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La Guerre d'Espagne
une affaire française

Le désenchantement
et la chute

Tout pousse Léon Blum à voler au secours du Frente popular. Malgré la timidité de Londres qui craint l'intervention de Hitler et de Mussolini, mais surtout de l'opposition de la droite et des radicaux français.

Voler au secours de la Frente popular

Blum et la Frente popular
A peine au pouvoir, le Front populaire est confronté, le 17 juillet 1936, à l'insurrection militaire dirigée contre le Frente popular, élu en Espagne en février précédent. Pour Léon Blum, tout nouveau président du Conseil, apporter l'aide de la France aux dirigeants de Madrid constitue une démarche presque instinctive, une façon de voler au secours d'un régime qui lui est proche idéologiquement et dont la survie lui importe, même si l'ampleur du soulèvement est encore mal perçue.
Tout le pousse dans cette voie, tant sa solidarité politique avec les autorités espagnoles légitimes que le vibrant appel qui lui est adressé par José Giral, président du Conseil du Frente popular, le 20 juillet, l'informant d'un « dangereux coup de main militaire », réclamant une aide en armes et en avions et s'achevant sur une formule qui en dit long: « Fraternellement à vous. »
Blum serait d'ailleurs en droit de le faire : les conventions internationales prévoient qu'un gouvernement légal aux prises avec une rébellion, cas de figure de l'Espagne, peut bénéficier d'un appui de la part d'une autre puissance. A ses yeux, la nécessité d'aider Madrid s'impose d'autant plus qu'il s'inquiète du renforcement des pays totalitaires en Europe et de la menace d'enveloppement de la France par le Sud. Ainsi, dès le début de l'insurrection, le Front populaire, entendant aussi honorer des engagements militaires pris en 1935 par le cabinet Laval, entreprend-il de faire livrer les matériels de guerre que les républicains espagnols souhaitent acquérir.

Léon Blum n'a pas les mains libres

Aussi profond et sincère que soit son désir de faire selon son coeur, Léon Blum n'en a pas pour autant les mains libres. C'est qu'il doit compter avec les éléments qui forment la majorité composite de son gouvernement, les radicaux en particulier, et s'enquérir des intentions de son alliée, la Grande-Bretagne, sans laquelle aucune initiative n'aurait le moindre fondement en matière de politique extérieure. Quelques mois auparavant, l'influence britannique a déjà pesé de tout son poids lors de l'affaire de la Rhénanie. Et force est de constater que, loin d'adhérer au point de vue de Blum sur l'affaire espagnole, Londres, attachée à sa politique d'appeasement, le rejette tout au contraire.
Le président du Conseil s'en rend bien compte lors de sa visite outre-Manche, le 23 juillet. Il en a confirmation, en août, en parcourant les comptes rendus qui parviennent au ministre des Affaires étrangères, Yvon Delbos, par le canal de l'ambassade de Londres : « La presque unanimité des conservateurs, de nombreux travaillistes parmi lesquels les unions syndicales, sont partisans d'une attitude de neutralité. »
La Grande-Bretagne ne tient pas à ce que la France, par son attitude, conduise Hitler et Mussolini à intervenir dans les affaires d'Espagne, engendrant peut-être une guerre à l'échelle du continent européen. Que Paris agisse dans un sens ou dans l'autre n'empêchera d'ailleurs ni Hitler ni Mussolini d'apporter une aide militaire directe et indirecte à Franco, au vu et au su de toute la communauté internationale.
Blum, décidé à livrer des armes à Madrid, malgré les réticences d'Anthony Eden, chef de la diplomatie britannique, se heurte, dès son retour de Londres, à l'hostilité des responsables du Parti radical, tels Edouard Daladier ou Edouard Herriot, le président de l'Assemblée nationale. Ceux-ci ne se privent pas de le lui faire savoir. Jules Jeanneney, le président du Sénat, lui lance: « L'idée que vous puissiez en ce moment vous engager dans une entreprise dont on ne peut mesurer exactement les conséquences, l'idée que nous puissions être amenés peut-être à la guerre pour les affaires d'Espagne, alors qu'au 7 mars dernier nous avons hésité et finalement cédé quand il s'agissait de la réoccupation militaire de la Rhénanie et de la sécurité directe de la France, cela c'est quelque chose qu'ici personne ne peut comprendre. » Les radicaux ne sont pas les seuls à protester, au risque de rompre la fragile coalition formée avec les socialistes ; le président du Conseil est aussi en butte à des difficultés au sein de la SFIO, son parti.

Léon Blum fait machine arrière

la guerre d'espagne en France
Redoutant une dégradation incontrôlable d'un climat politique déjà si lourdement chargé, pour ne pas dire une guerre civile, sentant son gouvernement sur le point d'imploser, Léon Blum commence à faire machine arrière. Début août, il préconise la négociation d'un pacte en vertu duquel les puissances signataires s'engageraient à ne pas s'immiscer dans le conflit espagnol. Il s'agit bien évidemment d'un voeu pieux quand on sait que l'Allemagne nazie et l'Italie fasciste se sont déjà largement impliquées dans l'affaire. Aussi l'accord de non-intervention, signé dans la dernière décade d'août, apparaît-il comme une affreuse comédie, « une des plus scandaleuses farces diplomatiques jouées en Europe entre les deux guerres », avance l'historien William Shirer.
Pour le tribun socialiste, qui autorisera des livraisons d'armes clandestines par la suite, dans le cadre de la non-intervention relâchée, c'est un crève-coeur. Il s'en ouvre à l'opinion, lors d'une manifestation de la SFIO à Luna Park, le 6 septembre: « Je sais très bien, en cette affreuse aventure, quels souhaits doivent nous imposer l'intérêt national, l'intérêt de notre pays, en dehors de toute espèce d'affinité ou de passion politique. Je suis obligé ici de mesurer mes mots, et vous le comprendrez. »

Un affrontement idéologique

Manifestation en faveur de l'aide aux républiquains espagnols
Pire: l'affaire prend tournure d'affrontement idéologique dans cette société française du milieu des années 1930 déchirée par les passions, de choc frontal entre la gauche, d'un côté, et les droites qui ne supportent pas son arrivée au pouvoir, de l'autre. Blum est traité de va-t-en-guerre par L'Action française, qui souhaite que l'insurrection espagnole fasse école en France. La tempête enfle un peu plus lorsque, dans Le Figaro, François Mauriac, prévient: « S'il était prouvé que nos maîtres collaborent activement au massacre dans la péninsule, alors nous saurions que la France est gouvernée non par des hommes d'Etat mais par des chefs de bandes, soumis aux ordres de ce qu'il nous faut bien appeler l'Internationale de la Haine. Nous saurions que le président du Conseil d'aujourd'hui n'a rien oublié de la rancune séculaire qui tenait aux entrailles le partisan Léon Blum. Un tel geste risquerait de jeter les plus sages dans le parti des violents. »
Encore ce discours apparaît-il très mesuré lorsqu'on le compare à celui des tenants d'une « droite extrême », comme le général de Castelnau, qui écrit dans L'Echo de Paris, en août: « C'est sous le couvert du Front populaire espagnol que se déroule sur le territoire de la péninsule la bataille entre la révolution soviétique dirigée par Moscou et ceux qui ont levé contre l'esclavage soviétique l'étendard de la révolte. [...] Ce n'est plus le Frente popular qui gouverne : c'est le Frente crapular ! »
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