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26 avril et 3 mai 1936
La victoire de la gauche

La victoire, en 1936,
du Front Populaire

Les résultats des élections du printemps 1936 sont marqués par un taux de participation tout à fait inhabituel, près de 85 %, par une progression spectaculaire des communistes et par un recentrage de la gauche au profit des socialistes et aux dépens des radicaux.
Mais il s'agit surtout d'une coalition artificielle qui ne pourra résister longtemps aux problèmes intérieurs et aux conflits extérieurs.

Le désenchantement après la victoire de 1918

Au lendemain de la victoire de 1918, la France avait été traversée par deux grands courants, de sources bien différentes, mais l'un et l'autre chargés d'espérances : le courant patriotique, le courant révolutionnaire.
Le premier était surtout sensible au sein des classes moyennes. La France allait sûrement recevoir le prix de tant de souffrances endurées et de tant de sang versé. Son ennemie abattue, devenue la première puissance d'Europe, bénéficiant d'un incomparable prestige, un long avenir de paix, de sécurité et de prospérité dans la grandeur lui était sans nul doute assuré.
C'était la classe ouvrière que soulevait le second courant. La révolution bolchevique avait marqué l'aube d'un âge nouveau, d'un âge resplendissant. Il n'était que de suivre l'exemple donné par les Russes pour que toutes les anciennes contraintes disparaissent, que tous les fers tombent et que l'Internationale devienne, selon les paroles de l'hymne fameux, véritablement le genre humain.
Il fallut tôt déchanter.
Les égoïsmes nationaux se réveillèrent, nos alliés nous firent durement sentir que nous n'avions pas gagné seuls la guerre, l'Allemagne ne tint pas ses engagements, les tentatives faites pour l'y contraindre avortèrent les unes après les autres, les dépenses inconsidérément engagées dans l'euphorie première déterminèrent des crises monétaires génératrices de ruines, et la vie publique, déboussolée, fut agitée de soubresauts en sens divers.
Les élections cartellistes de 1924 constituèrent le premier témoignage du profond mécontentement des classes moyennes. Un moment, la confiance fut ramenée par Poincaré. Mais après lui, le trouble reparut, aggravé par l'incohérence parlementaire ; simultanément, l'Allemagne releva la tête et l'espoir d'une paix perpétuelle, fondée sur la Société des Nations, s'évanouit progressivement. Une partie de la petite bourgeoisie se laissa tenter par la propagande antiparlementaire des ligues cependant que, par réaction, une autre partie se rapprochait de l'extrême gauche.
Quant à la classe ouvrière (30 pour 100 environ de la population), après l'échec des grèves révolutionnaires de 1919 et de 1920, elle tomba dans un désarroi que traduisit la rupture de l'unité syndicale, une Confédération générale unitaire (C.G.T.U.) d'obédience communiste se constituant à côté de la vieille Confédération générale (C.G.T.) dominée par les socialistes.
Le désarroi fut suivi, la hausse des salaires nominaux aidant, d'une résignation apparente : à partir de 1921, les effectifs des syndicats fondirent et les grèves se firent rares.
Nombre de patrons se proclamaient sincèrement « sociaux », la généralisation des allocations familiales ainsi qu'une timide ébauche de « congés payés » furent dues à des initiatives d'employeurs. Néanmoins, force est de reconnaître que le patronat se montra, en général, hostile aux réformes sociales décidées par voie législative : il ne cessa de réclamer un « assouplissement » de la loi de huit heures ; il mit beaucoup en oeuvre pour retarder le vote définitif de la loi sur les assurances sociales et il n'appliqua qu'avec une certaine répugnance la loi sur les conventions collectives (557 conventions signées en 1919, 17 seulement en 1931).
Enfin, et surtout ni le patronat ni les pouvoirs publics ne prêtèrent une attention suffisante aux conséquences psychologiques de la concentration industrielle.
Prenons, à titre d'exemple, la banlieue parisienne : en 1936, elle comptait près de deux millions et demi d'habitants contre moins de un au début du siècle. Les nouveaux venus étaient presque tous d'anciens ruraux arrachés à leur genre de vie traditionnel pour être entassés dans des quartiers sordides ou, au mieux, dans des cités ouvrières dépourvues de tout charme et de toute joie. Déracinés brusquement, jetés dans un milieu déplaisant et étouffant, ils devaient nécessairement avoir le sentiment d'appartenir à un monde à part dans une société qui les opprimait. Et ce sentiment se fortifia quand un relatif progrès de sa situation matérielle donna à l'ouvrier un sentiment plus vif de sa dignité.

