Maréchal de première classe
S'il est au village un personnage important, c'est bien le forgeron maréchal-ferrant. De par son indispensable métier autant que par sa fonction sociale, et plus encore que le perruquier, car on ne saurait se passer de lui. Souvent, il a fait son tour de France, c'est-à-dire son apprentissage déambulatoire. Il a donc vu du pays et acquis de l'expérience. Sa compagnie est enrichissante et le temps de la ferrure, où chacun prête la main, est aussi celui où l'on est un peu à l'écoute du monde.
La forge est un lieu mythique. Elle flamboie du feu créateur. Elle retentit du martèlement du marteau sur l'enclume. Elle symbolise à la fois la force et l'adresse. Tenir le fer à sa merci relève de la magie. L'homme qui règne en ces lieux rustiques est entouré d'une sorte d'aura. À l'origine, le maréchal-ferrant soignait les chevaux. Cette fonction est désormais dévolue aux vétérinaires, ce qui n'empêche pas le maréchal-ferrant d'avoir encore des connaissances en la matière et d'intervenir quand le besoin s'en fait sentir. On le dit un peu guérisseur et même accoucheur. Le cas échéant, il vend du vin qu'il fait goûter à sa pratique après le travail.
La plupart des maréchaux ne ferraient que pendant la matinée. Ils réservaient leurs après-midis aux travaux de forge, aux réparations des charrues. Les premiers chevaux arrivaient à la maréchalerie dès la pointe de l'aube, le plus tôt possible, afin de ne rien gaspiller de la pleine journée. L'ouvrage nécessitait l'effort conjugué de deux personnes.
'Pendant que le maréchal oeuvrait, le client tenait les pieds de l'animal. Un artisan émérite, en une heure, ferrait les quatre jambes d'un cheval. Le ferrage était une opération compliquée et dangereuse. Le plus difficile consistait à ferrer les pieds
de devant, qu'il fallait maintenir pliés à
l'aide d'une courroie passée dans le crochet du collier.
Le ferrage des sabots de
derrière était relativement plus facile. Le teneur s'accotait contre la fesse de la
bête, bien d'aplomb sur ses jambes écartées, et soulevait le pied avec la courroie
enroulée dans ses mains. Le maréchal travaillait constamment courbé, sa boîte à ferrer à portée de main .
La simple longe attachée à un anneau du mur ne suffisait pas toujours à immobiliser un cheval. On le maîtrisait alors avec un serre-nez, long bâton terminé par une boucle de corde que l'on vrillait dès que l'animal renâclait. Quand une carne semblait par trop récalcitrante, on la poussait dans une sorte de cage fabriquée à cet effet par le charron.
Tout d'abord le maréchal débrochait le fer usagé et l'arrachait avec les tricoises, puis il éliminait l'excédent de corne à l'aide d'une lame, appelée "rogne-pied", et d'une mailloche. II nettoyait aussi le dessous du sabot à la rénette et en râpait les côtés. Le maréchal disait qu'il "parait". Un pied de devant était posé sur un trépied : la "biquette" ; un de derrière, relevé à la courroie.
Le fer chauffait entre-temps sous le charbon ravivé au soufflet. Le maréchal ne le présentait que lorsqu'il virait au rouge sombre. C'était l'ajustage. Il fallait faire vite de façon que le fer égalise la sole sans en brûler la corne. Au besoin on le corrigeait sur l'enclume pour qu'il porte bien. Enfin on l'appliquait. (Le fer devait s'adapter à la forme du pied, non l'inverse: les mauvais ouvriers trichaient en taillant la muraille du sabot.)
Le fer refroidi et mis en place, le brochage suivait aussitôt. Les clous à tête carrée étaient enfoncés dans la corne qu'ils transperçaient. Le maréchal en coupait la pointe avec ses tenailles, puis il les dégorgeait, c'est-à-dire qu'il encochait le sabot pour que l'extrémité des clous, repliée au brochoir, ne dépasse point. Un coup de lime fignolait le boulot et donnait le fil d'argent. La main ne devait pas sentir le clou à la caresse du sabot
Les autre besognes du maréchal-ferrand
C'était également le maréchal-ferrant qui courtaudait les poulains, à leur deuxième année, afm d'en faire des chevaux de trait faciles à harnacher. Il s'agissait de leur trancher la queue, de manière à n'en laisser qu'un moignon d'une dizaine de centimètres, et de vite cautériser la plaie. Ce faisant, on "écouait" un cheval ; on disait aussi qu'on le "surcouait". L'animal devenait alors un "courte-queue". Le maréchal-ferrant se chargeait aussi de "boucler" les taureaux, c'est-à-dire de leur percer le nez et d'y fixer un anneau en fer
Un cheval qu'on piquait malencontreusement au
brochage était une bête qui souffrait.
On ferrait en principe les pieds deux à
deux pour ne pas déséquilibrer la marche du cheval. Souvent on changeait les
quatre fers à la fois. [Le maréchal] regar
dait toujours s'éloigner l'animal qu'il venait
de ferrer, comme pour se convaincre, en suivant son encensement régulier, qu'il n'avait
point salopé l'ouvrage.
Un clou de ferrure, incorrectement enfoncé dans le sabot, provoquait une blessure qu'on appelait une enclouure; il fallait le retirer sans barguigner. Un cheval solbatu (déformation de sole battue) était un animal qui boitait, à cause d'un fer qui le blessait au pied.