voie chilienne vers le socialisme ». Cet événement, qui retint l'attention du monde. entier durant plusieurs semaines et contribua à l'édification d'une véritable mythologie autour de l'UP, inaugure une dictature caractéristique des régimes qui fleurissent en Amérique latine dans les années 1970. En cela, il constitue une rupture dans l'histoire d'un pays où la Constitution de 1925 n'avait jamais été remise en cause et où l'armée était réputée loyaliste.
Le régime instauré par Pinochet fournit également aux théories économiques néo-libérales élaborées aux États-Unis un terrain d'expérimentation bientôt appelé à devenir un modèle. Autant d'éléments qui font des années 1973-1990 au Chili un champ d'études privilégié pour comprendre l'Amérique latine à l'aube du XXIe siècle.
Aujourd'hui encore, l'historiographie reste partagée quand il s'agit d'évoquer les causes du coup d'État : les uns évoquent la volonté des forces armées chiliennes, appuyées par les États-Unis, de mettre un terme à une expérience politique leur semblant menacer l'unité de la nation ; d'autres insistent plutôt sur les divisions internes de l'UP, partagée entre un réformisme d'inspiration keynésienne et la tentation d'accélérer les transformations sociales par un véritable soulèvement révolutionnaire ; d'autres enfin soulignent les résistances d'une partie de la société chilienne au passage à un socialisme d'État. Ces trois facteurs ont certainement joué de manière concomitante.
Quoi qu'il en soit, une journée suffit aux forces armées pour balayer l'UP et s'emparer du pouvoir : le coup d'État est lancé dans le port de Valparaiso par le soulèvement de la marine ; il aboutit à Santiago au bombardement du palais présidentiel de La Moneda et à la mort d'Allende. A l'origine du putsch, une junte militaire dirigée par le général Augusto Pinochet, commandant en chef de l'armée de terre. Lointain descendant d'un Français émigré au Chili au XVIIIe siècle, Pinochet (né en 1915) a rapidement gravi tous les échelons de la hiérarchie militaire. Formé à l'École militaire de Santiago, il remplit plusieurs missions diplomatiques (notamment aux États-Unis) et devient général de brigade en 1968. En août 1973, Allende le nomme commandant en chef des forces armées dans l'espoir qu'il apaise les velléités putschistes de l'armée chilienne, pourtant de tradition apolitique. On connaît la suite...
En l'espace de quelques jours, la junte soutenue par l'ensemble de l'armée chilienne renie le gouvernement en place, proclame la dissolution du Parlement, instaure l'état de siège et l'état d'urgence assortis d'un couvre-feu, suspend les libertés syndicales et la plupart des organes de presse. Elle justifie le soulèvement par la lutte contre le communisme et puise une partie de son inspiration dans le coup d'État militaire intervenu en 1964 au Brésil. La crainte d'une socialisation de l'économie et le rejet de la lutte des classes au nom des intérêts supérieurs de l'unité nationale figurent dans toutes les déclarations officielles qui font immédiatement suite à la prise du pouvoir.

La répression au Chili

La repression au Chili après la prise de pouvoir par Pinochet
Dans les jours qui suivent le coup d'État, la nature répressive du nouveau pouvoir s'affiche clairement. Des milliers de personnes sont arrêtées et, pour une bonne part, regroupées dans l'enceinte de l'Estadio nacional (le principal stade de Santiago). Outre les principales personnalités de l'UP, ce sont surtout les militants des partis d'extrême gauche (notamment du MIR, Movimiento de izquierda revolucionaria) et du mouvement ouvrier qui sont victimes de cette violence politique : ils sont torturés, exécutés, parqués dans des camps de concentration ou portés disparus.
En octobre 1973, un commando connu sous le nom de « Caravane de la mort » sillonne le nord du pays en hélicoptère et élimine en l'espace de quelques jours 75 opposants considérés comme dangereux. L'exposition médiatique de certaines personnalités qui avaient pris fait et cause pour l'UP ne suffit pas à les protéger (Comme le très populaire chanteur Victor Jara).
La junte lance des appels à la délation tandis qu'est mise en place une police politique, la Direccion de inteligencia national (DINA), active dès 1973, mais officiellement créée en juin 1974 — elle cède la place en août 1977 à la Central nacional de informaciones (CM). Jusqu'à la fin de 1974, l'éradication du « cancer marxiste » est menée de manière systématique et les opposants traqués scrupuleusement. Ainsi, dans l'éducation, près d'un tiers du corps enseignant est démis de ses fonctions. Au total, durant les années Pinochet, le nombre de tués et de disparus se serait élevé à 5 000-6 000