Une élection de lutte

le serment du Front populaire le 14 juillet 1935
Dès le 27 juillet 1934, parti communiste et parti socialiste, qui n'avaient cessé de se combattre depuis la scission de 1920, avaient signé un pacte d'unité d'action. Quelques mois plus tard, le parti radical s'associait à eux et dix grandes formations politiques et syndicales constituaient le Rassemblement populaire en vue des prochaines élections législatives.
Le 14 juillet 1935 dans toutes les localités de France, des citoyens par centaines de milliers avaient prêté serment de combattre le fascisme. Les partis s'engageaient à faire bloc au second tour sur le candidat de gauche arrivé en tête. Le programme était volontairement limité ; les socialistes l'auraient souhaité plus ambitieux mais le parti communiste, soucieux de ne pas inquiéter les radicaux attachés au libéralisme et à la propriété privée, s'étaient opposés à l'inscription de réformes profondes. Le mot d'ordre répondait aux préoccupations les plus vives : le pain (contre la crise et le chômage), la paix (contre la guerre), la liberté (contre le fascisme).
Forte de son unité reconstituée, la gauche aborde la campagne en position de force. La droite dénonce l'emprise du parti communiste sur la gauche et s'unit à son tour, mais elle subit l'impopularité qui résulte de l'exercice du pouvoir et de son impuissance à résoudre les problèmes : sa politique déflationniste qui vise à réduire le déficit budgétaire est mal comprise et les décrets-lois, pris en juillet 1935 par le gouvernement de Pierre Laval, qui prescrivent une baisse de 10 % des traitements, suscitent le mécontentement des fonctionnaires et grossissent le nombre des électeurs prêts à voter à gauche.
L'évolution de la situation internationale ajoute au trouble de l'opinion, à droite surtout. En attaquant l'Éthiopie (octobre 1935), Mussolini confirme la gauche dans sa conviction que le fascisme signifie la guerre. La droite, qui voit peser sur la France la menace allemande, se divise sur la conduite à tenir à l'égard de l'Italie : une majorité estime plus utile de conserver son alliance contre Hitler et s'oppose à ce que la communauté internationale applique les sanctions décidées par la Société des nations.

220 députés "marxistes"

Plus que la victoire de la gauche sur la droite, du Front populaire sur le Front national, l'événement majeur que révélaient les élections de 1936 était le déplacement du centre de gravité de la gauche : l'axe des majorités de gauche ne passait plus par le parti radical mais par les socialistes. A eux deux les groupes socialiste et communiste additionnaient 220 députés, qui en principe se réclamaient du marxisme, et dont le programme visait à opérer de profondes transformations sociales.
L'issue de la campagne appelait la formation d'un gouvernement axé davantage à gauche par rapport à ceux qui étaient sortis des précédentes victoires de la gauche, mais elle portait aussi en germe la rupture de la coalition ; inquiétude et déception des radicaux, exigences des communistes. L'unité qui avait rendu possible la victoire électorale ne résisterait pas aux dissensions internes ni aux coups de boutoir de l'extérieur : guerre civile d'Espagne, agressions de Hitler. Dès avril 1938 c'est une nouvelle majorité plus large (Daladier obtient 572 voix sur 593 votants) qui se substitue à la majorité des élections du printemps 1936.

