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Une nuit d'émeutes

L'affaire Stavisky
et les émeutes
du 6 février 1934

La situation semble critique. Une dernière opération (au prix de plusieurs morts parmi les manifestants, tués par balle) permet toutefois de déblayer définitivement la place de la Concorde, mais la liste de victimes est longue, et le bilan politique catastrophique.

On a tiré sur les anciens combattants

gardes à cheval pendant la nuit du 6 février 1934
19 heures : une charge des gardes vers la rue Royale réussit en un instant à dégager le centre de la place. Mais, une fois de plus, la foule ne s'est dérobée un moment que pour renouveler son assaut avec d'autant plus de fureur. De nombreux manifestants sont relevés, grièvement blessés. La multitude s'accroît sans cesse. Ici et là fusent des cris, repris en chœur par la foule :
Démission, assassins!
Les sabres des gardes à cheval brillant dans l'ombre déchaînent un redoublement de clameurs. Les pompiers, à l'entrée du pont de la Concorde, mettent leurs lances en batterie. Presque au même moment des détonations retentissent aux alentours du pont. Un cri terrible se propage comme une traînée de poudre :
On a tiré à balle sur les anciens combattants ! Des hommes ont été tués par les gardes mobiles !
Par la rue Royale la nouvelle se répand jusqu'aux boulevards, déclenchant une colère effrayante. Des jeunes gens courent avec des gestes menaçants :
Des fusils, il nous faut des fusils !
Trois charges sabre au clair se succèdent alors. Les chevaux effectuent un mouvement tournant autour des balustrades des Tuileries et prennent la foule à revers. Des coups de feu éclatent à nouveau; sur la place de la Concorde, les barrages de gardes mettent revolver au poing. La mêlée générale devient terrible, impitoyable : aux coups de plat de sabre et de matraques, les manifestants répondent en lançant des billes d'acier sous les sabots des chevaux; quelques-uns chancellent et précipitent leurs cavaliers sur la chaussée. D'autres manifestants, tels les fauchards flamands des guerres médiévales, coupent à coups de lames acérées les jarrets des montures, les mutilant affreusement.
20 h 30: sous la conduite de son président M. Lebecq, l'Union nationale des combattants, qui a regroupé 20 000 ex-soldats à l'angle du Grand Palais et du Cours-la-Reine, serre les rangs et déploie ses valeureux étendards en tête de ses sections.
Au coude à coude derrière vos drapeaux! commande le président.

En avant !

Emeute du 6 février 1934
Le cortège s'ébranle en direction des Champs-Élysées. De la Concorde parviennent des clameurs. Des groupes arrivent au pas de course : On se bat là-bas, on tire à balle !
La nouvelle passe de bouche en bouche de la tête à la queue de la cotonne. Une auto passe; une femme est au volant, à côté du chauffeur :
En avant, crie-t-elle, on tue là-bas. Regardez !
Et du geste elle désigne une forme ensanglantée gisant sur les coussins de sa voiture.
En avant! s'écrient d'une seule voix les vingt mille anciens combattants.
Par l'avenue de Marigny, les voilà qui débouchent sur les Champs-Élysées. Derrière les drapeaux des sections, séparant chaque groupe, d'immenses calicots se déploient en travers de la chaussée, proclamant : Nous voulons que la France vive dans l'honneur et la propreté. Sur le revers des pardessus s'étalent, multicolores, les décorations : Légions d'honneur, croix de guerre avec palmes, médailles militaires. En arrivant place de la Concorde, les anciens combattants se mettent à entonner la Marseillaise et continuent à avancer.
A la Chambre, à la Chambre! crient plusieurs d'entre eux.
Un certain flottement se produit alors. Le cortège, voyant du fond de l'horizon se détacher vers eux une masse de gardes mobiles, infléchit sa route vers la rue Royale. Sur le passage des drapeaux, les passants se découvrent et, aux fenêtres garnies de spectateurs, éclatent des vivats. Mais, du côté de la Madeleine, une ligne sombre de gardes à cheval barre le passage. Les anciens combattants obliquent vers la gauche, en direction de l'Élysée. Une violente charge des gardes à cheval les stoppe à l'angle de la rue Boissy-d'Anglas. On voit les drapeaux s'agiter et tomber, des hampes se briser, des soies glorieuses se déchirer.
Repoussés, tronçonnés, les manifestants se dispersent, certains vers la Madeleine, d'autres vers le boulevard Haussmann, d'autres encore rebroussent chemin en direction du rond-point des Champs-Élysées. Mais le gros de leurs troupes se retrouve sur les grands boulevards; suivis par une foule immense, ils s'arrêtent place de l'Opéra. Spontanément, en présence de milliers de personnes présentes, la Marseillaise retentit une fois encore.