Une dictature longue et cruelle

Une dictature longue et cruelle au Chili
La violence multiforme de la dictature a duré longtemps après le coup d’État et la répression fut sans
merci jusqu’à la fin des années 1980. Ainsi le 11 novembre 1983, dix ans après le coup d’État, un père
s’est immolé par le feu pour protester contre la disparition de ses deux fils devant la cathédrale de
Concepción. Il s’appelait Sébastian Acevedo. Il était âgé de cinquante ans et était ouvrier à Coronel. Une croix dessinée par le pavage du parvis immortalise l’endroit où il s’est sacrifié. Chaque année, les familles de détenus disparus organisent une manifestation du souvenir à cet endroit. Ester a fait plusieurs grèves de la faim pour protester contre le fait qu’elle n’arrivait pas à savoir ce qu’il était advenu de son mari. Son activisme, en particulier au sein du mouvement des familles de disparus, lui valut plusieurs séjours prolongés dans les commissariats de Concepción où les conditions de détention, sans lumière et sans nourriture, étaient très dures. Sa dernière arrestation remonte à 1989. Seize ans après le 11 septembre, le régime finissant de Pinochet emprisonnait encore.
La répression toucha d’innombrables familles. Elle ne prit fin qu’après les élections de 1990. Les professeurs et les étudiants des universités payèrent un lourd tribut. Parmi eux des sociologues. Les noms de 58 étudiants et professeurs assassinés entre 1973 et 1990 ont été gravés sur un monument, inauguré en 1993 dans les jardins de l’université de Conception. Les disciplines sont indiquées : la sociologie revient quatorze fois sur cette liste des morts et des disparus de la dictature.

Le plan Condor

Pinochet et le plan Condor
Le Chili de Pinochet recourt enfin au plan Condor. Cette opération, élaborée en étroite collaboration par diverses dictatures militaires (Brésil, Chili, Argentine, Uruguay, Paraguay), a pour objectif l'élimination du marxisme. Elle bénéficie du soutien de la diplomatie nord-américaine et serait à l'origine de 50 000 à 70 000 meurtres ou disparitions. Elle conduit notamment à la disparition de nombreux Chiliens réfugiés en Argentine. Longtemps restée secrète, l'existence du plan Condor est attestée depuis la découverte en 1992, dans la banlieue d'Asuncion, de nombreuses archives du régime du général Stroessner, au pouvoir au Paraguay de 1954 à 1989.
La répression ne peut cependant expliquer seule que Pinochet ait pu se maintenir à la tête du pays pendant seize ans. Dans un premier temps, la junte militaire bénéficie d'importants soutiens intérieurs qui lui permettent d'asseoir fermement son pouvoir. De larges secteurs de la société, de l'Église aux milieux industriels et financiers en passant par une bonne partie des classes moyennes, approuvent l'intervention des forces armées qui rétablit l'ordre public, met un terme aux nombreuses grèves qui paralysaient le pays et écarte le spectre d'une révolution socialiste.
A l'étranger, l'émotion suscitée dans l'opinion par le renversement d'un régime issu des urnes ne suffit pas à isoler la junte d'un point de vue politique et économique. Les États-Unis, où une partie des élites militaires chiliennes avaient été formées dans un anticommunisme viscéral depuis les années 1950, accueillent avec soulagement la chute de l'UP. Le Chili d'Allende était perçu comme un « nouveau Cuba » qui menaçait des intérêts économiques considérables. Aussi l'administration républicaine de l'époque alloue-t-elle d'importants crédits au nouveau régime, en même temps qu'elle participe à sa reconnaissance internationale.
Un exilé raconte
Ricardo Fuentealba Escobar vit depuis bientôt quinze ans à
Paris, où il a trouvé refuge après avoir subi pendant cinq ans les
tortures et l’inhumanité des geôles de la dictature. « Au moment
du coup d’État, raconte-t-il, j’avais 19 ans et je devais faire mon
service militaire. Membre actif du Parti socialiste, j’ai pensé
qu’il valait mieux fuir. Je suis donc entré dans la clandestinité,
mais j’ai été dénoncé, arrêté et emprisonné de 1978 à 1983. Sur
ces cinq ans, j’ai subi pendant trois ans et demi des tortures,
disons assez fortes. Je suis devenu comme un chiffon tellement
j’ai été humilié. J’ai été violé avec un tube dans l’anus. J’ai dû,
avec un appareil qu’on me mettait dans la bouche, avaler les
excréments de mes tortionnaires. J’ai été pendu par les pieds tous les jours, pendant des mois. Parfois j’ai été emprisonné
dans une ville au bord de la mer. On m’attachait à un bateau
par les mains et l’on me faisait descendre dans la mer. C’était
pour moi une panique terrible. Puis ils me faisaient remonter,
et devant mon éternel silence, ils me faisaient redescendre.
Aujourd’hui j’ai peur de l’eau. C’est difficile de soigner de telles
séquelles. »
bas
1973, sous Augusto Pinochet

La délation était importante, on se méfiait de tout le monde, des voisins, des copains, on ne savait pas qui pouvait parler. A l'arrêt de bus, on ne partait que de la pluie et du beau temps, rien de plus, parce qu'on ne savait pas qui pouvait écouter. En même temps, les gens essayaient de régler leurs comptes et on dénonçait n'importe qui pour n'importe quoi. On ne savait pas ce qui se passait dans te reste du pays.