56% pour la gauche et 44% pour la droite

victoire du Front populaire en mai 1936
La campagne est ardente et passionnée : de part et d'autre on s'engage à fond, utilisant les moyens habituels, meetings, affichages. Pour la première fois la radio est mise à contribution : tous les leaders s'y expriment. C'est, par exemple, dans une allocution radiophonique que Maurice Thorez, le jeune secrétaire général du parti communiste, prononce sa déclaration sur la main tendue au travailleur catholique et au volontaire national. Le nombre des candidats atteint un chiffre record, toutes les formations en ayant présenté dans presque toutes les 600 et quelques circonscriptions ; d'où un grand nombre de ballottages : il n'y eut au premier tour que 174 sièges pourvus, moins d'un tiers. Le respect des engagements pris et l'application loyale des accords de désistement assurant au second tour l'unité de candidature de part et d'autre, droite et gauche s'affrontent dans des duels. La participation est, elle aussi, exceptionnelle, atteignant le niveau le plus élevé de toute l'histoire électorale de la IIIe République : 84,3 % des inscrits ; près de dix millions de suffrages exprimés. A l'encontre de l'impression première, que la légende a entretenue ensuite, il n'y eut pas de raz de marée ni même d'importants déplacements de voix par rapport aux élections de 1932 que la gauche avait déjà gagnées. La droite perdit moins de cent mille voix : recul infime comparé à ses 4 200 000 suffrages. La gauche, il est vrai, progressa davantage, tirant profit de l'accroissement de la participation : quelque 300 000 voix supplémentaires portaient le total de ses suffrages à 5 400 000. Avec une différence d'environ 1 200 000 l'écart entre les deux blocs était net et la victoire de la gauche indiscutable. Le rapport gauche-droite était de 56 à 44 %. Ce n'était pourtant ni la débâcle de l'un ni la victoire écrasante de l'autre.
Si l'impression sur le moment fut celle d'une forte poussée à gauche, ce fut en raison de l'habitude qu'on avait alors de raisonner davantage sur les résultats en sièges que sur les suffrages. Or la conjonction du scrutin majoritaire et de la bonne discipline observée à gauche amplifia l'écart entre les deux blocs : dans la nouvelle Chambre, les députés élus sur le programme du Front populaire étaient plus de 380 et ceux de droite 220 à peine.
Autre chose, qui apparut d'emblée, a contribué alors à l'impression d'un glissement du corps électoral vers la gauche : la redistribution des forces entre les trois composantes de la coalition du Front populaire. Ce fait avait une portée historique supérieure à celle de la victoire sur la droite. Pour la première fois depuis le début du siècle, le parti radical perdait sa prééminence au profit de la SFIO : les suffrages obtenus par les candidats du parti républicain radical et radical-socialiste reculaient de 1 800 000 à 1 400 000 : une perte de près d'un quart qui se répercutait dans la répartition des sièges : partis 160, les radicaux ne se retrouvaient que 110. Ils perdaient des voix dans deux départements sur trois. Les socialistes ne progressaient point : ils se maintenaient à environ deux millions de suffrages. C'était déjà leur chiffre aux élections de 1932 mais ils gagnaient 17 sièges et se retrouvaient 149 députés. La permutation entre radicaux et socialistes allait avoir une grande conséquence : la revendication par Léon Blum de la direction du gouvernement et la formation du premier gouvernement à direction socialiste de la IIIe République. Voilà qui allait concourir à l'évidence d'une poussée à gauche : la relève du personnel radical par les socialistes.
Le changement de beaucoup le plus ample se fit à l'avantage du parti communiste : passant d'un peu moins de 800 000 en 1932 à près d'un million et demi, précisément 1 487 000, il doublait approximativement ses suffrages et passait même devant le parti radical relégué à la troisième et dernière place. Le parti communiste progressait sur tout le territoire mais ses positions de force dessinaient une carte qui ne changerait guère pendant quarante ans et qui comportait quatre pôles distincts : l'agglomération parisienne, où le parti obtenait le tiers de ses élus, la région du Nord et du Pas-de-Calais, le pourtour méditerranéen, provençal et languedocien, les bordures septentrionales et occidentales du Massif central, de l'Allier au Lot-et-Garonne. Si le parti communiste doublait ses électeurs, il multipliait ses élus par six : son groupe passait de 11 à 72.
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