Les conséquences sont tragiques

Les conséquences sont tragiques: 15 morts et 1453 blessés, selon la commission d'enquête parlementaire. La place de la Concorde, le 7 au matin, porte les traces des combats. Plus grave, la démocratie est atteinte, la République radicale ébranlée: la pression de la rue a tout bousculé, et les ligues l'ont symboliquement emporté. Lâché par une partie de sa majorité, qui craint une guerre civile, Daladier démissionne dans l'après-midi. Lui succède l'ancien président de la République Gaston Doumergue, appelé à former un gouvernement d'union nationale.
Mais le régime est déconsidéré, et les suites de l'affaire Stavisky ne contribuent pas à restaurer son image dans l'opinion publique. Surtout, il a cédé devant les factieux, ce que démontrent les travaux de la commission parlementaire. Et c'est en réaction à cette faiblesse, mais également à ce qu'ils considèrent comme une menace de caractère fasciste que les partis de gauche entament, quelques jours après le 6 février, un processus de rapprochement, qui débouchera deux ans plus tard sur le gouvernement de Front populaire.
Reste une question fondamentale: le 6 février constitue-t-il une tentative de coup d'État ? À l'extrême droite, c'est une évidence: réussissant à exploiter l'indignation populaire, elle tente de renverser le pouvoir. Mais pour en faire quoi? La question n'est toujours pas tranchée. Il reste en tout cas que le 6 février 1934 constitue un moment décisif dans le combat contre la République parlementaire et la démocratie, prélude au 10 juillet 1940.

La police fait feu

manifestants pendant la nuit de 6 février 1934
De leur côté, les Croix-de-Feu du colonel de La Rocque se sont rassemblés autour de la station de métro Varenne et concentrés dans la rue de Bourgogne. La tête de la colonne se trouve rue Saint-Dominique, à deux cents mètres de la Chambre des députés. Mais la voie est obstruée par deux camions mis en travers de la chaussée.
Faisant demi-tour, les Croix-de-Feu se portent alors vers l'esplanade des Invalides. Ils défilent dans l'ordre et le calme. A la hauteur du pont Alexandre III, une violente échauffourée les oppose aux gardiens de la paix.
23 h 30: les charges sabre au clair ont repris place de la Concorde. Lors de l'une d'elles, les gardes essuient des coups de feu; les chevaux prennent peur et s'emballent. Les forces de l'ordre répliquent en tirant à balle. Des manifestants s'écroulent. A une fenêtre du Crillon, une femme de chambre est tuée net. Partout, des gens ruisselants de sang, des bêtes éventrées.
Un moment hésitante, la foule se disloque et se disperse, dégageant la place de la Concorde et ses abords.
Mais, dans sa retraite rageuse et précipitée, elle détruit tout ce qu'elle rencontre sur son passage : deux autobus sont incendiés, des kiosques à journaux sont réduits en miettes, des bancs publics sont arrachés, des panneaux de signalisation tordus, de nombreuses vitrines de grands magasins ou d'hôtels des Champs-Élysées sont brisées, des bornes lumineuses renversées, des lampadaires abattus.
1h 15: le champ de bataille est enfin déserté. Les unités de renfort du e régiment d'infanterie et du 21e régiment d'infanterie coloniale ont été relevées. Mais la circulation automobile, inhabituelle à cette heure, poursuit sa ronde, allant recueillir çà et là les blessés restés sur la chaussée.
Rue Royale, la brasserie Weber est le siège d'une animation particulière; la salle du restaurant a été transformée en ambulance improvisée et des dizaines de blessés s'entassent sur la moleskine des sièges.
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